la grange et le parking

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Rédaction
Racontez votre dernier dimanche des vacances de la Toussaint.

Avec mon père, nous sommes allés dans le Gers dans la ferme de mon grand-père. Il faisait très beau et le soleil éclaboussait les prés et les champs qui entourent les bâtiments. La ferme de mon grand-père a une forme de U avec un grande cour centrale. Sa maison, je dis sa maison parce que ma grand-mère est morte il y a déjà plusieurs années, est au fond de la cour, l’étable étant à droite et la grange à gauche. Mais l’étable est vide depuis longtemps car mon pépé est bien trop âgé pour continuer à travailler et aucun de ses enfants n’a voulu reprendre l’exploitation.

On gare la voiture. On apporte le repas que ma maman a préparé. Il y a du saucisson, une daube dans une casserole rouge. Je mets la table. Mon grand-père reste assis dans son fauteuil et il me regarde chercher dans les tiroirs. Tu iras tirer du vin dans la buanderie. La bouteille est sous la barrique. Moi je coupe le pain. Il me pose des questions. Je lui raconte un peu la ville, le collège et comment on vit dans notre maison de Labarthe sur Lèze.

Mon père lui va faire un tour dans la maison, à l’étage il ouvre les fenêtres, il aère. Il a toujours un truc ou un autre à rafistoler, une ampoule à changer, vérifier la chaudière… Il passe aussi par le couloir pour, de l’autre côté de la maison, faire un tour dans le potager.

Avec mon père, ils ne s’entendent pas très bien. Mon pépé Marcel est très gentil avec moi. Il m’écoute et me raconte des histoires de son temps. Alors qu’il fait semblant de ne pas comprendre ou entendre mon père quand celui ci lui parle. D’ailleurs ils ne se parlent pas trop.

Pendant le repas la radio reste allumé. Mon grand-père écoute tous les jours le jeu des mille francs, pardon, c’est ce qu’il dit mais c’est des mille euros maintenant. Et puis avec le café, mon père remet sur le tapis cette histoire comme quoi il faudrait vendre la ferme et que, tu vivrais mieux, en maison de retraite, près de chez nous… d’ailleurs il y en a une qui est très bien, juste à 6 kilomètres… on viendrait te voir chaque semaine… Mais le pépé ne répond rien. Il regarde par la fenêtre. Il fait semblant de ne pas entendre. Mon père du coup parle fort. Puis, lui aussi, à bout d’arguments, finit par se taire.

Comme ils sont là tous les deux, assis, en buvant leur café,  je m’en vais m’amuser dans la grange. C’est l’endroit que je préfère chez mon pépé Marcel. Il n’y a plus, en haut, de foin depuis très longtemps mais on y a entassé tout un tas de vieilles choses sans intérêt qu’il faudra bien finir par jeter un jour ou l’autre.

Il y fait très sombre mais le soleil passe par les interstices et cela fait des rayons de lumière où la poussière danse. Il faut rester là plusieurs minutes pour s’habituer et finir par découvrir tout un monde ancien, oublié. Des vieux meubles, des sommiers pliants, un fauteuil. Il y a aussi plein de toiles d’araignées qui s’accrochent un peu partout et dont les fils brillent comme des diamants sur les fonds noirs mystérieux.

Et puis, je retrouve, tout au fond d’un amoncellement l’avant droit d’une voiture. D’abords le phare jaune, puis la calandre et enfin, le pare brise. Cette bagnole me regarde, comme borgne, elle me fixe et il semble qu’elle me dit: sors moi de là.

Depuis quand est elle enterrée sous tous ces décombres? Son phare jaune, cette calandre. C’est peut-être une Juva 4, fabriquée par les usines Renault de 1938 à 1960. Mon père a du rouler dans cette berline ? J’imagine toute la famille, mon grand-père au volant, sa femme à ses côtés, la marmaille à l’arrière, sur les routes du Gers. Je voudrais bien demander à mon grand-père depuis quand elle est là, abandonnée.

Mais j’entends déjà mon père qui me rappelle.

Quand je reviens dans la cuisine je n’ose plus poser la question. Ils se regardent tous les deux en chien de faïence. Et d’ailleurs mon père me dit : Où tu traînais encore? Habilles toi. on s’en va.

Alors j’embrasse mon pépé Marcel. Un jour je reviendrais dans la grange et je me faufilerais pour me mettre au volant de sa splendide et poussiéreuse vieille voiture.

Et on est rentré à la maison.

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Le parking du collège est maintenant désert. La nuit tombe.
Et Guillaume est le seul gamin à attendre ses parents.
Le dernier professeur s’arrête un instant auprès de lui. Il s’inquiète, ne veut pas laisser ce môme sur ce parking vide. Tous les autres enfants sont partis. Il fait froid. La file ininterrompue des voitures,  sur la route de la Lèze, fait un bruit sourd grave et monotone.
Tu attends tes parents?
Ma mère va venir, mais elle sort tard de son travail. Vous pouvez me laisser. Je vais l’attendre.
Et ton père? Il ne devait pas venir te chercher.
Si, mais il m’a fait prévenir par le secrétariat qu’il devait partir de toute urgence dans le Gers parce que mon grand-père est mort.
Il est froid ce collège. Quatre blocs d’acier sur la route de la Lèze et un parking désert illuminé comme un stade de foot, pour rien, pour personne, sauf peut-être pour un garçon qui attend, seul, dans la nuit, ses parents.

 Caillou, le 4 mars 2014

et merci à Guillaume pour la photo de la Juva 4 de 1938.
On peut voir son site ici: guillaume-bru.photguil.net

 

4 réflexions au sujet de « la grange et le parking »

  1. C’est bon de te retrouver. Bon courage. On attend tes écrits qui sont souvent émouvants et intéressants. Gaby

  2. Bon , nous aussi on y est retourné en enfance avec ton texte.. et puis tu me donnes des idées pour mon atelier..
    Continue à nous charmer Biz Mcl

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