Archives mensuelles : février 2008

APRES L’AMOUR

Pour Gaby, elle sait pourquoi…

 

salonlivres

– Madame Lacroix ? Oh j’ai toujours adoré vos romans !
Debout de l’autre côté de la table, elle me tend mon livre, paru deux mois plus tôt… Moi, assise derrière ma pile d’ouvrages, je prends le volume et en ouvre la page de garde.
– C’est pour vous ? À quel nom ?
– Christine. Oh, vous savez j’ai lu tous vos livres.
Comme je n’en avais écrit que deux et que le premier est un ouvrage touristique sur le Sud marocain, je me dis qu’elle doit confondre. Peut-être sera t-elle déçue, cette jeune femme si sage, lorsqu’elle découvrira plus tard, en me lisant, qu’elle m’a confondue avec une autre … Je ne lui dis rien. Je n’ai pas beaucoup de lecteurs cet après-midi et je me sens si seule dans la cohue de ce salon littéraire.
Je pends tout mon temps pour lui dédicacer son exemplaire.
Pour Christine, dans la complicité du douzième festival du Maghreb à Paris, puis avec ma belle signature en dessous je lui rends Le vent de l’Atlas.
J’ai encore pour une demi-heure à attendre puis je pourrais m’en aller. Je ne connais personne de ce côté de la table. Et de l’autre côté non plus !
Mon voisin de droite, un vieil ethnologue qui a, en arrivant, jeté un coup d’œil méprisant sur mon roman, m’a découragé de toute conversation, avec quelques réponses laconiques et désabusées. Et celui de gauche, un chevelu, a devant lui une véritable file d’attente et dessine des dédicaces à n’en plus finir sur la page de garde de ses BD.
Pas très rigolos ces salons mais pour se faire connaître un écrivain se doit d’y faire acte de présence. La table est longue et nous sommes tous assis, tout au long, des écrivains, un peu comme des putes le long des boulevards extérieurs. Il y a du bruit, des conversations, des annonces au micro… Dès fois, je rencontre des auteurs que j’apprécie, mais pas aujourd’hui.
Tout à l’heure je rentrerai chez moi. Il n’y aura plus personne à la maison. Je recommencerais à écrire, à faire la seule chose que je sais faire. Écrire pour oublier, comme d’autres boivent. Essayer d’oublier cet amour qui fout le camp, cette déchirure, cette absence que je sais définitive d’un homme que j’ai aimé et que je n’aime plus vraiment. Oublier cet homme qui part, et me laisse seule, alors que je ne sais plus ce que je veux et où je vais. Je dois changer, changer complètement mais peut-on changer sans se perdre?

dutrain

Assis à contresens, le paysage de la banlieue s’enfuit au loin. Bientôt la nuit tombera sur la ville mais je serai parti, très loin, vers le sud, vers Toulouse, puis, dans deux jours, Sète, le bateau, Essaouira et ma maison, là-bas, au bord de l’océan. J’y retrouverai mon pays de vent et de vagues, mon pays lointain, quitté depuis huit ans, huit années d’exils…
Dans le compartiment, nous sommes trois.
À ma droite, un homme, un Français, bien habillé, qui dort, la tête contre la vitre du côté du couloir. Lorsqu’il est monté, il n’a rien dit en entrant, même pas bonsoir, puis il a posé sa valise au-dessus, et il s’est endormi, tout de suite. En face de moi, un jeune à cheveux longs, blanc lui aussi, qui rêvasse en regardant le paysage, mouillé, de l’autre côté de la fenêtre, son sac à dos sur la banquette. Et puis moi, qui n’ai aucun bagage, et qui file, le dos tourné au sens du train. Lui regarde l’avenir, ce qui l’attend. Moi, ce que je vois de ce pays c’est déjà le passé, ce que nous avons traversé, ce qui s’enfuit. La Loire, immense, que l’on traverse, puis les futaies de Sologne. Bientôt il fera nuit noire.
Le jeune homme est monté à Orléans. Il a dit bonjour, nous avons échangé un sourire, et puis il s’est plongé dans la lecture d’un livre et je n’ai plus entendu le son de sa voix. Ce n’est pas un train rapide. C’est un vieux train de nuit aux multiples escales.
Qu’est-ce qu’elle fait ce soir ? Pour la première fois depuis novembre, elle restera seule dans son grand appartement désert d’intellectuelle, avec tous ses livres un peu partout, les abat-jour qui font des taches de lumière, son bureau couvert de papiers, de notes, de dictionnaires, de feuilles et son sacro-saint ordinateur portable. Est-ce qu’elle écoute le disque de Brahms ? Est-ce qu’elle pleure ? Est-ce qu’elle pense encore à moi ?
Tout à l’heure sur le quai, elle avait, dans son imperméable gris, les larmes aux yeux. Je l’ai tellement aimée, et sais bien que je ne la reverrais plus ! Je la laisse derrière moi, et je reviens au pays. C’est fini la France. C’est fini l’amour.
Je ne suis plus du tout celui qui est parti, il y a huit ans !
Mais si je sais où je vais, je ne sais plus du tout ce que je veux. Peut-on changer sans se perdre?

Caillou. 29 février 2008

Pour bien faire ce texte devrait être en deux colonnes, surmontées des deux photos.
Mais ce n’est pas possible sur un blog.

Métamorphose ?

À_Versailles_le_5_octobre_1789

 

Derrière les grilles du palais
L’esplanade laisse planer le doute
D’où viendront ceux que je redoute ?
Le peuple armé de toutes ses plaies.

Ceux dont je perçois les clameurs
se renforcent. Ils doivent hésiter.
La populace est rassemblée
Le lever du jour sera l’heure ?

Je les entends voilà qu’ils chantent !
Mes gardes se sont retranchés
Face à la nuit, face à l’attente
Les bouches des canons sont dressées

Dans les faubourgs ouvriers
Ils tuent, ils pillent, ils incendient
Ils s’arment, ils rêvent et certains prient.
La ville s’est mise à marcher

Ma petite fille arrive en pleurs
Courant dans tous les corridors
Et me dit qu’en fuyant l’aurore
Dans sa berline elle a eu peur

En voyant les éclairs de feu
strier la nuit noire sur les quais.
Le sang rougir le fleuve épais
des vieilles colère des banlieues

Toutes les rues de Saint-Gervais
Sont transpercées de barricades
Les sommiers forment des étais.
Les hommes s’enrôlent en brigades

Du fond d’un hangar une arpète
Revient tenant un chalumeau
« on va faire griller les pourceaux
Ouvrons les portes, c’est la fête »

« L’hiver est trop long, dans les mines
dans les champs et dans les usines
Le peuple meurt de famine
Le roi nous pille, le roi nous tue ! »

Le roi n’est plus la loi divine
Il faut dresser la guillotine
Niveler les riches à notre hauteur
Roulez tambours ! Sonne l’heure ! »

Le matin se lève en hurlant
La mitraille a des soubresauts
On se bat, j’entends les galops
Je fais entrer mon porte-pôt.

Il est tout noir. Salutations.
Je lui murmure tout doucement
Est-ce la une métamorphose ?
Non sire c’est une révolution

Caillou 19 février 2008

Résistance

J’ai glissé dans la pente. J’ai glissé sur des feuilles mouillées dans le sous-bois. La forêt descend brusquement quand tu quittes la crête, un peu en dessous du col. Mais c’est beaucoup plus court pour atteindre le chemin dans la vallée. Sinon, si tu passes par le sentier, c’est 15 kilomètres pour passer par le village du haut avant de bifurquer. Et cette nuit-là je n’avais pas le temps. Le message reçu la veille était impératif. Ils ne pourraient pas arriver avant six heures et nous devions repasser le col avant le lever du soleil, vers huit heures en février. Alors en pleine nuit, avec ce ciel de matelas au-dessus de ma tête, pas un coin de lune, et seul le petit rayon lumineux de la frontale, c’était vraiment casse gueule.

Je me suis ramassé quelques mètres plus loin, contre un tronc d’arbre. J’étais trempé et le genou très douloureux. Je me suis relevé et j’ai continué en boitant. Merde ! Le chemin du retour allait être difficile. Je n’avais pas le moral. C’est alors que j’ai entendu le moteur du camion qui remontait le chemin, en contrebas. Lampe éteinte, j’ai continué à descendre d’arbre en arbre, en tâtonnant et sans faire de bruit.  Je suis enfin arrivé sur le bas-côté et me suis glissé derrière le mur de la grange.

J’ai observé le camion frigorifique qui gravissait la pente. Il haletait péniblement puis s’est garé de l’autre côté du bâtiment. Attendre sans se montrer. Il vaut mieux être prudent. Mon prédécesseur s’est fait prendre par la PAF, il y a déjà 2 mois et je n’ai pas du tout l’intention de le suivre dans les prisons de la République. La porte de la cabine s’est ouverte, doucement et des pas ont fait crisser le gravier vers l’arrière. Le claquement de la porte arrière du camion et puis il y a eu la voix qui murmurait Descendez, on est arrivé. Et cette voix, je l’ai reconnue tout de suite! C’était celle de Mathieu, un copain de rugby de l’équipe de M. J’ai rigolé et fait le tour de la grange. J’avais toujours ce genou qui me tirait mais j’étais très content d’entendre une voix connue.
Il s’est retourné et m’a foutu la lumière de sa torche dans la tronche. On est tombé dans les bras l’un de l’autre dans un éclat de rire.
– Où tu as mis le ballon ?
– Je n’ai plus le temps de jouer, mais je suis bien content de te retrouver dans cette galère !
– Et moi donc ! Maintenant on joue à autre chose, pas vrai, vieux macho !

Derrière lui il y avait maintenant trois ombres silencieuses. Les gens descendus du camion. Mathieu m’as serré le bras puis il s’est retourné et m’a présenté.
– C’est votre passeur. Vous pouvez compter sur lui, c’est un vieux copain.
C’était un homme d’une quarantaine d’années accompagné d’une femme plus jeune et d’une jeune fille. Celle-ci a soufflé aux deux autres quelques mots dans une langue que je ne connaissais pas. Puis elle nous a demandé, dans un français un peu hésitant :
– Parents ne parlent pas langue. Moi peu. Vous parler anglais ?
J’ai répondu lentement et en articulant que nous n’aurions de toute façon ni le temps ni le souffle pour faire de grands discours.

Mathieu a sorti une gourde de peau et l’on a bu tous les cinq, debout, un peu de ce vin noir d’Aragon en mangeant du pain et des œufs durs.
– Ce sont des évadés de Pithiviers, des clandestins, une famille Azéris.
La jeune fille a dit, tout doucement :
– Plus compliqué ! Papa Azeri mais maman Arménienne. Chassés partout !
Nous ne savions pas quoi dire. Il y a eu un long silence puis elle a chuchoté :
– Moi, aujourd’hui…  17 ans !
Mathieu et moi avons chantonné : Joyeux anniversaire… Et l’on a rigolé, tous ensemble, de cette incompréhension et de ce contraste entre un anniversaire et une évasion.

Le vent s’est levé, tranquillement, apportant les odeurs du champ labouré d’en face. Les feuilles des arbres bruissaient doucement. Le ciel commençait déjà à pâlir vers l’Est. Alors j’ai fait signe qu’il fallait partir, ils ont pris leurs sacs à dos et les deux valises et j’ai serré mon copain dans mes bras.
– Tu pars tout de suite ?
– Et comment ! J’ai deux heures pour les passer de l’autre côté, et avec deux valises et mon genou, cela ne va pas être de la tarte !

Mathieu souriait, enfin je crois car je ne voyais pas son visage, mais des fois les sourires, on les entend.
– À bientôt sur le terrain alors ?
– Ce régime n’en a plus pour très longtemps, et dès qu’il est tombé, on se remet au rugby ?

Mathieu et moi on s’est embrassé.
– Tu peux prévenir le réseau pour qu’on nous attende de l’autre côté, vers 10 heures ?
– Bien sûr. Bonne route.
– Merci Camarade !

Caillou. 13 février 2008.

Merci à Claire pour les consignes : Un chemin, à gauche un champ, à droite la forêt; garé sur le bord un camion comme posé là au milieu de nulle part. (Ou la cour d’une ferme, ou les deux).  6 mots: mur / vin / clandestin / ballon de rugby / anniversaire / observer.