Kamel Daoud, suite…

Tout d’abord, le texte que j’ai présenté à la fin de mon billet précédent était tiré de “Le Harem et les cousins” de Germaine Tillion. Mais qui lit encore Germaine Tillion?  Certainement pas les petits juges qui ont décrété que Kamel Daoud, Boualem Sansal ou Rachid Boudjedra doivent se taire avant qu’on les égorge!


Dans Charlie du 24 février 2016: la fin de l’éditorial de Riss:Charlie sur Daoud


Dans “Jeune Afrique”: le point de vue de Fawzia Zouari

Hier porté au pinacle, l’écrivain et chroniqueur algérien Kamel Daoud est désormais cloué au pilori.
Pourquoi ? Parce qu’il a osé affirmer que les viols perpétrés à Cologne par des immigrés issus du monde arabo-musulman sont la conséquence logique d’une tradition portée sur la répression sexuelle et génératrice de frustration chez les jeunes. Que n’a-t-il dit ! Culturalisme radical, clichés orientalistes, islamophobie, en a conclu un collectif d’intellectuels dans les colonnes du quotidien français Le Monde. Une fatwa de plus contre l’Algérien, qui, déjà visé par les barbus, a décidé de jeter l’éponge et d’abandonner le journalisme.
Contents, les intellectuels de Paris, vous qui observez nos sociétés de vos balcons et les jugez à l’aune de vos théories ? Je vous défie de démontrer le contraire de ce qu’affirme Kamel Daoud, qui, lui, vit sur le terrain, observe quotidiennement un monde où les femmes doivent arriver vierges chez leurs maris et où les célibataires sont rendus fous par la misère sexuelle, subit cette loi qui ne permet ni à l’homme ni à la femme d’avoir des relations physiques hors mariage. De quel droit lui déniez-vous la liberté de dénoncer un puritanisme réel et le courage de souligner les travers des siens ?
Il faut un « débat apaisé et approfondi », allègue ce collectif bon teint. C’est-à-dire ? Renoncer à franchir la ligne rouge en soutenant, comme le fait Daoud, que, oui, il existe une psychologie de la foule arabe ; oui, nous trimbalons une mentalité millénaire qui définit la femme comme un appât et une honte ; oui, il y a chez nous un rapport pathologique à la sexualité ; oui, il y a un racisme qui insinue qu’on peut violer une non-musulmane sans conséquences ; oui, certains nouveaux arrivants en Europe doivent se faire à l’égalité des sexes et à la laïcité !
De plus en plus d’intellectuels arabes refusent la vision d’un Orient lisse et innocent aussi erronée que celle d’un Orient obscurantiste et haineux
N’en déplaise à nos avocats autoproclamés, de plus en plus d’intellectuels arabes refusent la vision d’un Orient lisse et innocent aussi erronée que celle d’un Orient obscurantiste et haineux. Ils ne veulent plus jouer les admirateurs béats de leurs propres traditions et de leur religion. Ni devenir les otages d’un monde occidental traumatisé par l’accusation d’islamophobie et plombé par les scrupules d’une gauche qui va jusqu’à leur dénier le droit d’aimer dans l’Occident l’espace de liberté et d’émancipation auquel ils aspirent. Bien sûr, ils n’ignorent pas que l’Europe traîne son lot de violences, d’inégalités et de viols. Mais ils pensent que cela ne peut justifier leurs propres dérives.
Kamel Daoud dérange le confortable angélisme sur l’islam et les musulmans. S’il paraît «essentialiste» aux yeux de certains, il est «essentiel» pour nos sociétés prises au piège du conservatisme et de la bigoterie. Et il ne déteste pas sa culture ni ne souffre d’un déni d’identité, comme l’imaginent ses détracteurs. Non. Il s’inscrit dans une autre lignée de musulmans : celle des écrivains rebelles et des penseurs du doute qui travaillent à desserrer l’étau du dogme et à faire naître l’individu musulman. Celle que nos signataires du Monde viennent d’acculer au silence. Voilà comment on fait de l’islamisme comme Monsieur Jourdain de la prose…
Fawzia Zouari

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Dans El Watan le journal francophone algérien: 

Kamel Daoud au centre d’une polémique
Les nouveaux procureurs de la pensée…?

Comme toutes les autres, la société algérienne a plus que jamais besoin des Kamel Daoud pour mieux disséquer les maux qui la traversent et malmener des certitudes mortifères.
Après l’inquisition des ayatollahs du salafisme d’ici, le procès en islamophobie de la bien-pensante d’ailleurs.Depuis deux ans, le journaliste et romancier Kamel Daoud subit un lynchage religieux et politico-médiatique sans pareil. Presqu’à chaque chronique, chaque phrase prononcée, chaque tribune, il est sommé de s’expliquer. Quand il n’est pas conduit carrément devant le tribunal de la bien-pensante dominante.La récente convocation vient de nouveaux procureurs de la pensée ? Sa tribune «Cologne, lieu de fantasmes» signée dans deux célèbres quotidiens, La Repubblica, le New York Times, reprise par Le Monde, a mobilisé dix-neuf intellectuels de diverses disciplines pour lui répondre. Rien que cela. Sociologues, anthropologues, historiens et politistes de plusieurs pays signent une contre-tribune dans laquelle l’auteur de Meursault, contre-enquête est accusé de «recycler les clichés orientalistes les plus éculés». Leur texte qui se donne comme objectif de «déconstruire» le discours «culturaliste et essentialiste» de Kamel Daoud. Truffé de jugements et de procès d’intention.Dès le premier paragraphe, les coups tombent. Pour eux, Kamel Daoud est «un humaniste autoproclamé» qui «livre une série de lieux communs navrants sur les réfugiés originaires de pays musulmans». Ne mérite-t-il donc pas cette qualité ?  Les brevets de l’humanisme sont apparemment décernés ailleurs. Il est même accusé de servir d’arguments à l’extrême droite aussi vieille en Europe. Pour eux, le chroniqueur «recycle les clichés orientalistes les plus éculés» et que son argumentation «ne fait qu’alimenter les fantasmes islamophobes d’une partie croissante du public européen, sous le prétexte de refuser tout antagonisme».Comme si ce courant destructeur, qui a fait des ravages en Europe depuis des décennies, avait besoin d’une tribune de Kamel Daoud pour faire valoir ses «démons». A suivre cette logique, en accusant Daoud d’alimenter le fantasme d’islamophobie, les dix-neuf intellectuels ne donnent-ils pas du grain à moudre aux prédicateurs et autres marchands de la mort qui n’attendent que cela pour relancer leurs fatwas ?Certes c’est loin d’être leur intention, mais leur texte est sujet à exploitation. Et pour mieux disqualifier Daoud, les signataires de la tribune qui s’alarment vont jusqu’à écrire que «Kamel Daoud intervient en tant qu’intellectuel laïque minoritaire dans son pays, en lutte quotidienne contre un puritanisme parfois violent». Voilà une autre thèse chère aux islamistes algériens qui considèrent que la démocratie, la liberté de conscience, l’égalité des sexes, l’émancipation sont des «valeurs étrangères à notre société portées par une minorité occidentalisée». Ce puritanisme n’est violent que «parfois», comme l’affirment ces intellectuels. Car il a fait de l’Algérie un grand cimetière durant une décennie sanglante.C’est au nom de cette «déviance» que les Djaout, Mekbel, Liabes, Belkhenchir et des dizaines de journalistes ont été sauvagement assassinés. Vingt-ans avant Charlie Hebdo. Comment des intellectuels tenus par la rigueur scientifique peuvent-ils affirmer de but en blanc que Daoud, Boudjedra et Sansal sont des laïcs minoritaires ? Et puis quoi encore ! Et si même cela était, la logique du nombre n’y pourrait rien ici.Bien au contraire, l’argument de la majorité – puisque c’est le vôtre – n’a jamais résisté à l’indéniable droit à la libre expression. N’est-il pas du rôle de l’intellectuel de penser à contre-courant, contre lui-même, contre les siens ? En filigrane, cette tribune laisse croire, laisse entendre que l’«indigène» Kamel Daoud n’est pas en mesure de réfléchir, incapable d’intelligence. Aux autres «donneurs de leçon» de dire et d’écrire à sa place pour affirmer ce qui est bien pour «nous».C’est en tout cas ce que suggère aussi cet autre collaborateur au New York Times, Thomas Adam, qui ose même douter des convictions de son «ami» Kamel Daoud. «Pour moi, c’est très difficile d’imaginer que tu peux vraiment croire ce que tu as écrit», a-t-il jugé dans une autre tribune qui vient au secours des dix-neuf intellos. Il convie «courtoisement» le chroniqueur d’arrêter de chroniquer.  Une invitation au silence. Non. Comme toutes les autres, la société algérienne a plus que jamais besoin des Kamel Daoud pour mieux disséquer les maux qui la traversent et malmener des certitudes mortifères. 
Hacen Ouali

 

Une réflexion au sujet de « Kamel Daoud, suite… »

  1. Apporter un commentaire à tant de commentaires n’irait pas loin. Merci à Caillou de nous donner en deux articles un vrai dossier sur l'”affaire” Kamel Daoud. Je crois que, parce que la colonisation et la décolonisation ont été plus douloureuses qu’ailleurs en Algérie, la question du statut réel des femmes y est plus brulant. Parce qu’il ne reste plus aux “mâles” que cette domination quand le politique leur est interdit, plus qu’ailleurs.
    J’ai passé en revue le pedigree des “pétitionnaires” contre Kamel Daoud: femmes plus qu’hommes, en général jeunes et brillant(e)s universitaires, lié(e)s aux études sur l’islam savant souvent, lié(e)s au monde musulman souvent dans leurs origines familiales juives ou musulmanes. Aucun(e) n’a travaillé sur le Maroc, peu sur l’Algérie… Une étrange collectivité. Il nous faut prendre parti, bien sûr, mais sans croire que ce sera à partir d’une bonne vérité simple et sécurisante.

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