Alger, le retour, un bilan subjectif.

Marc écrit

J’ai aimé sincèrement l’Algérie et surtout les Algériens, hommes et femmes, que j’y ai rencontrés. La gentillesse immédiate, la curiosité, l’absence de ressentiment contre l’ancien colonisateur français, et au contraire le sentiment d’être avec des cousins, éloignés dans l’espace, mais qui partagent encore beaucoup de références communes, tout cela m’a profondément marqué. Je retournerai dans ce pays, dans le pays de ma mère.
Rapidement.
Mais je me pose des questions…

À Alger, ce qui m’étonne c’est la saleté!

Ce que j’en ai vu (et je sais bien que je n’en ai pas vu beaucoup, et je sais que je dois me méfier moi-même de mon regard d’occidental…) c’est que l’intérieur des maisons et des appartements est d’une propreté impeccable alors que le moindre espace collectif est souillé de toutes sortes de déchets. Et j’ai l’impression que les passants ne voient pas les ordures qui s’entassent! J’ai montré, dans ce compte-rendu de voyage, les sacs poubelles en plastiques, bien bombés s’entassant dans les moindres recoins, débordants des poubelles qui ne semblent jamais ramassées… Pourquoi ce mépris général pour l’espace collectif?
1° Parce que la rue c’est l’espace des hommes, en opposition a un espace privé qui serait celui des femmes ?
2° Parce que la rue c’est l’espace collectif en opposition avec un espace individuel ?
3° Parce qu’il n’y pas vraiment de service public en Algérie et que cet abandon entraîne le mépris ?
4° Ou parce que c’est un pays pauvre et que la saleté est liée à la pauvreté ?
Alors? Si c’est la ségrégation sexuelle qui autorise cette saleté générale dans les rues, si c’est le cas, il va vraiment falloir que les femmes algériennes s’emparent de ce pays et y fassent le ménage ! D’ailleurs est-ce que les femmes voient mieux la saleté que les hommes? Qu’est ce qu’elles en disent?
Si cette situation est liée à une séparation entre espace privé et espace collectif, est-ce que cela veut dire que les Algériens ont peu le sens du bien commun? Ce serait d’autant plus étonnant que l’Islam, est surtout une religion collective, “la communauté des croyants”. Cela devrait permettre au contraire l’appropriation du bien commun, l’espace collectif, les rues, les parcs, les campagnes… Et ne pas réserver la propreté au seul espace de la religion, à la mosquée.
Enfin, si c’est lié à la pauvreté, je dois bien reconnaître que j’ai vu les mêmes situations à Dakar (les champs entiers couverts de sacs bleus en plastiques), un peu moins au Maroc, en Tunisie, et en Mauritanie, mais aussi dans pas mal de quartiers pauvres, en France.
Est-ce que nous allons vers la clochardisation du tiers monde allié à la technologie du plastique!
Il faudrait un parti écologiste en Algérie! On peut lire ici une contribution qui pose la question : nouara

Ce qui m’étonne aussi c’est la ségrégation entre les hommes et les femmes !

J’ai vu les hommes, debout, sous le déluge, s’abritant sous de vagues abris, regardant tomber la pluie, les mains dans les poches et se taisant, en une fin d’après-midi de jour de repos, attendant, mais attendant quoi?
J’ai vu les femmes seules, rasant les murs, en allant faire les courses, voilées jusqu’aux yeux, silencieuses, fantomatiques. Ou alors en groupe, avec les enfants.
J’ai vu aussi le regard ostensible de deux jeunes mâles, se retournant, vers le marché de la place des Martyrs, sur les croupes de jeunes filles non voilées qu’ils venaient de croiser.
Oui je n’ai pas vu grand chose en une semaine et mon regard est plein de préjugés, mais je reviens avec cette impression que les hommes et les femmes vivent dans des mondes séparés. Deux exceptions cependant, touchantes! La sortie des écoles où la jeunesse sort, mixte, ensemble, en blouses roses ou bleues. L’espérance d’une unité par l’enseignement. Et le fait que j’ai rencontré plusieurs fois des couples d’amoureux, sur des bancs publics. Comme si tous les discours de haine n’avaient pas de prises sur l’amour. Mais ce sont, désolé, des exceptions.

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Tout le reste c’est les hommes qu’un côté, qui s’emmerdent et ne peuvent pas rentrer chez eux, et les femmes de l’autre qui tiennent leurs maisons et n’ont pas ou très peu le droit ou l’envie d’en sortir.

Voilà.

Pour le reste, la politique, les élections, je n’ai pas l’impression qu’un voyage d’une semaine me permette d’émettre une opinion valable. Le printemps arabe n’a pas encore touché l’Algérie. Pourquoi ?  Je laisse à d’autres le soin de répondre…

En tous cas, je remercie toutes celles et ceux qui m’ont permis de faire ce voyage. nous ont accueillis, hébergés, guidés… Ils se reconnaîtront malgré l’utilisation de pseudonymes… Ils et elles m’ont fait un cadeau inestimable. Merci.

Caillou, le 20 mai 2012

6 réflexions au sujet de « Alger, le retour, un bilan subjectif. »

  1. Les ordures, c’est une société où la chose publique est perçue comme étrangère, aux mains de ceux d’en haut qui exploitent ce qu’il y a, c’est à dire la rente pétrolière, qu’on leur arrache par miettes non aux élections législatives mais par protestations ponctuelles, locales, corporatives, familiales.

    La ségrégation sexuelle choque plus dans une société qui n’a plus rien de “traditionnelle”, mais qui s’est modernisée dans les plus grandes violences (une colonisation à peu près jamais négociée, la décolonisation non plus), la légitimité fait défaut, les hommes n’ont rien sauf de faire croire qu’il sont les maîtres dans leur famille.

    Claude

  2. De Gaby (http://gaby.unblog.net/)

    Merci pour ton beau récit de voyage en Algérie. J’ai aimé tes doutes quant à l’analyse des faits que tu as remarqués pendant ce voyage. . Comme le disait je ne sais plus quel journaliste: “quand je reste une semaine en Afrique je pense pouvoir écrire un livre; après deux ou trois semaines on se sent à peine capable d’écrire un article et un mois après on se dit: “ai-je compris quelque chose à la mentalité de ces gens habités par une culture si différente de la mienne? Et je n’ose plus rien affirmer…”. On sent ce doute chez toi et je trouve que c’est un signe de respect par rapport aux gens que tu as rencontrés.
    Un autre point: “L’intérieur des maisons- dis-tu -est d’une grande propreté! Mais l’extérieur!..” C’est exactement le contraire de la mentalité des Basques qui soignent particulièrement l’aspect extérieur de leur maison (même si tout est vieux ou plus ou moins rénové à l’intérieur) C’est surtout parce que les Basques ont un grand souci du qu’en dira-t-on. Je pense aussi à mon quartier avec des crottes de chien et des bouteilles , cartons, déchets dans ses rues. Ici en tout cas, ça signifie qu’on n’a pas le sens de la citoyenneté; heureusement les cantonniers passent au moins une fois par semaine. Sinon ce serait comme ce que tu décris en Algérie! Merci pour tes beaux textes.
    Bises
    Gaby

  3. Pour moi, les ordures, la saleté, c’est vraiment l’absence de services publics, le mépris et l’abandon de l’état, qui ne manque pas de ressources!
    Quant à la ségrégation hommes femmes, c’est plus une tradition qu’autre chose, car dans toutes les familles que je connais, dans l’espace privé, il n’y a pas vraiment de ségrégation, même si les femmes doivent “rester à leur place” surtout s’il y a des “étrangers” à la famille.
    Merci Caillou pour ce petit voyage en Algérie. J’espère moi aussi y retourner bientôt

  4. À titre d’hypothèse très floue, pour rendre compte de cette indifférence (et cette contribution !) à la saleté du DEHORS que c’était peut-être une façon de dire “merde” aux responsables (supposés) de l’ ORDRE PUBLIC … Peut-être faut-il se sentir respecté comme PEUPLE pour avoir le souci de respecter l’espace PUBLIC?
    A+.
    Francine.

  5. Bonsoir Caillou,

    Enfin ! J’avais mis de côté tes textes sur Alger et, mieux vaut tard que jamais, j’ai seulement trouvé ce soir l’occasion de les lire…

    Je vais les envoyer à Pierre avec qui je correspond de loin en loin pour qu’on compare nos souvenirs d’Alger.
    On y est allés en 1972, anniversaire des 10 ans de l’Indépendance, et je me souviens de mon coeur qui battait en lisant le panneau “Bienvenue dans l’Algérie démocratique et populaire” (ou quelque chose d’approchant).

    On a vite découvert que l’Algérie n’était ni démocratique, ni populaire… La corruption régnait partout et j’ai le souvenir de 2 flics qui nous ont changé de l’argent au noir, sous un pont.

    L’Algérie, pour moi, était un pays neuf, dans lequel j’aurais souhaité revenir en tant qu’infirmière, tellement les manques en matière de santé étaient criants. Quand je suis allée à l’ANPE de l’époque, à mon retour en France, on m’a répondu “Mademoiselle, l’Etat français ne va pas vous payer des études d’infirmière pour que vous alliez exercer à l’étranger”, et ce fut la fin de ce projet, et d’un métier que je n’exercerai jamais.

    L’Algérie, c’était des gens merveilleux, des rencontres fabuleuses et… une misère sexuelle, attisée déjà par la frustration coranique, qui rendait les hommes violents : j’ai failli me faire violer à deux reprises et j’ai pris la décision en rentrant en France de pratiquer un sport de combat.

    J’ai un souvenir précis d’une gigantesque manifestation place ??? (à toi de compléter, c’était près de la Grande poste) pour les 10 ans de l’Istiqulal = l’Indépendance : que des mecs, très peu de femmes, voilées et discrètes et, tout à coup, des dizaines de mains sur moi, sur mon corps, partout. J’ai attrapé le mec le plus proche de moi, lui ai envoyé un direct dans la gueule et me suis mise à hurler : “qui en veut un autre ?” le poing dressé, “approchez bande de lâches…”

    Et là, la foule des mecs a reculé d’un bon mètre : j’ai fait le vide autour de moi…

    Je n’ai aucun souvenir de rues sales et d’odeurs incommodantes, telles que tu les décris aujourd’hui. Le passage à Naples m’avait frappé, à la même époque à peu près, avec ses montagnes de déchets au coin des rues, mais rien de tel à Alger. Alors ? Mémoire vacillante, ou réalité changée ? Affaire à creuser…

    Merci Caillou, pour ce témoignages et la juxtaposition poétique et nostalgique des clichés familiaux en noir et blanc et des photos d’aujourd’hui, en couleur… Ça me fait penser au film “Nous nous sommes tant aimés”.

    Puisque j’y étais, j’ai lu et me suis laissée emporter par les poèmes de Madeleine, mais n’ai pas pu ouvrir le lien “Histoire de Mad”. Pourquoi ?
    Bisous,
    Pat

  6. Bonjour,
    Je trouve votre écrit tellement vrai notamment au sujet de l’espace public.
    Je me souviens d’une amie française venue me rendre visite à Alger , elle était tellement libre et sans inhibition, cela me faisait peur. On venait de vivre des années de terreur et de massacres et j’avais peur qu’elle se fasse agresser. Heureusement il n’en fut rien et mon amie s’en est retournée saine et sauve en Mayenne avec de beaux souvenirs.
    Alger des années 1970 est bien loin ! Ici l’espace public n’est plus un espace de liberté pour tous comme en France mais une succession de territoires plus ou moins sécures ou plus ou moins neutres; la saleté est partout, l’indiscipline aussi. La ville subit de grandes dégradations et les exodes se multiplient sans qu’aucun modus vivendi ne soit érigé et respecté. Les algériens ont un besoin cruel du regard des autres. Encore aujourd’hui nous sommes nombreux à tenter une recomposition de ce qui fait notre histoire et pour cela nous avons besoin de ceux qui l’ont partagée avec nous dans la chair et dans la pierre. Cordialement.

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