Archives de catégorie : Contes et Nouvelles

Pour le 1er Mai 2020

Syndicat Solidaires (13) avec, je crois, une photo de Willi Ronis !

Jette un regard distrait sur la télévision.
Les bruits des gens qui parlent, qui envahissent l’espace, ruissellent pour ne rien dire.
Mais tu as peur aussi de cette épidémie.
Et pour te rassurer tu vas voir cette soupe quotidienne d’images, de vagues reflets du monde, de mensonges et d’angoisses, d’oppression, de douleurs.
Tu essaies bien un peu de trier dans le flux
Cela ne sert à rien.
Rideau !

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Claudine: 
Distrait, reflet, soupe, rideau, télé, ruisselle.
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Caillou le 1er Mai 2020

Et le texte de Maryse

Qui suis je ?
Le ruissellement de la gouttière avait formé une flaque au bas de l’appentis. Martin s’en approcha et de dit “aux beaux jours je la réparerai”. Tout à coup il vit son reflet dans la flaque. Comme il avait changé ! Cinq ans déjà que Prune l’avait quitté, il s’était un peu laisser aller et le confinement n’avait rien arrangé. Les boucles poivre et sel de ses cheveux en avaient profité pour s’ébattre les unes sur les autres, sa barbe blanche avait envahi ses joues creusées et flirtait avec sa moustache.
“C’est moi aujourd’hui” se dit il mais “qui étais je hier” ? Sans avoir trouvé la réponse il repartit vers la maison. Il enleva ses bottes et entra. L’odeur de la soupe mijotant sur le fourneau lui mit du baume au coeur. Il tira le rideau pour plus d’intimité, s’assit à la table, prit son journal et essaya de répondre à la question “qui suis je aujourd’hui”. Il griffonna quelques lignes, ratura. Ne trouvant pas les mots, il alluma la télé pour meubler sa solitude. Il avala un bol de soupe et distrait par la télé en oublia qui il était.

Ainsi que celui d’Annick

Elle a cassé la télé, le tube cathodique
explosé, des morceaux d’écrans un peu partout
elle en a marre. Si les signes s’aggravent
elle va demander à ne plus payer la redevance
Demain, c’est le 1er mai. Restez chez vous !
Ne pas sortir, juste mettre sa petite pancarte à la fenêtre.
Manger sa soupe sans rien dire
La pluie ruisselle ce matin.
Les coulures déforment son reflet dans la vitre.
Appeler Sabrina. Appeler Oliva
Appeler Cécile. Appeler Nicolas
Sortir, se prendre en photo
Ensemble, dehors
Deux femmes font des collages
Sur la façade de l’ancien théâtre de la Digue
« Je n’ai pas peur
J’ai seulement le vertige
Il me faut réduire la distance
entre l’ennemi et moi
L’affronter horizontalement » René Char

Mon mari

Mon mari ronfle ! Ronfler c’est une chose qui pourrait être supportable s’il ronflait régulièrement, mais non seulement il fait des bruits épouvantables, des borborygmes déchirants, des sons de basse à faire trembler les murs, mais en plus il a de longs silences suivis de terribles déchirures, lorsqu’il reprend enfin sa respiration.  Apnéique lui a dit le docteur ! Alfred est apnéique sans le savoir et moi j’essaie désespérément de fermer l’œil à côté de lui dans notre lit bombardé.

Mon mari est sodomite ! Faire l’amour de temps en temps pourquoi pas, je n’ai rien contre et même j’aimerais bien parfois qu’il me turlutte le coin jardin mais non, il va tout de suite à l’essentiel et pour lui l’essentiel, vous voyez ce que je veux dire ! C’est juste pour son plaisir à lui et tant pis si j’ai du mal à m’asseoir le lendemain. Je ne sais pas dire non, d’accord, mais j’en arrive à le préférer endormi, même apnéique !

Mon mari est anarchiste, enfin anarchiste de papier : il lit le Canard Enchaîné ! Une fois par semaine, son anarchie se manifeste bruyamment, comme tout ce qu’il fait, (Ronfler, m’enc…) en s’esclaffant dans son 8 pages. Il s’en prend au gouvernement mais il ne va pas aux réunions des locataires, ni à celles du syndicat, encore moins retrouver d’autres anarchistes, non, il est anarchiste à la maison, une fois par semaine et très bruyamment.

Mon mari n’aime pas les demi-teintes. Pour lui il n’y a que le blanc ou le noir, on est pour ou on est contre, c’est formidable ou dégueulasse. Il est comme ces hérétiques du moyen âge, les bogomites ou les cathares, qui ne voyaient rien entre le bien et le mal. En fait il est dualiste, et toujours en criant.

Mon mari est terroriste, surtout pour la vaisselle qu’il casse en voulant la ranger, surtout pour les repas de famille (du temps où nous en avions encore) ou il terrifiait les beaux-parents, les enfants et même la grand-mère en tapant du poing sur la table et en proférant des insanités !

Mon mari est toujours malade mais ne peut pas expliquer d’où il souffre. Tantôt du dos, tantôt du cœur, parfois la tête, parfois le foie. Un hypocondriaque erratique je vous le dis ! Il a épuisé des dizaines de docteurs et surtout des spécialistes.

Il m’a épuisé moi aussi.
Je n’en peux plus cette fois-ci je le quitte dès le 11 mai prochain je retourne chez ma sœur puisqu’elle habite à moins de 100 kms. Sur le pas de la porte je le traiterai d’anarchiste, de sodomite, de bogomite, de terroriste, d’erratique et d’apnéique. Il me regardera avec ses gros yeux ronds, mes deux valises à la main.
Et peut-être me demandera, comme dernière parole: où se trouve le dictionnaire ? 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Alain: 
anarchiste, bogomite, sodomite, apnéique, terroriste, erratique.
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Caillou le 30 avril 2020

Et le texte de Maryse

De l’importance du suffixe

Deux amistes, non ! Amiques, non ! Amites .. A…m..is, ça y est ! Deux amis se rencontrent,
Le bogomite s’adressant au sodomite
“Qui êtes vous ?
“Je suis le sodomite et vous qui êtes vous?
“Eh bien, je suis le bogomite. En tout cas je ne vous avais pas reconnu.
Le sodomite : “Normal, je suis déguisé en terroriste” dit il en se grattant la barbe. Je ne vous avais pas reconnu non plus.
Le bogomite : “c’est dû à mon tempérament erratique, un jour en “iste”, un jour en “ite”, un autre en “ique”. Ce jour, je suis l’anarmite, Heu..non, l’anartite, excusez moi, ça y est l’anarchiste ! Ouf !
Le sodomite : moi c’est pareil. Tenez, hier je me suis baladé toute la journée avec mon masque, mon tuba et mes palmes, j’étais totalement apnéique
Le bogomite : “je dois vous quitter, j’ai un rendez vous”
Le sodomite :Ӎa tombe bien, moi aussi.
Où avaient ils rendez vous ?
chez leur analyste, bien sûr.

 

L’Aune

Une fourgonnette estampillée Université de Flermont est garée depuis ce matin sur la place du village. Je m’approche, curieux et je vois deux archéologues qui étudient le vieux mur derrière la halle. Ils examinent une longue barre de ferraille qui y est incrustée depuis le XVIemesiècle. L’un d’entre eux, le jeune homme, l’air encore un peu étudiant, replie son double décimètre et inscrit des chiffres sur son calepin tandis que sa collègue dégage un appareil photo de son étui.

Sur un pilier de la façade de l’église Notre-Dame de Montferrand, un étalon métallique servait aux marchands drapiers de mesure officielle de l’aune.

– 118,84 cm ! C’est cranté.
– Il n’y a pas des traces de couleur ?
– Oui, on ne le voit plus très bien, c’est décoloré par le temps, mais elle a été peinte de couleur taupe, entre gris et marron.
Elle prend quelques photographies de l’ancienne tige. Son collègue fait encore des mesures, dessine un schéma. Combien de mètres depuis les entrées nord et sud de la halle ?
Nous, cette barre de fer, dans le village, nous la connaissons bien. Elle fait partie de notre histoire mais plus personne ne sait qu’elle en est l’origine et la fonction. Nous l’appelons « le mat ».
L’archéologue se relève, range son matériel et me demande s’il y a un endroit où on peut manger dans les environs.
– Oui madame. Mais il ne reste plus que le fast-food en face du collège. Depuis que l’auberge et le café ont fermé après le célèbre confinement de 2020…
Mais elle ne m’écoute déjà plus. Ils repartent tous les deux en claquant les portes de leur camionnette.
Par curiosité, je vais jusqu’au collège, en fait situé juste derrière la place. A cette heure-ci il n’y a personne. Je commande une bière au jeune Henry. Les archéologues se sont installés à une table et attendent leurs commandes. C’est marrant. Quand ils travaillent ils sont en blouses et en bottes mais pour leur pause déjeuner, elle a pris le temps de se remaquiller avec un rouge à lèvres très prononcé et elle a chaussé des talons aiguilles qui ne lui correspondent pas du tout.
– Je peux m’asseoir avec vous ? Je suis un peu curieux vous savez…
– Si vous voulez. Vous êtes du village alors ? Ma collègue, c’est Hélène Durenmath et moi c’est Armand Forenthem. C’est vous qui étiez devant la halle tout à l’heure ?
– Oui. Je suis d’ici. Et je vous ai vu photographier ce vieux truc dans le mur. Je me demande ce que c’est.
Henry apporte les plateaux avec leurs assiettes de hamburgers accompagnés de verdure. Je leur laisse le temps d’attaquer leurs plats.
– Nous on l’appelle le mat. On sait que cela vient de l’ancien temps. Mais c’est quoi ?
Armand sort son calepin et m’explique que 118,84 cm cela fait pile 4 pieds, et que c’est « une aune ». Il en reste juste l’expression « être à l’aune » qui signifie « à la mesure de quelque chose » ou « prendre en considération ». Mais l’aune c’est une mesure qui permettait aux drapiers de calculer les tissus vendus dans les marchés qui se tenaient sous la halle.
– Et aux clients de bien vérifier qu’ils ne trichaient pas, précise Hélène.
– Et la couleur ? Pourquoi était-il peint ce mat ? Et pourquoi de couleur taupe ?
– Pour la blague. Entre eux les drapiers l’appelaient l’aune au mat taupé.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Maryse: 
Hélène, hamburger, talons aiguilles,
rouge à lèvres, onomatopées, verdure.
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Caillou le 28 avril 2020

Et le texte de Maryse

La belle Hélène

Ça y est ! Cinquante jours qu’Hélène était confinée, seule. Elle avait éclusé tous les clubs de rencontres sur le net, eut quelques échanges….mais bof ! Pour l’amour le virtuel c’est pas le pied. Les fast food avaient réouvert et ses finances étant un peu en berne c’était bien venu.
Fini le survet, les charentaises, les bigoudis. Elle s’habilla d’une petite robe à bretelles, celle qui mettait ses formes en valeur, enfila ses talons aiguilles préférés, para sa bouche d’un magnifique rouge à lèvres, jeta un dernier coup d’oeil â la glace de l’entrée et sortit. Tout en se dandinant jusqu’au fast food, elle vérifia sa silhouette dans les vitrines et poussa un soupir de contentement. Elle entra et commanda son menu habituel : hamburger, glace et coca. Elle s’attabla, heureuse et commença à mordre dans son burger.
–  “Je peux” ? Demanda un homme, la quarantaine tout en s’installant en face d’elle.
–  Oui, oui dit elle serrant son burger entre les dents. C’était sans prévoir que, sous la pression la mayonnaise se répandrait sur son menton et gagnerait son décolleté sous le regard amusé du dit monsieur. Elle s’essuya rapidement. Mis de côté le reste de ce sandwich “anti drague”, se leva et alla commander quelques verdures. Quand elle revint, il était là, tranquille, trempant délicatement ses beignets de poulet dans la sauce barbecue. Elle assaisonna sa salade et sûre d’elle elle entreprit de la déguster. L’opération se passa bien, aucune éclaboussure ! Elle sentit son regard posé sur elle et lui sourit à pleine dents.
–  “Mademoiselle, vous avez une feuille de salade coincée sur les dents”.
–  Elle se leva, sortit, les larmes aux bord des yeux. Et merde ! Elle venait de coincer un de ses talons dans la grille d’un égout. Elle se lança alors dans une salve d’onomatopées Grr, Humpf, Grrap…. Et clopin clopant arriva chez elle.
–  Elle enfila un vieux legging, son tee shirt “love me” et alluma l’ordinateur. L’écran afficha “pour des raisons sanitaires le club est fermé pour une période indéterminée”.

Puis celui d’Annick

Hélène, Tanguy et LaVerdure étaient amis depuis l’enfance. Ils s’étaient rencontrés lors d’un concours d’onomatopées au CES de M….. où trônait un platane vieux de 300 ans.
Bien sûr, il n’était pas question de Hamburger à ce moment-là et encore moins d’hamburguesas comme disent les espagnols mais bien de chorizo et de paella cuite au feu de bois qui réunissaient la famille le dimanche.
Lorsqu’Hélène allait au bal, sur ses talons aiguilles, du rouge cerise aux lèvres, dans sa robe froufrouteuse Laverdura, comme disait la tante d’Hélène, sortait sa mobylette rutilante et vrombrissante.
Il faut dire qu’elle n’avait jamais réussi à prononcer correctement le français. D’ailleurs, un jour qu’elle avait accompagné sa sœur à l’école, elle n’avait pas du tout apprécié ce qu’avait dit la professeur et elle était rentrée en répétant tout le long du chemin
Qué conne, qué conne.
Tanguy avait été évincé très rapidement. Laverdura s’accrochait comme la sangsue sur son rocher.  Ses doigts, qui ressemblaient à des ventouses, tentaient vainement d’approcher Hélène. Mais la famille veillait .
Eclatante de soleil, Hélène se fichait des garçons. Allongée sur son lit, elle rêvait, d’océans, de lointains très lointains, de bateaux et de coquillages. Son imagination galopait. Le flux et le reflux des vagues, interminables et hypnotiques, chantaient à ses oreilles.
Partir, partir, tout laisser derrière elle et naître une seconde fois.

L’os à moelle

Elle aimait rousiguer. Ce n’est pas du français ? C’est pourtant bien ce qu’elle faisait et elle le faisait bien. Elle aimait s’acharner pour enlever les chairs, les moindres petits bouts de viande entre les os, que ce soient du poulet, des jarrets, de la queue.
Déjà qu’il y a un gouffre entre la réalité du monde et ce dont je me souviens, je n’y rajouterais pas un autre abime entre les mots, (français ou pas français, avec leurs orthographes), et ce qu’ils disent vraiment. Elle rousiguait, c’est tout.
Elle avait tout son temps et elle rousiguait. Nos parties de campagne avec de bonnes bouteilles et des fromages de chèvres étaient interminables. On avait des fous rires à la voir sérieuse, avec un cure dents – on dit un palillo – fureter dans les os à moelle tandis que le repas s’éternisait ainsi.
Elle était libre et ne se vantait pas mais d’être libertaire lui donnait l’envergure pour voler vers autrui. Elle était féministe mais au vrai sens du terme, pas une séparatiste, pas une identitaire, une femme et ses combats.
Et c’est au cinéma, du temps où nous allions très souvent dans les salles (c’est un regret parfois) que je la vois souvent, que je me l’imagine. Au milieu des copains et de toutes les frangines ? Elle riait forte et fière.
Elle rousiguait vous dis-je.
Et ce n’est pas français.

* Midi Libre : De l’occitan rosegar, le terme “rousiguer” signifie “ronger”, et concerne autant les animaux que les hommes. Rousiguer une viande consiste la plupart du temps à manger ce qu’il en reste sur l’os. Exemple : “Dans le poulet, je n’aime pas le blanc, je préfère la carcasse que je rousigue.”

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Jacques: 
libertaire, cinéma, bouteille, campagne, os à moelle, fromage de chèvre.
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Caillou le 28 avril 2020

Et le texte de Maryse

Nostalgie.
D’habitude, le jeudi vers 20h je me prépare à me payer “une toile” au cinéma d’art et d’essai de mon quartier.
Me voilà confinée, vautrée dans une chaise longue au milieu de mon salon. Je feuillette un vieil exemplaire de l’os à moelle.
Pour accompagner ma lecture j’ouvre une bouteille de Corbières. Entre deux gorgées, je ris en tombant sur une des fameuses petites annonces de Pierre Dac “apprenez l’équitation par correspondance. Pour le galop, se référer à la brochure concernant le trot mais en la lisant trois fois plus vite”.
Ça tombe à pic ! Le sport est vivement conseillé pendant cette période de confinement. Et c’est au trot que je m’avance vers la cuisine pour prendre les petits fromages de chèvre affinés par mémé dans sa campagne ariégeoise.
Je ne sais si c’est le vin ou la lecture de ce vieux journal, mais des bouffées de nostalgie m’envahissent et c’est au grand galop que je vais attraper dans ma bibliothèque “affiches contre…de 68 à nos jours” bouquin de l’imprimerie 34 édité par le groupe libertaire de l’Association pour l’art et l’expression libre.
Je me réveille quelques heures plus tard couchée sur l’os à moelle avec Affiches contre dans mes bras.

Je chante

Le gendarme était au rond point, assis dans la camionnette bleue.
Sur l’ordinateur, il vérifiait mes papiers d’identité que lui avait transmis sa collègue.
Je m’approchais doucement avec mon sac à dos et ma dégaine de vieux routard.
Je me marrais un peu, mais prudemment. On ne sait jamais avec ces gens là. Ils peuvent mal interpréter nos mimiques.
La jeune femme, en uniforme elle aussi, avait envie de rire et essayait de le cacher. Elle pouffait :
– Et vous marchez comme ça depuis longtemps ?
– Depuis ce matin.
– Mais c’est limité à une heure. Vous ne le saviez pas ?
– Non, mais comme je n’ai pas de montre…
– Et vous venez d’où ?
La route était totalement vide, pas une seule voiture en dehors de cette camionnette.
– Je vais de ferme en château
Et vous vouliez faire de l’auto-stop ?
– Oui, mais il n’y a personne.  Alors je chante sur mon chemin.
– Mais vous dormez où ?
– Je couche la nuit sur l’herbe des bois. Les elfes divinités de la nuit. Les elfes couchent dans mon lit.
J’ai sorti de mon sac des fraises trouvées dans les bois.
– Vous en voulez ?
– Non merci. Et vous n’avez ni gants ni masques ?
Alors là, elle m’interloquait.
– Non, pourquoi…
Mais nous avons été interrompu par son chef qui revenait.
– Monsieur, j’ai vérifié vos papiers. C’est de la folie ! Vous n’existez pas. Vous êtes un personnage imaginaire.
Et là il s’est mis à me mimer. Il faisait semblant de chanter tout en marchant de part et d’autre. Comme il était gros et maladroit nous avons éclaté de rire avec la gendarmette.
– Et bien oui, je chante, je chante soir et matin. Ce n’est pas interdit.
– Non, mais vous n’avez pas l’attestation dérogatoire de déplacement ! Vos papiers sont étranges, on ne sait pas d’où vous venez et où vous allez. C’est vous le chanteur, le vagabond. On va vous enfermer. Oui votre compte est bon

Et nous voilà partis, dans la camionnette, pour la ville et le poste de police.
Dans la cellule le compagnon, un laquais chinois, qui y moisissait depuis plusieurs jours, était bègue. Je lui ai demandé s’il avait quelque chose à manger car la faim qui me poursuit tourmente mon appétit. Peut-être un plat de riz ?
Mais il a haussé les épaules et m’a juste répondu
– Tu tu tu e es es là pourrr quoi ? Toi ?
Et j’ai compris qu’il n’y aurait qu’une ficelle qui pourrait me redonner la liberté.
Et j’ai chanté :
– Ficelle soit donc bénie
Car grâce à toi j’ai rendu l’esprit
Je m’suis pendu cette nuit.

(Hommage à Charles Trenet et à sa chanson : Je chante)

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Bernard:
Imaginaire, folie, rire, tutu, mime (le personnage), gendarme
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Caillou le 27 avril 2020

Et le texte de Maryse

Transgression,
Lulu, le mime se préparait. Il savait que c’était une folie. Depuis quelques temps dans le pays le régime s’était durci et la liberté n’était plus qu’un mot encore gravé sur les frontispices des édifices publics. Toute la nuit il avait lutté contre son imaginaire, en vain.
Il devait le faire.
Il était là, derrière un grand drap blanc, les éclairages prêts à renvoyer les ombres de ses évolutions.
Il enfila son tutu rose. Personne encore dans la salle. Il savait pourtant que le dernier décret mentionnait “un homme est un homme, une femme est une femme, à chacun et chacune donc d’en porter le costume”. Il ajusta ses collants scintillants, noua les lanières de ses chaussons sur ses mollets. Plus que 10 minutes. Les bruits de la salle commençaient à lui parvenir. Il se concentra. Les lumières de la salle s’éteignirent et le grand drap blanc s’éclaira. La petite sonate qu’il avait choisie se fit entendre et il entama un pas de deux. Plus il s’élançait dans son espace, plus la joie l’envahissait. Il enchaînait les arabesques, les pirouettes comme jamais. Il exultait ! Des rires fusaient dans la salle et les larmes inondaient son visage. Ils n’avaient rien compris !
Un coup de sifflet, triiit,triiit….. Le gendarme fit taire la salle, déchira le drap blanc. Lulu n’opposa aucune résistance et se laissa menotter. Il l’avait fait !

Dans mon lit

Le moral dans les chaussettes
La moustache cachée sous la couette
Je n’ai pas rêvé : je m’ennuie !
Pas de jardin, pas de semis.
Si je me lève et quitte ce bagne
Ce sera pour boire du champagne
Sinon, tant pis.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Maryse:
Chaussettes, semis, ennui, rêve, couette et champagne.
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Caillou le 26 avril 2020

Et un texte de Maryse:

Olympe.
Elle s’était traînée d’ennui toute la journée. Les godets alignés sur le balcon attendaient les semis qu’elle avait projeté de faire. Elle songeait à tous ces projets avortés, lovée sous sa couette, le moral dans les chaussettes.
Elle éteignit la lampe ferma les yeux et pria Morphée de l’emmener au pays des rêves. Son souhait fut entendu. Soudain un bruit de bouchon qui saute, elle se réveille et se souvient qu’elle était au sommet de l’Olympe contemplant le monde, un verre de champagne à la main.

La visite

Salut
AHU
Qu’est ce que tu dis ?
AHU, HEDI AHU AUZI
OK
HE NE GONFRAN PAS
Je te disais OK
HA ON
Comment ça va aujourd’hui ?
KE DI TU ?
Je te demandais comment cela allait aujourd’hui ?
HE NE GONFRAN BA !
COMMENT TU VAS !
O BA LA BEN DE CRIHER. HE VOI BIAN KE ZA TEMMERD DE FENIR ME VOIR.
Qu’est-ce que tu dis ?
Monsieur vous mettez des postillons sur la vitre ! Remettez votre masque s’il vous plaît !
Mais mon père ne comprend pas ce que je lui dis.
Hein Papa ? Tu lis mieux sur mes lèvres ?
Monsieur vous remettez votre masque immédiatement où j’appelle la police.
J’ai remis mon masque et avec mon père, derrière la vitre en plastique, à l’entrée
de la maison de retraite, nous nous sommes parlés avec les yeux.
De toute façon il n’y avait pas grand-chose à se dire.
C’était le quarantième jour du confinement.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Alain:
Salut, ok, comment çà va, aujourd’hui ?
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.
Caillou, le 25 avril 2020.

Et le texte d’Annick

Okke-Corral
c’était son prénom.
Elle était native de l’Arizona
Et vivait en France
depuis 30 ans maintenant.
Salut ok salut ok salut ok
Le lendemain rebelote… et dix de der
500 fois par jour sur son téléphone
salut comment ça va aujourd’hui ?
du bas de la fenêtre, de l’interphone
couci coussa c’est l’âge
Ah ok salut
et comme ça les jours passaient
Pourtant, avec l’été, les sonneries s’espacèrent peu à peu
pour laisser place à un silence épais et poussiéreux.
Poissant comme la glue
Elle n’avait pas remarqué
que les gens étaient sortis de chez eux
trinquant et riant à la terrasse des cafés.

 

L’aurore aux doigts de rose

Lyne lisait déjà, avec passion, avec joie
ce bouquin oublié dans sa bibliothèque
L’Illiade et l’Odyssée, en vers, traduit du grec
Par Victor Berard, en 12 pieds bien droits.

Ulysse dans les nuages, ouvrait des éclaircies
Homère y échangeait ses mirages à foison
Roselyne, confinée, vivait leurs émotions.
Très loin déjà, très loin, de cette pandémie

qui transforme le monde tout autour de son lit.

(Je remercie Tesson !)

 

 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Roselyne:
mirage, passion, joie, échange, éclaircie, nuage
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Caillou, le 24 avril 2020.

*Sylvain TESSON.
On peut encore regarder ce formidable documentaire sur ARTE, ici.

Et un texte d’Annick

La grenaille autre nom du fruit de la passion
transperce sans joie les corps depuis plus d’une semaine
Sautille, boîte, du rouge autour des yeux
Et change la plainte languissante des éclopées
en un chant doré et suave
qui attend l’éclaircie et le ciel bleu sans nuage

Et un texte de Maryse

L’ascension
Quand elle se réveilla,elle regarda par la fenêtre, les nuages recouvraient entièrement les sommets enneigés et le thermomètre indiquait moins 5. Elle enfila un vieux poncho et sortit dans la cour, le froid la saisit et elle rentra attiser le feu dans la cheminée. Tout en buvant son café, le chien couché près d’elle, elle se dit que si une éclaircie venait à déchirer le ciel, elle irait aujourd’hui les chercher. Elle avait promis de les lui rapporter en échange des délicieux fromages qu’il lui avait donnés la veille. L’ascension lui demanderait 3 heures. 10h sonnèrent au clocher de l’église. Elle sortit sur le pas de la porte et regarda le ciel. Patou leva le museau et déçu repartit se coucher au coin du feu. Elle se dit qu’il fallait calmer son impatience et décida d’aller dans la grange que sa passion pour les vieilleries avait transformée en un inextricable bric à brac. Gisaient là des vieilles casseroles. Les outils du grand père, des vieilles chaises à rempailler……elle passa bien deux heures à défaire des tas…….pour en refaire d’autres. Au final, rien n’avait changé, elle avait juste créé un nouveau bric à brac.
Quand elle ressortit dans la cour, elle leva les yeux et vit quelques déchirures dans le manteau nuageux. Elle regagna la maison, enfila des vêtements chauds, prit son bâton et dit “allez Patou, on y va”. Aussitôt le chien se leva et émit des jappements de joie à l’idée d’arpenter la montagne avec sa maîtresse. Elle prit le chemin derrière la maison. La neige était lourde et ralentissait sa marche. Tout en avançant elle levait les yeux au ciel et voyait les nuages s’effilocher de plus en plus. Au bout de deux heures, le sommet commença à se faire voir. Elle accéléra la marche de crainte que ce ne fut qu’un mirage et bientôt elle atteignit son but. Ils étaient là, étincelants sur la neige. Elle s’agenouilla, les cueillit délicatement et les rangea dans un petit sac. Chaque année elle refaisait inlassablement cette ascension pour quelques edelweiss.

Mon voisin est un drôle de type.

La voiture confinée

En début de semaine, il faisait beau, je l’ai vu tondre sa pelouse, bien proprement.
Sa voiture était confinée mais il en a bien fait le tour. 
Moi, j’étais sur mon balcon, désœuvré, et je le regardais allongé sur ma chaise longue, avec mon grand chapeau de paille, un bon livre et un whisky tourbé de 12 ans d’âge. 
Hier matin, je le vois ressortir de sa maison.
Je croyais qu’il partait en promenade (1 heure et pas plus d’un kilomètre) mais je le vois armé d’un  drôle d’engin. Je reconnais ce que, vulgairement, on appelle une poêle à frire, un détecteur de métaux. Et le voilà parti à faire des allers et retours sur son bout de terrain. Au bout d’un certain temps je le hèle : 
Holà voisin, que cherchez vous donc avec cet engin ?
Il me regarde d’un œil triste et me répond : 
En tondant ma pelouse, j’ai perdu mes clefs de voiture.  

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Jacques:
Promenade, chapeau, poêle à frire, whisky, livre et chaise longue
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Caillou, le 23 avril 2020.

 

Et la réponse d’Annick:
Merci pour ce petit exercice quotidien

Près de la chaise longue restée pliée tout le printemps
Les pages du livre s’envolent doucement
Le verre de whisky à la main, la poêle à frire dans l’autre
Elle ne sait plus ce qu’elle doit faire. Boire la poêle ou faire frire le whisky.
Elle regarde autour d’elle, un peu perdue, un peu confuse.
Prend son chapeau. La promenade du matin lui fera du bien.
Elle lève la tête, les nuages avalent doucement les pages 
tend les mains, se retourne, se retourne de nouveau, surprise d’être là.

Le chouchen

Il y a une bonne cinquantaine d’années, j’allais souvent dans un restaurant breton qui se trouvait derrière la gare Montparnasse, dans le 14èmearrondissement, à Paris. Nous étions toute une bande. Certaines faisaient du Vo-Vietnam1, un sport de combat, pour pouvoir se défendre contre les fascistes d’Ordre Nouveau. Je crois que la salle de sport était dans le quartier. 
J’ai perdu de vue la plupart de mes camarades de l’époque. Déménagements, éloignements, ruptures, replis… Certains sont morts, d’autres m’ont déçu et on ne se parle plus depuis longtemps. Peu importe, c’était une bande de potes, garçons et filles, et dans mon souvenir c’est la bande qui me reste, plus que les membres qui la composaient.
Je me souviens qu’on chantait des couplets de La belle Hélène2 à pleine voix dans les rues en sortant des bars, avant de se séparer pour prendre les derniers métros. Nous étions beaux et minces, sobres et militants (pas tous), mais aussi pleins d’envies, pleins de vie, et pas toujours sérieux. Il faut mettre tout cela au féminin, bien sûr. Elles étaient aussi nombreuses que les garçons.
Bref, assez de nostalgie désuète, revenons à ce restaurant populaire où
j’ai bu pour la première et dernière fois du chouchen3
Je n’avais pas de chien
Je n’aimais pas le chou4
C’était chouette chez Laurette5
Chouchou6 c’était le nom d’un personnage de Salut les Copains dont on ne voyait pas les yeux.
Et puis, toute cette période est partie dans la charrette du temps qui passe et ce n’est plus qu’un vieux chiffon sale dans mon cerveau-grenier.
Mais quel rapport, me direz-vous, entre tous ces mots si disparates ? C’est qu’ils se bousculent en courant pour aller se réfugier dans un vieux restaurant de prolétaires bretons du 14ème, quelque part derrière la gare Montparnasse.
Allez savoir pourquoi ? 

1° http://vo-vietnam.org
2° De Jacques Offenbach
3° Une sorte d’hydromel bien sirupeux
4° Fleur, surtout en béchamel !
5° C’est ce que chantait Michel Delpech quelques années plus tôt.
6° Chouchou

Chouchou

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Gaby:
Chou, Chien, Chouette, Chouchou, Charrette, Chiffon

Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou, le 22 avril 2020.

Et le texte d’Annick avec les mêmes mots:

Chouchou viens
Pas toi le chien
La charrette passe regarde
Pas si près, on va nous voir 
ils ont embarqué le voisin chouchou
ah ben j’ui avais bien dit chouchette
Si tu dénonces comme ça tes voisins
Ca va mal finir
Regarde regarde…
il a pas de masque
Qu’est ce qu’on mange à midi
des choux raves cuit au torchon chouchou
Chouette chouchette