Lettre à Mme Mauss-Copeaux

Bonjour Madame
Je n’ai pas pour habitude d’écrire à des auteurs.
Mais là je veux vous dire toute mon admiration pour votre travail.

Couv Algérie, 20 août 1955

Dans l’histoire de ma famille le “massacre de Philippeville” a été un événement fondateur dans la construction de la “perception” de ce qui arrivait en Algérie. Je veux dire qu’il y a un avant “Philippeville” et un après. Les lettres de mon arrière grand-mère, qui vivait à Alger, et qui écrivait à ma mère, en France, en témoignent. Avant, cette très vieille dame pense lucidement que la colonisation ne pourra pas continuer, que : “Personne n’est heureux ici. Une angoisse pèse sur le monde et tous les matins on se demande ce qui a pu se produire au cours de la nuit. Il n’y a pas plus d’Algérie que de Maroc ou de Tunisie. C’est le soulèvement du peuple arabe tout entier qui commence.” (18 décembre 1954).

Cette correspondance (des extraits) est lisible sur mon blog.

Après c’est la peur et elle brouille toute réflexions. Gamin, j’ai toujours entendu, dans les repas de famille “le massacre de Philippeville” (et les attentats d’Alger) comme la preuve de la barbarie des indigènes et du FLN. Et l’opinion “anti-colonialiste” de ma maman n’empêchait nullemment son père, son frère et tous les autres de marteler cette “opinion”.
Aussi, quand j’ai vu le film de Llédo: Algérie, histoires à ne pas dire, je me suis retrouvé de nouveau dans cette “terreur” et cette incompréhension. C’est un film émouvant, pour moi éprouvant, mais il n’est pas clair… Pas en tout cas sur la responsabilité du FLN dans le déclenchement de l’émeute. Et puis c’est un film qui s’oppose à un silence algérien sur cette question, et j’entendais trop les critiques qui, froidement, estimaient que “lever ce tabou” s’était critiquer la lutte d’Indépendance.
J’avais donc plusieurs questions:
– Pourquoi le FLN a lancé cette opération ?
– Comment peut on en arriver à massacrer des femmes et des petits enfants ?
– Comment peut on faire passer ces “crimes contre l’humanité” comme peu importants et honorer les commanditaires, les égorgeurs ou les poseurs de bombes?
Or votre livre m’ouvre les yeux.
– Il met en perspective le massacre de Philippeville dans l’histoire plus globale de la répression et des crimes de la colonisation, la haine, le racisme et la peur constante des indigènes…
– Il rectifie les erreurs, les manipulations et les fantasmes.
– Il précise le rôle et les responsabilités du FLN dans ce massacre. Le fait qu’il a été débordé par l’ivresse émeutiere  des “sétifiens”, des habitants des gourbis des bidonvilles… Par cette bouffée de haine ressassée par des années de mépris.
– Il compare avec raison ce qui s’est passé le 20 août 55 et la répression qui a suivie.

Et ce faisant vous n’oubliez pas de témoigner de la compassion pour les victimes européennes. Donc vous ne vous réfugiez pas derrière des comptabilité ou des comparaisons froides. Vous dites, en tant qu’Historienne, voilà les faits et vous le faite avec sensibilité. C’est ce que je pense qu’il faut faire. Surtout cette année! Ne pas nier l’horreur, ne pas s’en repaître comme le font les nost’algériques et pouvoir enfin regarder ce passé en face, en respectant toutes les douleurs.

Il me reste juste à vous demander qui a fait, à votre connaissance, le même travail sur les attentats d’Alger, sur les massacres d’Oran?

Un dernier point d’admiration c’est comment vous vous en sortez avec l’éternel débat entre Mémoire et Histoire. Vous n’avez pas rejeté les mémoires des témoins mais vous les avez confirmées ou infirmées avec des faits historiques recoupés. C’est vraiment un très beau livre et un livre utile! Je ne suis pas du tout un historien, je n’en ai pas la rigueur.
Avec tous mes remerciements
Cordialement

Caillou

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