Archives de catégorie : Mémoire

L’exposition La Part visible des camps à Toulouse

En novembre 2025 l’Amicale des anciens déportés du camp de concentration de  Mauthausen tient son congrès à Toulouse.

Et du coup, à cette occasion, l’amicale présente, pendant tout le mois de novembre, une exposition tout à fait exceptionnelle:

La part visible des camps

Une grande partie des images présentées sont liées à l’extraordinaire histoire de Francesc Boix et de la résistance espagnole interne au camp qui ont réussi à documenter et à sauver les preuves de la barbarie nazie.

 

L’exposition « la part visible des camps »,
est installée pour tout le mois de novembre
dans le hall de la bibliothèque universitaire de la faculté de Droit de Toulouse.
2 Rue du Doyen-Gabriel-Marty 31042 Toulouse Cedex 9
Je ferai le guide samedi 8 et lundi 10 novembre dans l’après midi.
Caillou, le 4 novembre 2025

Merlinettes: la rencontre du 28 octobre 2025 à Paris

Nous nous sommes réunis dans le jardin de la sous-lieutenante d’Eugénie-Malika Djendi

Puis nous avons été manger au restaurant, ce qui nous a permis d’échanger entre familles de Merlinettes…

… avant d’aller assister à une prise d’armes en leur honneur à l’intérieur de la forteresse du Mont-Valérien. Nous y étions accueillis par le 8ème régiment des Transmissions.

Caillou, le 3 novembre 2025

Le livre du Général Merlin

Il est souvent cité dans les articles sur les Femmes Soldats Françaises, les Merlinettes. Voici le texte intégral de cette brochure qui date de mars 1947
On en excuseras le discours paternaliste, machiste, qui en dit long sur les conceptions de ces temps anciens. Mais la tendresse, l’admiration et la bienveillance y sont aussi présentes. Et ce texte donne beaucoup d’informations très utiles pour comprendre la formation de cette unité oubliée! 

LES FEMMES DANS L’ARME DES TRANSMISSIONS

Et quand le soir viendra de toute plénitude,
C’est elle la savante et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris dans sa sollicitude
Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Dans la cour de justice et de béatitude
Le troupeau le plus sage à la droite du Père.
Les Tapisseries de Charles Péguy.

Le seul titre de cette chronique fera sourire peut-être nos jeunes et nos Anciens qui trouvent étrange la présence des femmes dans notre Arme, et pourtant j’aborde ce sujet sans aucun esprit de frivolité, bien au contraire.
Cette question réveillera le mauvais esprit critique qui s’est trop souvent développé dans le grand public et dans la presse métropolitaine sur cet important problème.
– parce que polémistes ou journalistes ont été mal informés des services considérables que les femmes ont rendus à notre Arme,
– parce qu’ils sont incapables de comprendre que beaucoup de Françaises ont su, de 42 à 45, être autre chose que des joujoux,
– parce qu’ils se refusent à croire que les Françaises ont su mieux faire leur devoir qu’eux,
– parce qu’ils ont ignoré ou méconnu les dévouements magnifiques et les sacrifices qu’elles ont apportés à l’œuvre de libération du sol national,
– parce qu’ils n’ont pas admis, en un mot, de recevoir une leçon de patriotisme d’une femme. Les chansonniers eux-mêmes ont pris à partie la Femme-soldat ; au lieu d’en rire et d’en blaguer, ils auraient mieux fait d’exalter leur courage, de chanter leurs exploits ou tout au moins de leur « tirer leur chapeau » ; mieux éclairés, je souhaite qu’ils le fassent par souci de justice.
Je pense que, pour mettre les choses au point et faire éclater et triompher la vérité, il vaut mieux dire ce que je sais de la femme-soldat pour que tous nos officiers sachent parfaitement à quoi s’en tenir sur ce problème sérieux et d’intérêt national qui touche si gravement notre mission essentielle de paix et de guerre « l’exploitation ». Il faut que, parfaitement et honnêtement éclairés, nos officiers prennent énergiquement, en tout lieu et en toute circonstance, aussi bien dans la rue que dans un salon, la défense de la Femme-soldat et remette cette dernière, dans l’esprit des Français, à la place qu’elle mérite, comme Femme d’abord, puis comme Femme-Soldat : à la première place. J’examinerai ainsi successivement les questions suivantes :
– pourquoi j’ai créé le Corps Féminin des Transmissions (C.F.T.),
– le démarrage, l’organisation et l’expérience de Tunisie,
– les enseignements de l’expérience tunisienne : l’instruction des cadres féminins,
– la création des unités géminées,
– la transformation du C.F.T. en A.F.A.T.,
– les difficultés de vie sous l’égide des A.F.A.T.,
– la solution de transition,
– le martyrologe du C.F.T.,
– conclusion : la solution du problème par l’Arme et dans l’Arme.

POURQUOI J’AI CRÉÉ LE CORPS FÉMININ DES TRANSMISSIONS.

L’Afrique du Nord n’a jamais été pour notre Arme un réservoir de spécialistes. En dehors de nos réservistes appartenant, dans la proportion de plus de 50 %, aux administrations des P.T.T. du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, les autres rentrent dans une forte proportion dans la catégorie des « affectés spéciaux ». En novembre 1942, l’armée de l’armistice de l’A.F.N., les cadres latéraux présentaient des déficits parce que les commissions allemande et italienne de Marseille freinaient énergiquement les embarquements des jeunes métropolitains désireux de s’engager hors de France.
L’installation des Alliés en A.F.N. et du Gouvernement provisoire à Alger a posé une série de problèmes graves aux administrations des P.T.T. J’ai été mis dans l’obligation de laisser à la disposition de celles-ci la presque totalité de leurs spécialistes et d’admettre comme une nécessité inéluctable un déficit correspondant dans les Unités des Armées.
Malgré un large emploi des ressources des contingents indigènes, il ne m’était pas possible d’arriver à mettre sur pied les Unités de transmissions prévues par le Général GIRAUD dans son armée de 300 000 hommes.
J’ai alors repris les projets d’utilisation de main-d’œuvre féminine que j’avais lancés dès janvier 1942 pour renforcer nos effectifs camouflés dans les « Cadres latéraux » de l’A.F.N. C’est pour cela que le premier texte de base parle d’un Corps militaire de Femmes dans le cadre de l’administration des P.T.T. (Cf. Annexe N° 1).
Un renfort de 1 000 femmes instruites comme téléphonistes, télétypistes, opératrices radiotélégraphistes, devait me permettre de résoudre le problème « Effectifs de l’Armée de la Libération ».
Il n’y avait plus qu’à passer à l’action.
Le Corps Féminin des Transmissions (C.F.T.) était créé le 20 novembre 1942 et son organisation faisait l’objet de l’instruction N. 613/1/0 du 18 décembre 1942 (Cf. Annexe N° 2).

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LE DÉMARRAGE
La mise sur pied du C.F.T. posait une foule de problèmes : commandement, encadrement, logement, alimentation, locaux d’instruction, aménagement technique des locaux d’instruction, habillement (tenues, linge de corps, chaussures), etc., etc…
Il faut avoir connu l’A.F.N. en fin 1942 pour se faire une idée à peu près exacte des difficultés inouïes à résoudre dans cette A.F.N. presqu’entièrement vidée des 4/5 des ressources de la vie courante d’avant-guerre, ressources qui, jusque-là, venaient de la Métropole.
Dans ces moments difficiles, j’ai confié la constitution du C.F.T. à trois personnes qui ont parfaitement compris mes larges directives et auxquelles je voue une profonde reconnaissance, car ce sont elles qui ont fait le C.F.T. et qui sont les véritables artisans de son succès.
J’ai nommé :
– le Général, alors Lieutenant-Colonel BRYGOO, chef aimant les responsabilités et les difficultés et se jouant avec aisance et réussite des unes et des autres,
– le Capitaine COT, belle figure d’officier et de chef de famille, homme droit, énergique et toujours profondément humain
– et surtout l’admirable Mme TRABUT, âme supérieure, qui s’était déjà distinguée dans une association de protection de l’enfance et dans l’œuvre de placement des enfants de France et d’Algérie (œuvre Guynemer) ; après avoir veillé sur des enfants, sa sollicitude et sa bonté allaient s’étendre avec tant de bonheur sur des enfants un peu plus grands, des jeunes filles ou des jeunes femmes de 17 à 30 ans.
Mme TRABUT allait entreprendre une œuvre sociale splendide dont elle a compris immédiatement l’importance capitale.
Il faut dire ce qui est. À l’origine, certaines volontaires s’étaient engagées avec l’espoir de trouver plus de liberté (sinon de la conquérir) pour s’adonner plus facilement à une vie de joies et de plaisirs ; elles ne tardèrent pas à revenir de leurs illusions et à rendre au magasin d’habillement leur tenue militaire avant de redevenir des « civiles intégrales ». En décelant rapidement ces quelques brebis franchement galeuses et en les éliminant, Mme TRABUT est entrée de suite dans ce domaine si difficile et parfois si décevant de l’Assistance Sociale. Rassurer des familles un peu effarouchées par le désir de leur fille de s’engager au C.F.T. ; mener des enquêtes morales profondément délicates ; se pencher sur les misères tant physiques que morales qui s’étaient déjà abattues sur tant de jeunes épaules féminines. Pour toutes, être une seconde Maman… alors que certaines ne se rappelaient même pas leur Maman…, alors que certaines ne parlaient que de leurs détresses morales après une expérience sentimentale profondément lamentable.
Tout cela, Mme TRABUT l’a fait avec un tact parfait et un grand cœur. Qu’elle me permette ici encore de lui adresser mes remerciements les plus sincères.
Je me souviens qu’une fois, elle m’avait demandé de recevoir en sa présence une cinquantaine de jeunes « Merlinettes », puisque c’est ainsi qu’elles se sont baptisées. Il y a plus de quatre ans de cela et je me souviens encore de l’émotion profonde que j’ai ressentie de ces six ou sept heures d’audience. Parmi ce groupe il y avait quelques jeunes filles ou jeunes femmes qui représentent encore à mes yeux la quintessence de la douleur humaine ; il fallait que, pour être restées honnêtes, elles aient une force de caractère peu commune. L’une d’elles était entrée dans la pièce où nous étions, Mme TRABUT et moi, avec une pauvre mine de « chien battu » ; interrogée avec douceur et bonté, elle a paru d’abord étonnée de tant de sollicitude, elle qui était habituée à être rudoyée et traitée sans ménagement ; elle n’a d’abord répondu à mes questions que par monosyllabes, puis, peu à peu, elle s’est mise en confiance. Elle a compris que nous ne l’interrogions que pour son bien et pour l’aider, si elle le voulait, à faire son bonheur. « Oh ! oui, moi aussi, je voudrais tant être heureuse », disait-elle. Un horizon nouveau s’ouvrait pour elle. De ses grands et beaux yeux noirs se dégageait une joie immense : la promesse et la perspective d’une vie qui pouvait être heureuse. Le « chien battu » était mort, c’est une jeune fille transformée, riante et heureuse, qui est sortie du bureau. Voilà de la bonne assistance sociale. Je dois dire que cette jeune fille a bien, en effet, trouvé au C.F.T. le bonheur dont Mme TRABUT et moi lui avions révélé la possibilité ; elle est aujourd’hui l’épouse d’une nos garçons et la jeune mère de deux enfants charmants.
Tout de suite, ce problème de l’Assistance Sociale a pris une importance considérable dans le C.F.T. Aujourd’hui encore, je maintiens que c’est la partie capitale de l’organisation d’un Corps Militaire Féminin. Enlevée à son milieu social, la Femme-Soldat est littéralement transplantée. Elle a besoin d’avoir quelqu’un ou quelque chose à qui ou à quoi se raccrocher. C’est l’assistante sociale, si celle-ci est réellement bien une femme de grand cœur et connaissant la vie, que la Femme-Soldat vient trouver. C’est à elle qu’elle se confie, qu’elle se confesse. Il faut qu’elle soit, comme l’avait si bien compris Mme TRABUT, une Maman pour ses filles, une Maman assez avertie pour ne pas s’en laisser conter, une Maman assez forte pour ne pas se laisser émouvoir par une sensiblerie voisinant la faiblesse, mais aussi une Maman assez énergique pour donner un conseil avec douceur et même une nuance de tendresse. Je reviendrai d’ailleurs sur ce sujet.
Ce problème, bien posé dès la création du C.F.T., m’a vite amené à traiter celui, non moins important, de la conduite. Dès le début de février 1943. je rassemblais le C.F.T. à l’École de la rue du Divan et je prononçais l’allocution suivante : « Jeunes femmes et jeunes filles de France, je vous remercie d’avoir répondu si nombreuses à mon appel et je vous en félicite. J’ai besoin de vous, car l’Afrique du Nord, votre terre natale ou votre terre de refuge, ne peut pas me donner tous les garçons dont l’Arme a besoin pour rendre à notre patrie sa liberté et son indépendance après la victoire à conquérir.
Je vous annonce tout de suite que l’existence qui vous attend ne ressemblera en rien, pour certaines d’entre vous tout au moins, à celle que vous meniez hier. Finies les gâteries, les petits soins. Avec tous les ménagements que comporte votre état de femme, avec toutes les ressources que nous assurent nos maigres moyens, nous ferons l’impossible pour vous donner le confort maximum, mais sachez bien que ce dernier sera sommaire. Vous serez conduites en soldats et il faudra vous faire aux exigences sévères de la vie en commun avec tous les désagréments qu’elle comporte. Comme nos sapeurs, vous provenez de tous les milieux de la Société nord-africaine. Certaines ont

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été jusqu’ici gâtées et choyées dans un foyer heureux, d’autres ont dû déjà, malgré leur tout jeune âge, faire connaissance avec les dures nécessités de l’existence malheureuse. Maintenant fondues dans un même corps, sous l’austère uniforme de gros drap du C.F.T., vous êtes toutes des sœurs. Aimez-vous et aidez-vous comme des sœurs, que les riches prennent en discrète affection les déshérités de la fortune.. Désormais, vous êtes toutes attelées au même labeur, toutes vous êtes les « artisanes » d’une même œuvre dont le fruit ne « peut être et ne sera que la victoire.
Tout de suite, j’aborde un sujet grave, celui de votre conduite. Hier encore, et en admettant que cela ait pu être une incartade grave de conduite, un scandale dans la rue ou ailleurs, ne pouvait salir que celle qui en était l’auteur. Aujourd’hui, la même faute a des conséquences infiniment plus graves ; la coupable salirait et son nom et son uniforme. Et voilà qui est grave. Désormais, vous êtes toutes solidaires. Or, j’entends que le C.F.T. se fasse remarquer tant par son travail technique que par sa tenue extérieure. Si parmi vous il y a e des brebis galeuses impénitentes, il ne faut pas hésiter à les montrer du doigt, nous les renverrons sans oublier toutefois que nous n’avons pas le droit « de ne pas essayer de ramener dans le droit chemin les Marie-Madeleine repentantes. J’ai besoin de toutes les bonnes volontés et j’accepte tous les repentirs à condition qu’ils soient sincères. Seulement, et j’insiste, j’entends que le C.F.T. ait une conduite irréprochable. Maintenant que je vous ai averties de vos responsabilités, il n’est pas mauvais que je m’étende sur les miennes et sur celles de vos instructeurs. Le pays nous confie déjà 300 de ses filles, d’autres suivront. Sachez que devant le pays et devant notre conscience, nous sommes responsables de ce trésor confié à nos soins ; jeunesse du pays, nous devons veiller sur vous, car vous êtes l’avenir. Vous venez aujourd’hui remplir un devoir patriotique, c’est parfait, mais quand le pays aura retrouvé son régime de paix, nous devrons vous rendre à la vie civile où vous aurez alors à remplir votre devoir de nature, créer un foyer, être mère. Je ne veux à aucun prix que, redevenues civiles, vous ayez à rougir d’avoir appartenu au C.F.T. Par votre conduite dans les villes des arrières, par votre conduite au front, il faut que les garçons vous jugent et vous jugent bien. Leur jugement à venir dépend de vous. Quant à moi, je vous préviens que je ferai tout pour que le respect général vous entoure, mais je vous le répète, on n’est respecté et considéré que dans la mesure où l’on se respecte soi-même.
Dans quelques semaines, vous quitterez le Centre d’Instruction d’Alger pour être dirigées sur le théâtre d’opérations. Attendez-vous à des : jours sans charme et sans confort ; le travail intensif sera votre seule distraction. C’est là surtout que « vous serez jugées. Je vous préviens que le jugement des garçons sera sévère et souvent dénué d’aménité ; vos oreilles risqueront d’entendre des propos grossiers. Demeurez indifférentes sans être hautaines ni pimbêches et passez votre chemin ; si le garçon sort vraiment des limites, remettez-le à sa place sans grand fracas ; vous aurez fait œuvre « de charité. Ce garçon qui vous aura paru un rustre, un grossier personnage, n’est peut-être rien de tout cela. C’est un pauvre petit gars qui descend des lignes et qui se dit : J’en suis revenu, en reviendrai-je la prochaine fois ? Dieu seul le sait, « alors cherchons une bonne fortune, ce sera toujours ça de pris. Et puis, vous le verrez vite, ce n’est pas le soldat de 2eme classe qui sera dangereux pour vous, ce n’est même pas le sous-officier. Le « danger, pour vous, c’est l’officier. Voilà pourquoi votre règlement de service intérieur est si draconien en ce qui concerne les invitations dans les popotes. Tant pis pour vous, j’aime mieux vous priver d’office d’un excellent repas que de risquer de vous faire faire un faux pas ; j’en prends la « responsabilité, vous me maudirez peut-être sur le moment, mais cela m’est indifférent ; vous reconnaîtrez plus tard que j’avais raison.
Vous remarquerez combien, dans ce premier entretien, j’ai peu parlé de votre travail. Pourquoi ? Parce que, en ce domaine, je suis certain du succès. Venues à nous volontairement, je sais que vous travaillerez de tout votre cœur de bonnes petites Françaises, à apprendre ce qui va devenir votre spécialité. Là, le résultat est certain, il n’y a qu’à vous regarder, on lit dans vos yeux cette volonté farouche de servir. Et j’entends de bien servir. Or, bien servir, c’est bien travailler et c’est honorer son uniforme en tous lieux et en toutes circonstances. Pour vous, sachez que la conduite extérieure est quelque chose de capital. Dans les rues de nos villes, vous allez faire quelque peu sensation. Imposez-vous par la correction impeccable de votre tenue et le souci profondément ancré de respecter votre uniforme.
Si par hasard quelques écervelées venaient à oublier ce précepte fondamental, il faut qu’elles sachent bien qu’elles en seraient les conséquences. Au cours d’une carrière déjà longue, j’ai eu trop souvent le pénible devoir d’ensevelir quelques-uns de mes sapeurs morts pour la France, ils sont descendus au tombeau portant sur le col de leurs vareuses l’écusson de la Télégraphie Militaire. Cet écusson, c’est celui que vous portez. Par conséquent, salir votre écusson, c’est salir l’écusson de « la Télégraphie Militaire, c’est salir le Corps auquel vous appartenez désormais et où vous êtes venues e librement, c’est déshonorer vos frères aînés de l’Arme morts pour la France, et cela, j’espère qu’aucune d’entre vous ne l’osera. Si l’une d’entre vous l’osait cependant, que ces paroles lui reviennent à la mémoire avant de fauter ou que ses camarades les lui remettent en mémoire. Jeunes femmes et jeunes filles du C.F.T. il fallait que ces vérités vous soient dites ; tâchez de vous en souvenir. Maintenant il faut travailler pour servir totalement de tout votre cœur et de toute votre a âme. Sachez que je vous en demanderai beaucoup ; aucun de nous ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais il est certain que parmi vous, il y en a qui ne reviendront pas. La guerre exige des sacrifices. Des garçons de France vous ont montré l’exemple sur le chemin du sacrifice total ; il est réconfortant de voir des Filles de France prendre le même chemin. Voilà pourquoi nous avons confiance dans le succès total du C.F.T.
À toutes, bonne chance et n’oubliez jamais que, modèles de dévouement et de patriotisme, de devoir et d’honneur, vous êtes celles qui devez donner l’exemple de toutes les vertus aujourd’hui sous les fanions de la Télégraphie Militaire, comme demain, après la Victoire, dans les foyers où vous serez épouses et mères selon les vieilles traditions de notre chère France.
Et maintenant, au travail, et toujours avec le sourire.
Telles sont les grandes idées qui ont été et sont restées les principes mêmes du C.F.T.

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L’ORGANISATION

Le recrutement a toujours été caractérisé par la recherche d’un niveau intellectuel et d’un niveau moral élevé.
En principe, une instruction du niveau du Brevet Élémentaire était exigée des candidates. Celles qui ne possédaient aucun diplôme étaient astreintes à passer un examen de connaissances générales, portant sur l’orthographe, la rédaction, la géographie et l’arithmétique. Ceci, évidemment, indépendamment des conditions purement médicales et de moralité.
À la date du 1er mars 1944, le bilan du C.F.T. s’établit comme suit :
– Candidates reçues: 2.500
– Candidates retenues : 2.200
– Licenciements prononcés: 300
– Engagements effectués au titre des Forces Terrestres anti-aériennes (opératrices mutées à l’Armée de l’Air, le 1er février 1943): 400
L’état des diplômes universitaires était le suivant :
– Licences 10
– Baccalauréat 50
– Brevet supérieur 17
– Brevet élémentaire 225
Un petit nombre de candidates peu instruites et dispensées de l’examen probatoire a dû être retenu pour tenir des emplois auxiliaires indispensables : lingères, cuisinières, serveuses, femmes de ménage.
Le problème de l’habillement et du campement a été résolu dans des conditions très médiocres.
Le Corps Féminin des Transmissions a dû vivre d’expédients et faire confectionner, à ses frais, la plupart des vêtements indispensables à l’habillement des opératrices. C’est ainsi que les opératrices qui ont effectué la campagne de Tunisie ne possédaient que les effets suivants :
a) Effets et matériel fournis par le C.F.T. : Tenue de drap (vareuse et jupe), calot, sac à main (en drap), une paire de chaussures, une paire d’espadrilles, un lit de camp, un matelas, une cuvette pour 5 opératrices, un lampe à alcool, une ou deux casseroles par équipe, quelques produits pharmaceutiques.
b) Effets et matériel fournis par l’Intendance : Une capote (retaillée par les soins du C.F.T.), deux chemises (retaillées par les soins du C.F.T.), un, chandail, un chèche, deux paires de chaussettes de coton, une cravate, une trousse de couture, un casque métallique, une gamelle, un bidon, un plat de campement (par équipe de 6 opératrices).
c) Matériel fourni par le Service de Santé :
Un paquet de pansements individuel.
De plus, le Corps Féminin des Transmissions avait pu faire distribuer 500 kilogs de laine avec laquelle les opératrices ont confectionné elles-mêmes leurs chaussettes, leurs chandails et leurs gants.
Pour la période d’été, l’Intendance a délivré la toile que le C.F.T. a fait transformer par ses propres moyens en jupes, chemisettes et calots.
Cet équipement trop rudimentaire, comme l’expérience l’a prouvé, a été dès novembre 1943 considérablement renforcé par l’appoint du matériel américain (W.A.C. Women Army Corps). Les opératrices du Corps Expéditionnaires furent toutes munies du paquetage suivant :

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En outre, pour les opératrices du Corps Expéditionnaire, il avait été prévu, par section :
– 1 tente abri pour lavabos, une tente abri pour W.-C. ou Feuillées ;
– 1 réchaud à essence pour la préparation de boissons chaudes et le réchauffage des repas.
Mon souci, dans ce domaine, a été, en effet, d’assurer au personnel féminin :
1° la protection contre le froid
2° la rechange des effets de travail
3° la décence de la tenue, notamment pendant les déplacements et dans les camps de cantonnements.

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En ce qui concerne en particulier la protection contre le froid, les opératrices des Transmissions assurant un service permanent de jour et de nuit dans la position assise, c’est-à-dire sans grande dépense musculaire, ont besoin d’un supplément de matériel assez. Important. Cela explique la dotation en vêtements de dessous et en couvertures qui leur a été allouée.
Cet équipement est d’ailleurs à peine suffisant, ainsi que devait le prouver la campagne d’Italie.
L’organisation du Corps Féminin des Transmissions a fait l’objet de beaucoup d’études et d’expériences. Toutes ont été conduites avec le souci de faire de nos volontaires de bonnes auxiliaires et de bonnes techniciennes, ainsi que de sauvegarder leur réputation de femmes, d’accroître leur prestige et de développer en elles les sentiments essentiellement féminins qui en feront, après la guerre, non plus pour l’Armée, mais pour la Société, un autre genre d’auxiliaires : les auxiliaires vigilantes des foyers français.
Je répète et précise à ce sujet, avant toute considération, que, tout en estimant que le remplacement numérique des hommes par des femmes constituait le principal objectif du C.F.T., j’ai toujours posé le principe que la présence des femmes dans l’Armée imposait des devoirs nouveaux et impérieux au Commandement. C’est pour cette raison que, parallèlement à l’organisation des centres d’instruction militaire, un Service d’Assistance sociale a été mis sur pied et chargé de toutes les questions d’ordre psychologique, moral, médical et social. Les volontaires du Corps Féminin des Transmissions étaient réparties en deux grandes catégories : 1° : Volontaires désirant servir aux Armées (Corps expéditionnaire) ;
2° Volontaires désirant ne servir que sur le territoire Nord-Africain.
Pour l’instruction, ces deux catégories se fondaient en une seule.
Leur instruction terminée, les opératrices étaient affectées à des postes, où un travail « en doublure » les initiait aux difficultés professionnelles réelles de leur spécialité. Elles étaient ensuite réparties soit dans les unités territoriales, soit dans des Unités du Corps Expéditionnaire.
Les opératrices étaient groupées par équipes de 4 ou 6 travaillant sous les ordres d’une « chef d’équipe » (grade de sergent).
En principe, l’équipe était capable d’assurer le service d’un poste de radio ou d’une position de standard, 24 heures sur 24, par roulement entre les opératrices.
Plusieurs équipes étaient placées sous les ordres d’un chef de section féminin (grade d’aspirant ou sous-lieutenant).
Au travail, l’équipe était sous les ordres du chef de centre (officier ou sous-officier masculin).
Le Chef de Section féminin avait donc la charge morale et disciplinaire de sa section, seulement en dehors des heures de travail, à moins qu’elle ne remplisse elle-même les fonctions de Chef de Centre.
La dispersion du personnel féminin en vue de son emploi technique et de sa subsistance s’arrêtait à l’équipe. Cela permettait d’éviter l’écueil de l’emploi d’opératrices isolées avec tous les risques que cela pouvait comporter.
Pendant les premiers mois de la constitution du Corps Féminin des Transmissions la question du Commandement aux échelons supérieurs s’était posée.
Il s’agissait de déterminer si les officiers femmes dépendraient de leur Commandant de Compagnie (Officier masculin) et de toute la hiérarchie masculine ou d’une autorité centrale commune à toutes les formations féminines.
Dans le premier cas, les officiers et sous-officiers femmes auraient été considérées simplement comme des cadres spécialisés constituant un appoint de subordonnées mises à la disposition des Commandants de Compagnies ; dans le second cas, elles seraient devenues les représentantes de l’autorité centrale détachées avec leur personnel auprès des Commandants de Compagnies, pour accomplir les missions que ceux-ci leur auraient confiées, mais totalement indépendantes d’eux en dehors de l’accomplissement des missions de travail. En un mot, dans le second cas, les Commandants de Compagnies auraient commandé le travail sans posséder le pouvoir de commander le personnel exécutant.
Malgré les anomalies que présentait la deuxième solution, c’est elle qui fut tout d’abord expérimentée.
L’essai, qui a duré jusqu’à fin décembre 1943 avec une autorité centrale disciplinaire et une hiérarchie essentiellement féminine, a prouvé, d’une façon péremptoire, que les inconvénients du système dépassaient considérablement ses avantages et que, de plus, les officiers féminins n’étaient pas encore suffisamment expérimentés ou préparés à cette tâche.
Certes, le débat n’est pas prêt d’être clos. La question du Commandement des Femmes par des Femmes a été, et est encore, l’objet d’avis profondément différents. Dans le cas particulier des Femmes-Soldats le problème est à mon avis parfaitement résolu et mon opinion repose plus particulièrement sur l’expérience que j’ai faite en 42-45. Faire commander une unité féminine en campagne par une femme est, sauf cas exceptionnels, une hérésie.
La Femme, toujours sauf exception, n’est pas faite pour le commandement. Par sa nature, et à cela aucune ne peut s’y soustraire à moins de se vouer au célibat, la femme subit la loi de l’homme.
Par le simple jeu de l’éducation des enfants, telle qu’elle est conduite depuis des millénaires, la femme obéit à l’homme. Voyez une famille où il y a garçons et filles, n’est-ce pas, (tant que l’accord pour jouer ensemble subsiste parmi ce petit monde), un des garçons qui prend la direction du jeu, qui le mène, qui prend le rôle de chef et qui fait marcher ses frères et sœurs à la baguette… jusqu’au moment où les filles, fatiguées de cette autorité, sortent du jeu en pleurant généralement et en jurant qu’elles ne joueront plus… jusqu’à la prochaine fois.
Voyez des garçons jouant dans la rue. Sur dix équipes, vous en trouvez plus de la moitié qui jouent aux soldats, surtout s’il y a dans les parages un chantier de construction ; ils partent à l’assaut des tas de sable. Quand trois gosses sont réunis, il y en a toujours un (que j’appellerai Jean) qui agit en chef… et celui-là, toute sa vie, aura le goût du commandement sans avoir peut-être jamais, en tant qu’homme, un poste d’autorité.
Voyez des fillettes s’amuser. Elles jouent à la poupée. Déjà, elles sentent en elles la préoccupation maternelle. Sont-elles réunies, elles jouent à la marchande, à la dame. Quand elles commandent, l’une est « Madame » et l’autre est la « Femme de chambre ». L’autorité, quand elle s’affirme, ne s’étend que sur un domaine très petit qui est celui même où évolue la petite « Madame ».

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Je sais parfaitement, et j’en ai connu, qu’il y a des Femmes de tête capables de mener de grosses entreprises. Il faut convenir que c’est l’exception.
Commander une unité en campagne, c’est autre chose que de diriger un salon de beauté ou une maison de mode.
En tous cas, tout s’apprend et qui dit s apprendre » implique « temps consacré à l’enseignement ». Or, à la guerre, on n’a pas de temps à perdre. Il faut aller à coup sûr. C’est pour cela que, avec des garçons choisis et parce que, de par leur nature, leur éducation, leur atavisme, ils ont des prédispositions au commandement (mon petit Jean de tout à l’heure), l’on peut, en quelques mois, faire des jeunes officiers, aspirants ou sous-lieutenants, qui sauront commander brillamment leurs sections et qui, auprès de leurs anciens (souvent leurs aînés de quelques années à peine) apprendront leur métier de futur Commandant de Compagnie et pourront même, en quelques occasions graves, les suppléer et même les remplacer.
Avec des femmes, il n’est pas possible d’arriver à un tel résultat d’autant que le Commandement d’une Unité féminine en campagne exige des connaissances approfondies en technique et en administration. Le point de départ, l’atavisme originel, le sens inné de l’autorité n’y est pas. On y arriverait sans doute avec de la méthode et surtout du temps. Or, je le répète, en 1942-43, il fallait faire vite… et surtout il fallait éviter un échec.
En conséquence, je décidais, fin décembre 1943, d’en revenir à une solution mixte, combinaison de la première et de la seconde solution, en confiant le commandement à des officiers masculins assistés d’adjointes.
Cette nouvelle organisation se schématisait ainsi :
– à la tête : le Général Commandant les Transmissions, Chef de Corps, assisté par une adjointe du rang de Capitaine,
– à l’échelon grande unité : le Commandement des Transmissions assisté par une adjointe du rang de Lieutenant, — à l’échelon compagnie : le Commandant de Compagnie assisté par une adjointe du rang de Lieutenant ou Sous-Lieutenant,
– à l’échelon section : une femme officier ou aspirante,
– à l’échelon équipe : une femme sous-officier.
De cette façon, le Commandement, tout en restant masculin, était à la fois tempéré dans le sens masculin et renforcé dans le sens féminin par la présence d’une femme à tous les échelons.
Le système donnait non seulement d’heureux résultats au point de vue fonctionnement des services, mais présentait encore l’avantage pour les femmes officiers de participer au Commandement d’une façon étroite, de bâtir leur expérience sous l’autorité de chefs masculins expérimentés, de développer leurs connaissances techniques et militaires, enfin de s’intégrer en quelque sorte progressivement dans l’ordre militaire établi, sous l’égide de chefs compétents et bienveillants.
Dans l’avenir, les femmes officiers devaient pouvoir être appelées à remplacer complètement à certains échelons leurs camarades masculins, selon leurs qualités de commandement.
Elles se trouvaient assez exactement dans la situation de jeunes officiers masculins placés sous l’autorité d’un Commandant de Compagnie et qui ne se voient confier les rôles de Commandement actif qu’après un certain stage de subordination.
Cependant il est à remarquer que tout à fait à l’origine, le Haut Commandement avait songé à créer des Unités uniquement féminines. Il est évident que partant d’une telle conception, les règlements intérieurs pouvaient différer totalement des règlements en vigueur dans l’Armée masculine, en particulier en ce qui concerne les règlements de discipline et de service intérieur.
C’est ce principe initial d’autonomie d’emploi du Personnel féminin qui a guidé la première mise au point du programme d’instruction du Corps Féminin des Transmissions.
La première mise au point a été en outre caractérisée par l’extrême réduction du temps octroyé à l’instruction militaire par rapport à celui qui a été réservé à l’instruction technique.
D’autre part, l’application de ce programme s’adaptait au fait qu’à l’origine de sa constitution le C.F.T. manquait de locaux et de terrains pour l’instruction militaire et que les nécessités de la campagne de Tunisie exigeaient surtout une instruction technique activement et rapidement poussée, au détriment de toute autre considération.
Les unités engagées en Tunisie et privées de leurs réservistes P.T.T. avaient, en effet, besoin d’un renforcement immédiat en spécialistes.
Le but initial des instructeurs a donc été de former des opératrices de valeur dans le minimum de temps.
Ce programme a été scrupuleusement rempli. Dès le 15 mars 1943, 54 opératrices quittaient ALGER () pour renforcer le service de l’exploitation du théâtre d’opérations de Tunisie.
Le Kef                      6
Souk el Arba        6
Teboursouk.        6
Le Sers                   6
Ebba Ksour.         6
Tébessa                6
Ain Beida.            6
PC. 19. CA.           12
Dès la libération de Tunis, les opératrices radios du C. F. T. assuraient le service des postes radios réouverts à Tunis, au Kef, à Sfax, à Sousse et à Gafsa, dans des conditions matérielles difficiles. 150 opératrices radios et téléphonistes prirent ainsi une part active à la campagne de Tunisie.

LES ENSEIGNEMENTS DE LA CAMPAGNE TUNISIENNE
Cette première et heureuse expérience avait été entourée du maximum de garanties. Elle a été riche en enseignements () et a surtout démontré l’impossibilité de réaliser dans notre Arme une autonomie des éléments féminins.
La vie en commun, l’obligation d’un commandement technique unique, les difficultés matérielles, tout cela concourait à réaliser une unification naturelle des conditions d’emploi des unités féminines et masculines.
Il en est résulté une modification profonde du principe d’autonomie qui s’est traduite par une orientation plus marquée de l’instruction vers l’enseignement des règlements masculins de discipline et de service intérieur (M, 393 EMG/1/0 du 9/3/1943 — annexe N. 5).

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Ainsi, lorsque, après la campagne de Tunisie, la mise sur pied des Unités du Corps Expéditionnaire fut décidée, la répartition des sections féminines dans les compagnies masculines put-elle se faire sans grandes difficultés d’adaptation.
La méthode d’instruction alors adoptée au Corps Féminin des Transmissions dérivait directement de celle des contingents masculins ; elle comportait pour la partie militaire l’étude théorique et pratique de l’École du Soldat sans armes et des règlements de discipline dans l’application desquels il était cependant tenu compte d’une certaine adaptation.
Les règlements de manœuvre et de service en campagne furent exclus de cette instruction et leur étude remplacée par un enseignement moral, social et médical, confié au Service d’Assistance Sociale.
Toutes les opératrices du Corps Féminin des Transmissions en poste sur le territoire Nord-Africain qui n’avaient bénéficié que de l’instruction de la première période d’organisation furent remises à l’instruction par roulement, et effectuèrent un stage militaire de 15 jours au Centre de Transmissions de MAISON-CARREE.
Pour la partie technique, la spécialité s Radio » réclamant des sujets doués, toutes les opératrices furent, dès leur incorporation, astreintes à suivre cette instruction.
Au bout d’une quinzaine de jours, les meilleures furent conservées dans cette spécialité et les autres aiguillées sur les catégories : standardistes et télétypistes.
L’expérience a montré qu’au point de vue technique, le temps nécessaire pour former du personnel féminin vraiment qualifié était le suivant Standardistes et télétypistes 6 mois.
Radios : a) pour le réseau d’exploitation 8 mois.
b) pour les missions d’écoute 14 mois.
c) pour les écoutes spéciales et la radiogoniométrie 17 mois. Environ.
Les chiffres ci-dessus sont des minima et correspondent à une instruction très activement poussée.
Mais surtout la Tunisie a mis en évidence les deux faits suivants : le manque de cadres féminins et l’obligation de renforcer le service social.
La formation de cadres féminins s’est en effet révélée indispensable pour deux raisons : 1° : Le but de la création du Corps Féminin des Transmissions étant de remplacer des hommes par des femmes partout où cela était possible, il convenait également d’envisager de procéder à ce remplacement dans les différents échelons de la hiérarchie.
2° : Les chefs des échelons inférieurs (équipe et section) étant astreints à vivre avec leur personnel devaient naturellement être féminins.
Dès les premiers engagements reçus, le Colonel BRYGOO a donc eu le souci de déceler, parmi les nouvelles élèves, celles qui paraissaient aptes à remplir des fonctions de chef.
Cette période d’observation a abouti à l’organisation d’un stage de cadres du 1er au 21 avril 1943 à DOUERA.
Mis sur pied avec le concours de la Direction du Service de la Jeunesse au Gouvernement Général de l’Algérie et des monitrices de ce service, spécialisées dans la formation des Cadres féminins, ce stage fournit au Corps Féminin des Transmissions un premier contingent de 17 Femmes-officiers et de 20 sous-officiers sur les 50 stagiaires réunies (1).
Ce premier stage m’a fait entrer en relation avec deux personnes dont l’influence s’affirma aussitôt considérable. Toutes les deux méritent des remerciements particulièrement chaleureux.
M. RAPP, Chef de Service à la Direction de la Jeunesse au Gouvernement Général de l’Algérie, a mis à la disposition du L’— Colonel BRYGOO et du C.F.T. sa précieuse expérience des « Affaires de Jeunes » ; il nous a évité beaucoup de faux-pas. Il a réussi à faire mettre à notre disposition quelques-unes de ses excellentes monitrices et à faciliter par la suite leur engagement au C.F.T. Parmi celles-ci il faut réserver une place d’honneur à Mademoiselle CLAUDET. Véritable apôtre de la jeunesse féminine chrétienne, le Chef CLAUDET avait acquis en Algérie une renommée incontestable et incontestée dans les questions sociales relatives à la Femme. Elle a été pour le C.F.T. une animatrice d’une très rare valeur et une zélatrice d’un dévouement sans borne.
Mme TRABUT et Mlle CLAUDET, de tempéraments nettement opposés, ont toutes deux été l’âme féminine du C.F.T. Utilisant au maximum leurs dons, leurs qualités, leur égal et total dévouement au C.F.T., elles sont les véritables artisans de son incontestable succès. C’est pour moi une question de conscience que de leur rendre cet hommage.
J’ajoute qu’à cette époque, le Capitaine SIRE a été spécialisé dans les questions féminines (problèmes administratifs). Lui aussi compte parmi ceux qui se sont donnés de tout leur cœur au C.F.T.
Un deuxième, puis un troisième stage organisé dans les mêmes conditions à HYDRA en juin et juillet 1943 ont complété l’effectif des chefs féminins nécessaires à cette époque.
Accomplis avec toutes les garanties exigibles de régularité et d’impartialité, ces trois stages ont vraiment eu pour résultat de mettre en valeur les éléments les meilleurs et les plus qualifiés du C.F.T.
Les stagiaires appelées à y participer y ont reçu une instruction militaire et surtout une instruction morale qui a fait d’elles des aides sociales autant que des chefs, ce qui leur a permis ensuite de prolonger sur leur personnel l’action du service social.
Ultérieurement, l’instruction technique et militaire des cadres féminins a pu être développée au niveau de celle des cadres masculins de l’Armée, mais la formation intellectuelle, morale et sociale a pratiquement seule servi de base à leur instruction initiale.
C’est la raison pour laquelle les cadres féminins du C.F.T ont été aptes à maintenir non seulement la bonne tenue du personnel et sa discipline, mais également les traditions de travail et d’honneur de l’Arme des Transmissions.
La campagne de Tunisie, comme la campagne d’Italie leur ont permis de gagner l’estime de leurs camarades masculins et ont consacré d’une façon définitive le rang que le Commandement des Transmissions leur avait réservé dans l’Arme.

Les considérations que je viens d’exposer ont déjà mis en évidence l’importance capitale du Service Social au C.F.T. Il est indispensable que je m’étende un peu sur ce problème si délicat.

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Trouver des volontaires, les instruire, les faire vivre en commun, c’est très joli, mais il fallait donner à cet ensemble, ossature fragile, un lien moral puissant qui, seul, confère une vertu agissante à tout rassemblement humain.
Ce lien moral et cette vertu agissante qui peuvent faire d’une réunion de femmes une « arme » avec sa foi, sa cohésion, sa conscience propre, son unité d’action, c’est, sans contredit, le Service Social qui les a créés et les a développés.
Je me répète souvent, mais cela me paraît nécessaire, car il y a des vérités que l’on n’affirme jamais avec assez de vigueur. J’avais posé le principe dès la création du Corps Féminin des Transmissions que la présence des femmes dans l’Armée imposait des devoirs nouveaux et impérieux aux Chefs masculins responsables.
L’examen de ces devoirs, la solution de ces problèmes essentiellement féminins d’ordre psychologique, médical et social ont justement été confiés à des femmes que leur passé et leur expérience désignaient pour cette tâche.
Le Service Social, placé sous les ordres d’une Assistante Sociale Principale, a magnifiquement rempli sa mission et a donné au Corps Féminin des Transmissions cette âme indispensable à sa vie.
La principale caractéristique de ce service social a été l’affranchissement de tout appareil militaire, de toute hiérarchie (sauf à mon échelon), de toute contrainte extérieure. Il ne s’est pas superposé à l’organisation militaire, il ne l’a pas prolongée ; il s’est inséré naturellement dans tout ce qu’elle avait d’imparfait et l’a complétée dans le domaine individuel.
Ce Service Social a été en contact direct et personnel avec toutes les opératrices, les a étudiées, les a dirigées, les a conseillées, les a soutenues, les a éduquées.
Son action a été étendue en profondeur par les Chefs de Section féminins qui avaient reçu l’éducation de base nécessaire et vivaient avec leur personnel.
Ses différentes fonctions pratiques ont été inscrites dans le règlement intérieur du C.F.T. duquel sont extraites les prescriptions suivantes :
Article 2 Les Assistantes sont en tous lieux, et en tout temps habilitées à s’occuper de toutes les questions relevant de la moralité, de la vie sociale du personnel et de sa façon de se tenir.
En pénétrant dans un cantonnement, l’Assistante Sociale doit d’abord se présenter au Commandant de l’Unité ou à son Adjoint.
Article 3 Le Service Social travaille en liaison s étroite avec les Chefs de Section. Il doit être tenu au courant par la Chef de Section adjointe au Commandant de l’Unité de tous les mouvements et modifications, déplacements, changements d’affectation de sections, d’équipes ou d’équipières, hospitalisations, dès que ces mouvements se produisent.
Article 4 Les attributions des Assistantes sont « les suivantes :

A — AU TERRITOIRE
Engagements — Incorporations.
Réception et interrogatoire de la candidate ou de l’appelée. Établissement de sa fiche sociale
Envoi de la candidate au Service Médical pour y passer la visite d’incorporation. Présentation de la candidate à l’Officier Commandant le Centre de Recrutement.
Enquête discrète de moralité et de milieu social qui devra être menée pendant le premier mois d’engagement.
Surveillance des conditions matérielles d’existence :
a) dans les internats, en liaison avec la Directrice de l’Internat () b) dans les locaux d’instruction,
c) dans les centres où l’opératrice est en fonction (locaux d’habitation et postes de travail) : hygiène et répartition des heures de travail et de repos. Ceci en liaison avec les Chefs de Section, l’Assistante devant éviter de s’adresser directement au chef technique.
Éducation morale des stagiaires à L’instruction :
En accord avec les Directrices d’Internats, l’Assistante organise pour les stagiaires des causeries morales et médicales (hygiène, secourisme, puériculture, mise en garde contre les dangers physiques et moraux auxquels sont exposées les opératrices vivant au Territoire, surtout aux Armées, cours d’enseignement ménager, etc…
Pour cela, l’Assistante s’efforcera de s’assurer le concours des membres de l’enseignement, de doctoresses, de Services sociaux, de Mouvements de Jeunesse, de Mouvements Féminins.
Liaison avec le Commandement [adjointe au Commandant de l’Unité] pour l’affectation des opératrices, en raison des questions de santé et des conditions de vie familiale des intéressées.

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Surveillance de la santé a) période d’instruction (en liaison avec la Directrice de l’Internat). Faire effectuer des pesées mensuelles. Veiller à ce que les vaccinations soient « pratiquées.
b) période de travail (en liaison avec les Chefs de Section). Faire effectuer des pesées mensuelles, envoyer les intéressées à la consultation médicale en cas d’amaigrissement ou de fatigue.
c) hospitalisation. Visiter les hospitalisées trois fois par semaine au moins, et tous les jours en cas « de maladie grave ou d’accident. L’Assistante est seule habilitée à être en liaison, avec le personnel sanitaire des hôpitaux : médecins, infirmières ; elle doit signaler immédiatement au médecin-chef du service ou de l’hôpital les défectuosités qui pourraient se produire à leur insu, dans les soins donnés aux hospitalisées, et en rendre compte à la Directrice du Service Social.
Elle doit fréquemment donner des nouvelles des malades au médecin qui a prescrit l’hospitalisation.
Lors de la sortie de l’hôpital d’une opératrice, elle en avise la Chef de Section.
Relations avec les familles ()
L’Assistante doit visiter fréquemment les familles « des opératrices qui vivent loin de chez elles, particulièrement quand il s’agit des jeunes. Elle se « tiendra en liaison soit avec l’Assistante du Territoire où se trouve l’opératrice, soit avec l’Assistante de l’Armée dont fait partie l’opératrice (pour « le personnel du C.F.T.).
Attributions de secours ou d’indemnités pour charges de famille.
L’Assistante transmet au Commandement les demandes d’indemnité pour charges de famille, en y joignant son avis après enquête. Elle adresse également, soit au Commandement, soit au Service Social de l’Armée, les demandes de secours qui lui paraissent justifiées par la situation de certaines opératrices.
Consultations juridiques.
Dans toutes les localités où cela est possible, l’Assistante s’assure le concours de personnes qualifiées, avocates, licenciées en droit) qui pourront e conseiller utilement les opératrices en cas de difficultés juridiques.

B. — AUX ARMÉES

Aux Armées surtout, l’Assistante Sociale travaille en liaison étroite avec les chefs de section.
Elle répondra toujours à l’appel, soit d’une équipière, soit d’un Chef de Section. N’ayant aucun rôle de commandement ni de discipline, aucune préoccupation technique, elle se consacrera entièrement à sa tâche qui est de sauvegarder la santé physique et morale du personnel féminin aux Armées.
Elle s’attachera à vivre près des opératrices : en partageant souvent leurs repas, en allant les visiter à leurs moments de loisir, en s’efforçant de leur procurer tout ce qui peut leur être utile, objets d’hygiène, papier à lettre, etc…).
L’Assistante s’assure que les équipières ne sont pas isolées, qu’elles reçoivent des lettres et que cette correspondance leur parvient régulièrement. Elle signale au Service Social celles qui paraissent délaissées.
Enfin, l’Assistante devra toujours être un appui, un réconfort pour l’équipière déprimée. Elle devra, par l’intérêt et l’affection qu’elle lui témoignera, provoquer ses confidences et garder strictement le secret sur tout ce qui lui sera confié (secret professionnel).
Chaque fois qu’un obstacle insurmontable pour elle se présentera devant l’Assistante Sociale dans l’accomplissement de ses missions, elle devra s’adresser immédiatement à la Direction du Service Social pour obtenir les instructions et l’aide nécessaire.
Les Assistantes adressent un rapport mensuel à la Direction du Service Social. En outre, elles communiquent avec elle aussi souvent que cela leur est nécessaire.
Et, ce qui n’a pas été dit dans le règlement, parce que ce dernier ne pouvait traiter que de l’existence militaire et administrative de la Femme, c’est que cette organisation a fonctionné dans des conditions parfaites jusqu’au 20-3-45, époque à laquelle il a fallu la passer au Service Social des A.F.A.T. 5 enfants sont nés à Jean-Bart et six autres dont 3 orphelins de guerre y ont été élevés. L’assistance sociale ne s’est pas cantonnée dans cette œuvre. Elle s’est efforcée de rechercher le père ; là encore un succès a été marqué. Sur sept enfants naturels, six ont été reconnus par leur père.

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Le Service Social avait reçu également pour mission de préparer la femme à son rôle futur d’après guerre.
J’ai estimé en effet qu’après la guerre, les femmes seraient appelées à rendre d’autres services au pays en leur qualité de mères de famille et de gardienne des foyers.
Certaines, (la plus grande majorité) possédaient ces qualités et ces sentiments, fruit de leur éducation familiale. Par contre, d’autres n’avaient pas trouvé dans leur foyer le guide et le soutien dont chaque enfant est en droit de bénéficier.
Le Service Social du Corps Féminin des Transmissions a, là encore, prouvé qu’il était possible de rééduquer, de refondre ces éléments dans le moule des traditions, et de rendre à la France d’après-guerre un effectif accru de femmes qui perpétuera ses traditions, bases séculaires de la Société française, de sa grandeur, de son rayonnement.

CRÉATION DES UNITES GÉMINÉES

L’instruction du personnel féminin du C.F.T. organisée sur ces principes a été donnée dans les Centres de Rabat, Oran, Alger, Maison-Carrée, Constantine et Tunis ().
Sauf quelques exceptions, la vie en internat a été la règle.
Pour entrainer le personnel féminin à la vie en campagne, le personnel destiné aux unités d’opérations a été logé dans un camp aménagé dans le beau parc du château d’Hydra, près d’Alger.
Là, les femmes ont connu les rigueurs de l’été et de l’hiver dans une maison de toile ; toutes couchaient sous la tente américaine où le seul confort a été constitué par un plancher en bois. Les « Merlinettes » du Territoire, dès leur instruction dégrossie, rejoignirent leurs affectations. Elles desservirent ainsi les centraux téléphoniques ou les postes de radios de : au Maroc : Agadir, Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Meknès, Oujda, Taza.
en Algérie : Oran, Tlemcen, Bel-Abbès, Mascara, Nemours, Alger, Tunis, Laghouat, Médéa, Miliana, Maison-Carrée, Constantine, Sétif, Biskra, Philippeville, Bône.
En Tunisie : Tunis, Bizerte, Kairouan, Sousse, Sfax, Gabès.
En Corse : Ajaccio.
De plus, un important détachement (50) a été mis à la disposition du Bureau Central Militaire de la Poste aux Armées d’Alger pour trier les lettres. Enfin le Groupement des Contrôles Radioélectriques a absorbé un important effectif féminin d’opératrices radios, d’interprètes et de secrétaires d’analyse.
À la suite d’une propagande discrète parmi nos opératrices, il a été possible de trouver et de sélectionner une vingtaine de jeunes femmes volontaires pour les missions spéciales. Nous en reparlerons un peu plus loin. La consécration de la formule des « Unités géminées » apparaît dans les Tableaux d’Effectifs de Guerre des Unités des Armées.
Le personnel féminin a été affecté comme suit : Corps Expéditionnaire d’Italie :
Compagnie d’exploitation 807/1 : 40 radios 75 téléphonistes 10 télétypistes = 125
Détachement d’écoutes C. 808 : 25 radios et secrétaires d’analyse
Détachement 805 du Général Commandant en chef : 18 radios 27 téléphonistes 6 télétypistes 3 conductrices = 54
Armée B : Compagnie d’exploitation 827/1 : 46 radios 53 téléphonistes 10 télétypistes 6 conductrices = 115

LA TRANSFORMATION DU C.F.T. ET LA CRÉATION DES A.F.A.T.

La création des formations féminines laissée pratiquement à l’initiative des Directeurs d’Armes ou des Chefs de Corps intéressés avait provoqué des développements inégaux, des organisations disparates et même une sorte de rivalité beaucoup plus préjudiciable qu’utile à l’Armée.
Aucune tentative de coordination amiable, ne pouvant aboutir, le Général JURION a été désigné, début janvier 1944, par le Commissaire à la Guerre et à l’Air pour réaliser cette unité.
La mission du Général JURION, pendant sa courte durée, a été caractérisée par le souci de donner aux différentes formations une doctrine commune, une discipline et une administration calquée sur un modèle unique, mais tout en laissant à chacune d’elles son caractère et son individualité propres. Enfin le Service Social Féminin qui, jusqu’ici, n’existait que dans l’Arme des Transmissions devait être renforcé et son autorité étendue à tous les Corps féminins.
Malheureusement, l’activité de cette direction fut tout de suite absorbée en grande partie par la mise en application du projet gouvernemental de mobilisation féminine.
Ce projet fit naturellement beaucoup de bruit en A.F.N. ; il vint jusque devant l’Assemblée Consultative d’Alger, mais fut abandonné au profit de la réquisition.
L’ordonnance du 22 octobre 1943 organisant la mise sur pied de guerre dans l’ensemble des Territoires non occupés par l’ennemi (réquisition de personnes) ordonnait :
Article 1er. Jusqu’à la libération totale de la Métropole et de l’Empire et la cessation des hostilités, toute personne de nationalité française est susceptible d’être requise sur l’ensemble des territoires non occupés par l’ennemi dans les conditions prévues par les articles ci-après de la présente ordonnance.
Article 2. Toute Française âgée de 18 ans peut être soit mobilisée, soit engagée volontaire, soit requise civile dans les conditions spéciales prévues aux articles ci-après.
Article 3. Peuvent servir dans une formation militaire, à titre d’engagé volontaire ou de mobilisé :
b) toute femme reconnue apte au service militaire, âgée de 18 ans révolus à 45 ans révolus et n’élevant pas, au moins, un de ses enfants âgés de moins de 16 ans.
L’autorisation maritale pour les femmes mariées ou l’autorisation paternelle pour les filles mineures non émancipées ne seront exigées que pour les engagements volontaires.
Article 4. Peuvent faire l’objet d’une réquisition civile individuelle : b) toute femme reconnue apte à un emploi quelconque, âgée de 18 ans révolus, non mobilisée et n’élevant pas au moins un de ses enfants âgé de moins de 10 ans.
À ma connaissance, cette ordonnance n’a jamais été appliquée en ce qui concerne les femmes. Elle a été complétée par le décret du 11 janvier 1944 portant création de formations militaires féminines auxiliaires, dont voici les premiers articles intéressants à plus d’un point :
Article 1er Chacune des Armées de Terre, de Mer et de l’Air comprend, soit dans les formations du territoire, soit dans les unités en opérations des formations féminines auxiliaires recrutées par engagements volontaires et, s’il y a lieu, par voie d’appel.
Article 2 Les personnels volontaires féminins, déjà en service dans les Armées de Terre, de Mer et de l’Air, sont intégrés de droit dans les formations précitées relevant des mêmes Armées.
Article 4 a) sont exemptes du service militaire obligatoire féminin :
– les femmes élevant un enfant de moins de 16 ans ; – les femmes appartenant à une congrégation religieuse.
c) Sont exclues des formations militaires féminines auxiliaires :
– les femmes se livrant à la prostitution ;
– les femmes ayant fait l’objet d’une condamnation privative de liberté d’au moins 15 jours inscrits au casier judiciaire.
Article 5 Ne peuvent servir dans les unités en opérations que les appelées faisant acte de candidature pour ces unités et les engagées volontaires.
Article 8 Jusqu’à la parution des mesures d’application nécessaires les unités féminines des Armées de Terre, de l’Air et de Mer sont régies par les instructions actuellement en vigueur.
Ces textes sont intéressants, même s’ils n’ont reçu aucun commencement d’exécution en certaines de leurs clauses, parce que : 1° ils témoignent de l’effort total auquel était disposé le Gouvernement d’Alger pour mettre sur pied une Armée digne de ce nom pour libérer le sol national… et cela n’est pas parfaitement connu de beaucoup de métropolitains.
2° : ils attestent, quoique d’une manière sommaire, le souci de conserver le moral féminin en excluant d’office les femmes tarées.
Ils nous sont apparus alors comme une mesure d’ordre, laissant intacte l’œuvre déjà réalisée au C.F.T. et dont s’était rendu compte M. LE TROCQUER, Commissaire à la Guerre, lors de son inspection minutieuse des installations au Château d’Hydra, le 20 janvier 1944, et pour laquelle il exprima sa satisfaction (Cf. annexe N° 6).
Les choses allaient bientôt se gâter. En effet, en avril 1944, le Général JURION était remplacé par la Commandante Terré. Celle-ci arrivait de Londres et avait des idées bien arrêtées sur la mobilisation des femmes et sur la manière de les faire vivre en campagne. Elle a, à mon avis, commis l’erreur capitale de confondre l’existence des femmes participant aux services de guet et de D.C.A. de l’organisation défensive de Londres avec celle des femmes des unités en opérations. De plus, imbue des méthodes anglaises, elle n’a pas voulu comprendre que la mentalité des Françaises de l’Afrique du Nord d’abord et de la Métropole ensuite n’était pas celle des Anglaises à Londres. Enfin, elle ne soupçonnait pas la nécessité d’un Service Social féminin.
La Commandante Terré vit le triomphe de ses conceptions avec la création des A.F.A.T. fixée par le décret du 26 avril 1944 relatif aux effectifs, aux conditions d’avancement et au régime de solde et de traitement des personnels des formations militaires féminines auxiliaires de l’Armée de Terre.
Les textes nouveaux constituaient une véritable révolution dans les idées qui avaient présidé à la création des Corps militaires féminins en A.F.N.
Les A.F.A.T. étaient constituées sur une conception diamétralement opposée à celle du C.F.T. La Direction A.F.A.T. visait à extraire complètement les anciennes engagées de l’Arme qu’elles avaient librement choisies, à les refondre dans un même moule et à les rendre sous forme de prêt de main-d’œuvre aux services utilisateurs.
Les inconvénients de ce projet étaient tels qu’ils le rendaient pratiquement inapplicable.
Ils étaient de deux sortes : 1° : au moment où allait prendre fin dans chaque Corps ou Service la dure période de l’intégration des formations féminines dans l’Armée masculine, au moment où les engagées, gagnées par l’esprit de corps (que tous les règlements militaires cherchent avec raison à développer) travaillaient pour leurs Armes en complète communauté d’esprit et de cœur, un brutal renversement de ces valeurs devait entraîner fatalement une désorganisation au moment même où démarrait correctement la reconstitution de l’Armée sur le type U.S.A. et où les premières Grandes Unités entraient en ligne sur le Front d’Italie.
2° : Le décret du 26 avril 1944 créait une autorité supérieure techniquement étrangère à toutes les Armes. Cette autorité se faisait cependant fort, tout en ignorant leur fonctionnement et leurs emplois techniques et tactiques, de leur fournir un personnel féminin qualifié.

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La Direction des A.F.T.A. prétendait fonctionner comme une sorte de bureau de placement, avec cette circonstance aggravante que le bénéficiaire de la main-d’œuvre resterait dépossédé de tout pouvoir administratif et disciplinaire sur le personnel.
Cette prétention était tellement inopportune et tellement illogique, qu’en fait, malgré les décrets qui la sanctionnaient, elle ne pouvait être appliquée à la lettre.
Mes protestations auprès du Commissaire à la Guerre restèrent sans effet malgré une correspondance quelque peu passionnée. Je tenais à défendre et à sauvegarder l’œuvre accomplie (cf. annexes N° 7 et 8).
Le danger était, en effet, très grave, comme l’a bien fait ressortir l’étude faite par le Commandant de l’unité géminée d’Oran (cf. annexe N° 9) et comme l’a montré la visite de la Commandante Terré au Corps Expéditionnaire Français (C.E.F.) en Italie (cf. annexe N° 10).
Ces documents montrent comment les deux conceptions se heurtaient et combien la vie quotidienne en pleine guerre était difficile.
Le lecteur trouvera aux annexes N° 11, 12, 13 quelques autres cas typiques de la « beauté du Commandement de la Femme par la Femme ». Vers la mi-août 1944, je reçus l’ordre de mettre un terme à cette « bagarre épistolaire » et de m’arranger de l’ordre nouveau.

SOLUTION DE TRANSITION

Par accord tacite, le C.F.T. conserva en Italie ses Unités géminées ainsi que l’Armée B pendant son stationnement en A.F.N.
À l’arrivée en France, le C. E. F. et l’Armée B fusionnèrent pour devenir la 1re Armée. La règle fut observée par la création au début de 1945 de la 1re Unité Administrative féminine des Transmissions, formation qui rassemblait toutes les Merlinettes, à l’exclusion du personnel féminin d’autres Armes, en service dans une même compagnie dotée de moyens administratifs éprouvés (comptables, moyens de transport) par prélèvement sur les Compagnies d’exploitation 807/1 et 827/1.
Dans les deux formules, le Général (alors Colonel) BRYGOO continuait à avoir la haute main sur l’ensemble du personnel féminin Transmissions de la 1re Armée.
Aussi bien en Italie qu’en Métropole, les Merlinettes ont été magnifiques de cran et n’ont jamais attiré l’attention sur elles par des écarts de conduite ().
Le Général d’Armée JUIN et son Chef d’Etat-Major, le Général CARPENTIER, m’ont toujours dit grand bien de ce personnel en Italie et de la solution adoptée pour leur statut.
À Lindau, quelques jours après l’armistice, le Général d’Armée de Lattre de Tassigny en me recevant, me disait : « Il n’y a guère de jours où je ne trouve dans mon courrier une affaire de femme ; or, je n’ai jamais rien reçu au sujet de vos Filles. » N’est-ce pas là un éclatant hommage rendu à notre personnel féminin qui a su si bien, dans des conditions souvent très dures et non spectaculaires, remplir sa tâche de guerre avec la modestie traditionnelle de notre Arme.
En Afrique du Nord, les A.F.A.T. ont créé leurs unités administratives se prétendant féminines, mais fonctionnant en réalité grâce à un appoint masculin assez important.
Chaque unité administrative gérait toutes les engagées de la Zone qui leur était dévolue quelle que soit l’Arme ou le Service auxquels elles appartenaient.
Le personnel était ainsi soumis, en permanence, à deux autorités différentes :
– le commandement technique masculin ;
– le commandement administratif et disciplinaire féminin.
La réinstallation du Gouvernement à Paris, en septembre 1944 n’a apporté aucune amélioration à l’organisation des Corps militaires féminins, tout au contraire. L’A.F.A.T. s’est enferrée dans ses erreurs qui sont apparues avec une amplitude infiniment plus grande.
Les Transmissions ont continué à vivre au moyen d’un compromis qui nous permettait :
a) de recruter nous-même notre personnel (à condition toutefois de faire régulariser les engagements par l’A.F.A.T.), b) d’instruire ce personnel,
c) de disposer des opératrices suivant les besoins du service et sans autorisation préalable de l’A.F.A.T.,
d) d’administrer le personnel incorporé dans les compagnies géminées (telles que les compagnies 805 Et 838).
En dépit de ces dispositions, le personnel des Transmissions restait soumis, en général, à l’Administration A.F.A.T. et, en totalité, à sa gestion en ce qui concerne l’habillement.
Enfin, les écoles de cadres () étaient strictement monopolisées par l’A.F.A.T. qui avait seule le droit d’instruire et de nommer les officiers féminins.

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Les Transmissions ont été dans l’obligation de s’accommoder de cet état de choses et ont lutté depuis mars 1944 pour en obtenir la modification.
Le gros reproche que l’on pouvait adresser à une telle conception résidait dans le fait de la division des pouvoirs entre le Commandement technique et le Commandement administratif : d’autant plus que le Commandement administratif féminin manquait de cadres et surtout de cadres expérimentés et qu’il s’agitait dans la rigide et traditionnelle organisation de l’Armée à la manière d’un jeune chien dans un jeu de quilles.
Imagine-t-on, en effet, un Commandant de Compagnie de Tansmissions qui ne posséderait ni l’administration de sa troupe, ni un pouvoir disciplinaire sur elle ? C’est là exactement la situation dans laquelle l’A.F.A.T. prétendait placer les chefs masculins.
Il est entendu qu’il va de soi que les pouvoirs administratifs soient supervisés par une Direction, que l’exercice des pouvoirs disciplinaires soit tempéré par des règlements, par des inspections, par l’action directe du Service Social, mais que systématiquement tous ces moyens d’action soient soustraits au Commandement, cela décourage la raison et le simple bon sens.
On peut s’étonner à juste titre qu’une telle conception n’ait pas occasionné de grosses catastrophes. Cela tient à ce que les intéressés, au cours des hostilités, ont eu trop le sens de leur devoir pour la combattre autrement qu’en la tournant.
En ce qui concerne les Officiers et les Sous-Officiers féminins, l’A.F.A.T. a créé le cadre de commandement.
Ce cadre ne possède par définition aucune connaissance technique spéciale. Son bagage militaire tient tout entier dans le règlement de service intérieur de l’Armée. C’est en quelque sorte un découpage hiérarchisé du rôle de l’adjudant de quartier.
Que peut être le prestige des Officiers féminins confinés dans des fonctions de comptables, de pions et de dispensateurs des « une, deux, une, deux » quotidiens, vis-à-vis de jeunes filles vivant d’une activité technique dont ils n’ont eux-mêmes aucune idée ?
Quelle joie ces officiers du Cadre de Commandement peuvent-ils tirer de la conduite d’un personnel qui leur échappe pendant son travail et qu’ils ne sont pas en mesure de suivre techniquement ?
Quels sentiments de dévouement peuvent-ils éprouver à l’égard d’une Arme au jeu de laquelle ils ne sont pas conviés ?
À quelle égalité peuvent-ils prétendre vis-à-vis de leurs collègues masculins qui cumulent des fonctions techniques et des fonctions militaires ?
En plus de cela, l’A.F.A.T. a créé le cadre des spécialistes. Ce sont les opératrices de la hiérarchie technicienne. Elles ne portent pas de galons, mais seulement des petites soutaches distinctives sur la poche gauche de leur tunique.
Le sommet de cette hiérarchie, la 1re et la 2eme catégories, est « assimilé » aux grades de sous-lieutenant et d’aspirant. Et il se produit ceci : ces assimilées qui possèdent par définition une culture très supérieure à la moyenne sont soumises à l’autorité de toute la hiérarchie du cadre de commandement depuis la « Commandante » jusqu’à la « Caporale » incluse. Or, les Officiers à soutaches refusent naturellement et comme on pouvait le prévoir, toute subordination à des sous-officiers à galons. Ici, les Transmissions ont évité l’écueil en ne faisant effectuer aucune proposition dans le cadre sous-officier de commandement. La difficulté a une fois de plus été tournée, mais non résolue.
Le 1er décembre 1944, j’écrivais : « II est donc possible d’affirmer qu’à la date du 1er décembre 1944, 7 mois au moins ont été entièrement perdus en ce qui concerne la mise sur pied des nouvelles formations ou simplement l’accroissement de celles qui existaient. L’expérience tentée par les A.F.A.T. n’a pas réussi. Elle se maintient uniquement par suite de l’acceptation de compromis de toutes sortes qui ne constituent que des palliatifs, des replâtrages provisoires, et pas du tout l’organisation logique et saine qui était réclamée.
Elle a prouvé que les formations féminines ne pouvaient absolument pas vivre seules et que la conception des formations géminées s’imposait impérieusement.
En résumé, on a substitué de graves erreurs aux erreurs vénielles anciennes, on a rejeté délibérément les matériaux solides des anciennes organisations pour construire un décor de théâtre qui n’a même pas le mérite de l’originalité ; on a, en outre, stoppé brutalement l’évolution normale « d’un mouvement bien amorcé (sans bénéfice aucun, ni pour les engagées, ni pour l’Armée).
On a enfin créé le désordre et le chaos là où précisément on attendait l’ordre, et surtout une rapidité d’exécution avec laquelle nul ne saurait transiger sans trahir la cause même du pays.
Bien plus, cette organisation A.F.A.T. a été néfaste dans son principe, dans son esprit, dans son application.
Dans son principe, parce qu’il est inadmissible qu’un chef responsable d’une mission n’ait pas à son entière disposition les moyens de l’accomplir.
Dans son esprit, parce qu’elle détruit :
– l’esprit de corps,
– le prestige du Chef qui devient un employeur quelconque, un vague patron,
– la continuité dans l’effort par la possibilité de changer de fonctions en changeant d’Arme,
– la conscience professionnelle qui ne peut s’épanouir que dans un milieu dont l’individu fait partie intégrante,
– l’émulation entre les différentes Armes.
Dans son application, parce qu’elle a :
– monopolisé à peu près à son seul profit (Liaisons Secours) les jeunes engagées,
– refusé de jeunes engagées faute d’organisation (inaptitude à résoudre les questions de locaux et d’encadrement),
– tenté de faire des prélèvements massifs sur le personnel en réserve pour mettre sur pied un service central pléthorique.

La Direction A.F.A.T., qui avait failli à sa mission d’organisation de l’Armée féminine, a été transformée en Sous-Direction au début du mois de mars 1945 et rattachée à l’E.M.A.
Malgré cela, rien n’a pratiquement été modifié dans les attributions de l’ancienne Direction. L’A.F. A.T. est simplement devenue « les F.F.A.T. » (Formations Féminines de l’Armée de Terre).

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En conséquence, nous nous trouvions en présence d’une organisation qui avait notoirement fait faillite dans tous les domaines de son activité, et qui, malgré cela, a poursuivi son existence chaotique par une sorte de grâce d’État.
Par contre, si la méthode préconisée par les transmissions a donné des résultats, cela tient à ce qu’elle était basée sur des principes et logique et sur une autorité très strictes, ce répercutant hiérarchiquement à tous les échelons.
À Londres, on a fait certainement des choses très bien ; à Alger, pour l’ensemble de l’A.F.N. on a certainement fait aussi de même. Disons, pour ne froisser personne, que partout on a fait le maximum de ce qui était possible par l’utilisation de toutes les bonnes volontés. Mais ni Londres, ni Alger n’étaient la Métropole.
Or, la Métropole, après novembre 1942, a fait quelque chose d’absolument splendide avec les Femmes.
Quand le Gouvernement s’est réinstallé à Paris en septembre 1944, nous avons trouvé des Unités Féminines formées par la Résistance et dans la Résistance. J’ai été personnellement très heureux de prendre contact, dès le 5 ou 6 septembre 1944, avec les « Filles en bleu » , cet admirable corps féminin de la Résistance, le C.A.F. (Corps Auxiliaire Féminin) qui comprenait la section des P.T.T. de Mlle LAJUS et avec qui, de suite, j’ai immédiatement travaillé, trop heureux d’avoir sous mes ordres une troupe d’une telle valeur morale et technique. Leur chef, Nicolle, est une des belles figures de la Résistance ()
Ce serait une injustice grave que de ne pas rappeler ici les services remarquables que m’a rendus l’équipe féminine du Lieutenant-Colonel LIMOUSIN et du Commandant JEAN-MICHEL et qui m’a permis de démarrer si rapidement dès mon arrivée à Paris, le 2 septembre 1944.
Le premier échelon du commandement des transmissions de l’Afrique française transporté par avion d’Alger au Bourget, le 2 septembre 1944 était en effet bien maigre puisqu’il comprenait trois officiers : General MERLIN, Colonel GUERIN, Capitaine PRADELLE et deux operateurs radios, un point c’est tout ; le second échelon est arrivé près de dix jours après. Et, pendant ces dix jours, il a fallu travailler. Aussi suis-je profondément reconnaissant à LIMOUSIN et à JEAN-MICHEL qui ont mis immédiatement à ma dispostion leur équipe féminine avec les ANITA, FRANCE, MAITE, MIREILLE, CLAUDE, MARIE-JOSE, FRANÇOISE, MONETTE, MICHELLE, DANIELLE, JEANNINE, ANGUE, LUCIENNE, SIMONE, THERESE. Quelles filles admirables ! Quelles belles Françaises ! N’auraient-elles pas dû, d’office, être admises dans les A.F.A.T. avec tant de titres !!! ().
Dans les Alpes, il existait également un Corps féminin de l’Armée des Alpes qui comptait d’excellents éléments et qui a rendu des services très appréciés.
Sur le Front de l’Atlantique, il se trouvait aussi des détachements féminins d’effectif faible, mais de valeur indiscutable.
À tout ce magnifique personnel, on a refusé l’intégration de droit dans les A.F.A.T. cependant prévue par l’article 2 du décret du 11 janvier 1944 portant création de formations militaires féminines auxiliaires.
Toutes ces femmes devaient repartir de zéro si elles voulaient continuer à servir sous l’uniforme ; il est inutile de s’étendre sur les « drames » que cela produisit. Comme toujours, avec le temps et les concessions, les choses finirent par s’arranger, sauf pour les « Filles en bleu » qui refusèrent de plier à l’autorité de la Commandante des A.F.A.T. et qui gardèrent leur autonomie jusqu’à la fin.

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Elles étaient rattachées à la Présidence du Gouvernement sous le nom de Corps Auxiliaire Féminin (C.A.F.).
Aussi ne peut-on que regretter l’attitude et l’injustice du Commandement des A.F.A.T. à l’égard de ce personnel de très grand choix et d’une très haute valeur morale.

Le martyrologe du C.F.T. :

Les paroles que je prononçais à l’École de la rue du Divan à Alger, au début de février 1943 devaient, hélas, se vérifier ! Toutes celles qui sont parties ne sont pas revenues :
FITUSSI Nadine mourait de typhoïde le 15 mars 1943, à Alger.
CASENTI Toussainte, MAHONDEAUX Huguette et RIVES Bernadette, opératrices radio, étaient tuées dans un accident d’auto (voiture radio capotée), à Meknès, le 22 Mai 1943.
MAZELLA Lydia était emportée au Kef (Tunisie) par le typhus, le 28 Mai 1943.
PORTELLI Jeanine, demeurée jusqu’à la dernière minute devant son standard, succombait à Tunis, le 9 juin 1943, après une typhoïde foudroyante, c’était la benjamine des Merlinettes. La typhoïde devait nous ravir également LORITANO Sylviane (Oran 7-6-43), CELERIEN Élyane (Alger, 29-2-44), tandis que la méningite emportait de la CHAPELLE Marthe (Alger, 17-2-44), et POISSON Marie (Alger, juin 44).
DELVAL Gilberte (17-6-45) et FALLAIX Renée (23-6-45) décédaient aux Armées des suites d’accidents.
LECOMTE Louisette (4-7-45) et BINARD Ginette (1-9-45) décédaient à Paris.

J’ai parlé plus haut du personnel C.F.T. chargé de missions spéciales. Maintenant que l’on commence à connaître en France le travail magnifique accompli par la Radio clandestine, il faut savoir que les Allemands disposaient d’un équipement territorial radio-gonio remarquablement organisé. Nombreux furent les postes clandestins ainsi repérés, dont les opérateurs, arrêtés, connurent la douloureuse existence des Camps de Concentration. Beaucoup n’en sont pas revenus et, dans notre Arme, nous devons d’une manière particulière, honorer leur mémoire. L’on a pensé, devant la difficulté d’alimenter les réseaux radios clandestins en opérateurs masculins, à utiliser les femmes.
Et c’est ainsi que le C.F.T. a sélectionné et instruit une trentaine de volontaires, dont 11 ont effectué des missions en France pour le compte du B.C.R.A. :
BIGREL Frédérique,
COLLIN Denise,
COMBELAS Suzanne,
MARTINI Colette,
TORLET Geneviève,
TORLET Elisabeth,
MEREAU Jeanne,
CLOAREC Marie-Louise,
DJENDI Eugénie,
LOIN Pierrette,
MERTZIZEN Suzanne.
Leur instruction technique comportait un saut en parachute. Combien d’hommes se seraient soumis à cet entraînement avec le risque connu de la mission à accomplir, en cas d’échec !
J’ai reçu toutes ces jeunes filles avant leur départ pour le Centre d’instruction spécial ; elles savaient toutes que l’insuccès de leur mission devait les conduire à la mort. Elles avaient toutes fait le sacrifice de leur vie pour la France. Je tiens à le dire ; il faut que tous nos officiers le sachent et le fassent savoir.
Sur ces onze héroïnes, cinq ne sont pas revenues.
Elisabeth TORLET, partie d’Alger le 30 août 1944 a été fusillée par les Allemands le 6 septembre 1944 ; elle avait 29 ans. Le récit de sa mission et de sa mort est une page d’histoire qui ne se raconte pas ; il faut en lire le récit dans les textes originaux (voir annexe N° 14).
CLOAREC Marie-Louise, DJENDI Eugénie, LOIN Pierrette et MERTZIZEN Suzanne ont été capturées par la Gestapo, elles sont mortes à Ravensbruck. De renseignements non confirmés, mais qu’il faut, hélas ! considérer comme très probables, les trois premières y auraient été pendues le 19 janvier 1945.

CONCLUSION

Telle est l’histoire du C.F.T.
Cette question de la Femme-Soldat a toujours été pour moi un sujet profondément grave ; instruit par une rude expérience, j’ai toujours défendu les principes du C.F.T. et lutté contre les principes A.F.A.T.
Le 2 janvier 1946 (cf. annexe 15) je continuais la lutte, ne désespérant pas de faire triompher mes idées parce que, devant l’illogisme et les erreurs de l’A.F.A.T., je ne pouvais pas admettre que le bon sens ne finirait pas par prévaloir.
Ma ténacité a triomphé.
Par circulaire N. 2319 EMA 1/10 du 6-3-47, le Service Central P.F.A.T. (successeur de l’A.F.A.T.) est dissous et la Direction d’Arme reprend la question de son personnel féminin.
C’est le retour à ma solution :
Un Corps Militaire Féminin, par l’Arme, pour l’Arme, dans l’Arme. J’ai écrit ces lignes et les ai fait suivre de nombreuses annexes pour que nos jeunes Officiers y puisent des enseignements pour savoir commander les Femmes-Soldats qui seront demain sous leurs ordres, pour qu’ils y puisent des renseignements pour faire connaître dans le pays les services que la Femme a rendus (et peut rendre) à notre Arme ; pour qu’ils y trouvent une leçon de foi et de persévérance.
Mais surtout, je désire que ces lignes soient un témoignage de profonde gratitude et de sincère reconnaissance envers des Filles de France, de la Métropole et de l’Union française qui ont su faire leur devoir pendant la campagne de Libération de notre Patrie alors que tant de jeunes hommes, du fait de l’absence de mobilisation en septembre 1944 en Métropole, ont préféré garder leurs pantoufles plutôt que de répondre à l’appel aux Armes lancé par le Général de GAULLE.
Toutes celles qui ont appartenu au C.F.T. peuvent être fières. Elles ont bien fait leur devoir. Hier, Femmes-soldats que tous doivent respecter, puissent-elles être demain des Épouses et des Mères heureuses. De tout mon cœur, je le leur souhaite.

Paris, le 25 mars 1947.Général de Division L. MERLIN.

 

 

Les Merlinettes citées dans le livre du général Merlin

en gras les rares informations (non vérifiées) trouvées sur le web

Mme TRABUT
Melle CLAUDET
Mme PONS
Mme AUBIGNAC      Georgette      Lire ici:
Melle BARSAC
Melle BREVARD
Mme CAPELLI
Mme CERRUTI
Melle de CHANCEL
Mme de CHARRANT
Melle DUPONT
Mme FEROUILLAT
Melle GAUVIN
Melle IRISON
Mme KIRSH
Melle LEGER
Melle MARCOUT
Melle MAYET
Mme PANAEFF
Mmer RIVALS
Melle ROY                 Malou.  Lire ici: 
Melle SERGENT
Mme SORRACHI
Melle de SULAUZE
Melle TIXIER
Melle WENDLING
Melle ZURETTI
Mme DAULON
Melle GROSLIERE
Melle LANOUZIERE
Melle LEVY
Melle OLAGNIE        Berthe lire ici:
Melle SAFRA             Madeleine lire ici: 
Melle AICARDO
Melle BOUROUSSE
Melle BREDIF
Melle BREGLER
Melle CALMETTES
Melle CLOAREC         Marie-Louise lire ici: 
Melle CZECZORZINSKA       Olga lire ici: 
Melle DANIEL
Melle DJENDI           Eugénie Lire ici: 
Melle LOUIN            Pierrette Lire ici: 
Melle MERTZIZEN      Suzanne Lire ici: 
Melle MOUFFROY
Melle ROLAND
Melle TADDEI
Melle TORLET Elisabeth Lire ici:
Melle VIDAL

Caillou, le 3 novembre 2025

 

La salle d’attente

Quand j’y suis entré, la salle d’attente n’était pas pleine. J’ai trouvé trois personnes à qui j’ai timidement dit bonjour et j’ai cru entendre que l’on me répondait, presque ensemble, tout doucement, en murmurant, pour ne pas déranger le silence.

Je me suis assis à côté d’une jeune maman avec un enfant au grand regard étonné.
Il y avait des barreaux aux fenêtres et une affiche sur le mur qui vantait des vacances formidables en Turquie, avec des gens heureux, en famille, devant des paysages grandioses.

Un vieux monsieur moustachu et chauve regardait le bout de ses chaussures, un type, plus jeune, en blouson, jouait avec son smartphone, et moi je me demandais si je pouvais ouvrir mon sac et lire le roman que j’avais commencé le matin même.

J’ai demandé à ma voisine :
— Vous attendez depuis longtemps ?
La jeune mère m’a regardé. Elle était tellement triste et avait presque les larmes aux yeux. Mais elle ne m’a pas répondu.
Personne ne m’a répondu !

Un coup d’œil furtif à ma montre m’informa qu’il était déjà 10 h 10.
Cet enfant, n’aurait-il pas dû être à l’école ?
La porte allait elle s’ouvrir bientôt ?
Et pour demander qui ?

Après un long moment d’attente, en silence, seulement perturbé par les chuchotements de l’enfant et les cliquetis du smartphone du jeune homme, nous avons entendu des bruits de pas.
La porte s’est ouverte et nous nous sommes levés. Le gamin s’est précipité dans les bras de sa mère.

Sont alors entrées dans la pièce quatre personnes qui se sont dirigées vers chacun d’entre nous. Je n’ai pas du tout regardé les autres ni vu ce qui se passait autour de moi car j’avais d’un seul coup reconnu le visage de la femme qui s’était dirigée vers moi et me regardait dans les yeux. Elle m’a tendu les bras en souriant et je me suis brusquement lové contre elle. Je sentais ma joue contre son cou, son buste contre le mien, sa douce respiration dans mon oreille et mes larmes qui mouillait maintenant mon visage. Après ce moment d’intense émotion, elle m’a fait signe de nous assoir face à face. Nous nous tenions par les mains sur nos genoux.

Elle avait environ 30 ans, sans une ride, avec une belle chevelure châtain foncé et elle se tenait bien droite. * Je ne l’avais vu ainsi que sur des photographies anciennes, des souvenirs figés, mais son regard, lui, je l’avais parfaitement reconnu, intimement reconnu.

Nous n’avons rien dit. Tu n’as pas prononcé une parole. Et j’étais bien incapable de parler. Mais nous avons, longuement échangés dans nos yeux, tout l’amour que nous avions l’un pour l’autre, l’amour exclusif, infini et éternel qui nous liait.
Les minutes s’écoulaient, je le sentais.
Nos mains s’étreignaient. À travers mes larmes je te voyais me sourire tendrement.

Je me rappelais quand nous étions à Lucerne, toi seule française dans un pays germanophone avec moi, qui maitrisait déjà parfaitement le Schwyzerdütsch, quand nous étions à Paris dans cet appartement sordide de la rue Saint-Sauveur et que tu travaillais un peu partout pour des patrons irrespectueux, dans les divers sanatoriums que tu avais traversés, à Sarcelles aussi avec ma stupide rébellion adolescente.

Tu m’as fait un petit signe de la tête et je t’ai vu détourner ton regard vers les autres personnes présentes. Le vieux monsieur chauve tenait les mains d’une jeune fille en débardeur et couronnée de fleurs, directement revenue des années 70 et du Flower Power. La maman serrait dans ses bras un bidasse au crâne rasé et l’enfant les regardait tous les deux, émerveillé. Le jeune homme s’était agenouillé devant un gamin blond qui riait…

La porte s’est de nouveau ouverte.
Nous sommes regardés et tu as fait comme si tu m’embrassais puis un violent courant d’air a traversé la pièce. Tout s’est mis à voler. Un bruit épouvantable a résonné. Je suis tombé par terre.
J’étais de nouveau seul et tu n’étais plus là.

Une main me secouait en criant « Pierre ! Pierre ! Revenez avec nous ». L’infirmière du service de réanimation me criait dans les oreilles ! « Alors là, il n’est pas passé loin ! Appelez l’interne de garde ! »
J’ai ouvert les yeux.
« Vous n’arrêtiez pas de supplier une certaine Madeleine ! »

*  Car il est dit quelque part dans les écritures (1 Corinthiens 15:37-49) qu’elle avait retrouvé le corps de sa plénitude. « Chacun retrouvera donc, à la fin des temps, un corps ressuscité, que l’on qualifie de glorieux »

Sur 6 mots envoyés par Andine:
Madeleine, souvenirs, vacances, pierre, école, douceur.

Caillou, le 28 septembre 2025

 

 

 

 

 

« OUBLIER CAMUS » d’Olivier CLOAG

Critique d’un pamphlet.

Un petit livre, de 160 pages, paru en septembre 2023 aux Éditions La Fabrique fait un tabac dans les milieux intellectuels, militants et chez les amoureux d’Albert Camus. 64 ans après sa mort, un universitaire de Caroline du Nord aux États-Unis propose d’oublier Camus.

 

En trois parties :

1° Ce pamphlet est un torchon bourré de citations tronquées, d’interprétations tendancieuses, de falsifications historiques, de rumeurs invérifiables.
Il est anachronique, car incapable de se replacer dans la période historique, qui date de plus de 70 ans. Il juge Camus au nom d’une idéologie contemporaine, moraliste, américaine, le décolonialisme, que l’on peut rapprocher des théories post-modernes de déconstruction.
2° Heureusement Albert Camus a beaucoup écrit et on peut trouver assez facilement ce qu’il disait, pensait et sentait, politiquement et humainement sur son pays de naissance l’Algérie. Une partie de cette critique va donc constituer à s’appuyer sur les textes mêmes d’Albert Camus pour remettre les choses en place, jeter l’ouvrage de Mr Cloag à la poubelle et enfin, relire Camus
3° Car le lire, maintenant, dans cette impasse épouvantable de la guerre entre Israël et le Hamas, c’est aussi un formidable rappel du courage d’être humain. C’est un appel aux hommes et femmes de paix, aux refus des haines qui divisent et de la violence qui ne fait qu’engendrer la violence.

1° Un torchon
Commençons par une citation tronquée :
Page 16
Notons ce qui ne choque pas Camus :
le détail du salaire horaire des uns et des autres, les Algériens gagnant après les grèves 2,30 frs et les pieds-noirs 7,20 Fr.
Camus ne remet pas cette injustice criante en cause, au contraire, il la prend comme donnée absolue dans ses calculs. C’est l’acceptation de l’axiome impérial : les Européens gagnent plus que les Algériens à travail égal.
Du coup je vais chercher l’article de Camus dans Alger républicain du 12 octobre 1938
et je trouve :
La spéculation contre les lois sociales
… La hausse des salaires a donc un peu amélioré la situation du manœuvre indigène. Mais lorsqu’il s’agit d’un homme qui gagnait 11 frs 20 par jour, on sent bien qu’une amélioration de cet ordre n’est encore qu’un pis-aller.

Page 21 :
les colons européens vivent cette décision comme une atteinte à leurs privilèges.
Mais qu’est-ce qu’un colon ? Dans le dictionnaire Robert, je lis :
Personne libre attachée héréditairement au sol qu’elle exploite.
Personne qui est allée peupler ou exploiter une colonie.
Habitants d’une colonie.

En langage commun, un colon c’est un propriétaire terrien. Donc une minorité des européens d’Algérie, plutôt habitants des villes, et artisans, commerçants ou employés.
Olivier Cloag essentialise tous les Européens d’Algérie sous le terme de colon.
Voyons ce qu’écrit Albert Camus sur le terme « colon » :
Chroniques Algériennes : Page 359 des œuvres complètes
LA BONNE CONSCIENCE
Entre la métropole et les Français d’Algérie, le fossé n’a jamais été plus grand. Pour parler d’abord de la métropole, tout se passe comme si le juste procès, fait enfin chez nous à la politique de colonisation, avait été étendu à tous les Français qui vivent là-bas. À lire une certaine presse, il semblerait vraiment que l’Algérie soit peuplée d’un million de colons à cravache et à cigare, montés sur Cadillac.
Cette image d’Épinal est dangereuse. Englober dans un mépris général, ou passer sous silence avec dédain, un million de nos compatriotes, les écraser sans distinction sous les péchés de quelques-uns ne peut qu’entraver, au lieu de favoriser la marche en avant que l’on prétend vouloir. … /… 80 % des Français d’Algérie ne sont pas des colons, mais des salariés ou des commerçants.

Page 24 :
Le soutien de la gauche en Algérie au projet Blum/Violette est considéré par Cloag comme le meilleur moyen de neutraliser toute velléité d’indépendance :
Considérant que loin de nuire aux intérêts de la France, ce projet les sert de la façon la plus actuelle. Dans la mesure où il fera apparaître aux yeux du peuple arabe le visage d’humanité qui doit être celui de la France.
En adoptant cette attitude, Camus ne remet donc pas en cause la structure coloniale. S’il est exact que Camus est assimilationniste, donc pour une assimilation des Algériens à la République française, dont les premiers pas étaient la proposition Blum Violette cela ne signifie nullement qu’il était pour la colonisation.

Page 26
Puis quand le Parti Communiste (Algérien) quitte ce soutien à la réforme Blum/Violette alors Camus quitte le PCA. C’est à ce moment en 1937 que Camus quitte le parti communiste algérien… C’est un mensonge pur et simple ! Voilà ce qu’écrit l’historien Guy Pervillé dans une conférence :
Ainsi s’explique son adhésion juvénile au PCA, à la fin de l’été 1935. Il en fut exclu deux ans plus tard parce qu’il refusait le reniement de la solidarité anticolonialiste avec l’Étoile nord-africaine puis le Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj au nom de l’antifascisme.
(http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=274

Page 27
Pour Cloag quand Camus écrit sur la misère en Kabylie (page 27) c’est pour montrer que la France ne fait pas ce qu’il faut. Même si le journal ou il publie ces articles est interdit, cela prouve qu’il soutient la colonisation. Il suffit de lire « misère en Kabylie » pour voir le contresens absolu.
Page 1413 des œuvres complètes : Notice. Camus et l’Algérie.
D’une enquête en Kabylie, il rapporte, en juin 1939, les onze articles de « Misère de la Kabylie », description minutieuse des ravages de l’organisation économique et sociale mise en place par le système colonial. Le ton est modéré, mais la dénonciation implacable ; dorénavant, Camus est aux prises avec une censure qui le réduit au chômage l’année suivante, ce qui l’oblige à partir pour Paris.

Page 31
Quand Camus n’écrit pas sur les massacres de Sétif et Guelma, cela prouve qu’il soutient la répression. Ce qui est totalement faux. Camus écrit :
Chroniques Algériennes : Page 360 des œuvres complètes.
Qui, en effet, depuis trente ans, a naufragé tous les projets de réforme, sinon un Parlement élu par les Français qui fermait ses oreilles aux cris de la misère arabe, qui a mis que la répression de 1945 se passe dans l’indifférence, sinon la presse française dans son immense majorité ? (Note : Sur les évènements de Sétif.)

Donc qu’il écrive ou pas Camus est un colonialiste.
Ce livre est donc bourré de contresens.
À partir de là je me méfie de toutes les citations tronquées.

On en arrive à l’affirmation page 34 qui cite 5 lignes :
Entre ces deux causes, celle de l’humanisme et celle de l’Algérie française, Camus a effectivement choisi la seconde. Le masque tombe quand il dit à Quillot, en septembre 1959, « si l’Algérie devient indépendante, je quitterai la France. Je partirai au Canada. 48 »
Je cherche la source. Gloag indique par une note N° 48 : Œuvres complètes. Tome II, Page 1861.
Dans l’exemplaire CAMUS œuvre complète Tome II, page 1861, édition de 1965 cette note ne figure pas ?
Un camarade m’envoie une autre version du même livre. Et il me précise par mail : Il s’agit de la réédition de 2000 d’une édition originale de 1965 de « Albert Camus Essais ». Dont acte ! 40 ans après sa mort, Camus parle encore !!!
Cette phrase est citée également dans la même conférence de Guy Pervillé de 2012
La seconde [29] est une sorte de conclusion personnelle ajoutée par Roger Quilliot : « Dirai-je, pour finir, que Camus ne parvint jamais à se faire à l’idée d’indépendance de l’Algérie. La dernière fois que je le vis en 1959, après le discours sur l’autodétermination, il me dit : « (…) si l’Algérie devient indépendante, je quitterai la France. Je partirai au Canada ». La contradiction avec la lettre du 19 octobre 1959 citée par Philippe Vanney semble totale, mais sans doute faut-il comprendre que Camus évoquait devant Roger Quilliot l’hypothèse d’une victoire de la sécession.
Il s’agit donc d’une phrase dite par Camus dont se souvient Quilliot, plusieurs années plus tard.
Cette phrase isolée (et qui n’a pas dit une connerie à un moment ou à un autre de sa vie !) est en contradiction avec tout ce qu’écrit Camus.
Mais Cloag en fait ses choux gras !

Après les phrases tronquées, passons aux interprétations :
Page 45
Sa lecture du symbolisme des rats dans la peste roman écrit en 1941, est proprement dégueulasse. Les rats de la peste sont, d’après Olivier Cloag, les Algériens qui vont envahir Oran. Alors que tous les autres lecteurs y ont vu une allégorie de l’occupation allemande de la France. Non seulement cette interprétation est scandaleuse pour Camus mais elle l’est aussi pour les Algériens !

J’en profite pour signaler que France 2 a annoncé que le premier épisode de « La Peste » serait diffusé le lundi 4 mars à 21h10. La chaîne publique proposera les deux premiers épisodes ce soir-là. Réalisée par Antoine Garceau sur un scénario de Gilles Taurand et Georges-Marc Benamou, cette nouvelle mini-série en quatre épisodes s’inspire du célèbre livre éponyme écrit par Albert Camus.

Page 53
Cloag fait l’apologie de la violence révolutionnaire des colonisés. Il suit en cela la bonne lecture d’un Fanon ou d’un Sartre tandis que Camus, qui est fondamentalement contre la violence, qu’elle soit coloniale ou révolutionnaire écrit :
Chroniques Algériennes : Page 364 des œuvres complètes.
Telle est, sans doute, la loi de l’histoire. Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre de l’injustice (1°). Mais il peut avancer plus ou moins et, si telle est la loi de l’histoire, c’est en tout cas la loi de l’esprit que sans cesser de réclamer justice pour l’opprimé, il ne puisse l’approuver dans son injustice, au-delà de certaines limites. Les massacres des civils, outre qu’ils relancent les forces d’oppression, dépassent justement ces limites et il est urgent que tous le reconnaissent clairement. 1° (Argumentation reprise dans l’Homme révolté)

Mais on va trouver encore plus amusant :
Page 57 où Sartre devient résistant !
On parle bien du Sartre qui fait applaudir Les mouches  au théâtre de la Cité le 2 juin 1943 :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mouches
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_Sartre
« Je maintiens qu’en une vingtaine d’années consacrées à la recherche et à des travaux sur l’histoire de la Résistance en France, je n’ai jamais rencontré Sartre ou Beauvoir. »
Dit le journaliste résistant Henri Noguères à l’historien Gilbert Joseph :

Et Page 62 ou Camus devient un collabo des Allemands puisque défaitiste-pacifiste dès 1939. (Ce qui d’ailleurs était aussi le cas de Giono)
En 1943, il devient lecteur chez Gallimard, entre dans la Résistance et prend la direction de Combat.
Le journal se revendique comme la « voix de la France nouvelle » et Camus ne souhaite pas qu’il soit associé à un quelconque parti politique. En mai ; la résistance lui délivre une fausse carte d’identité sous le nom de Albert Mathé, lui donnant comme résidence rue de petit vaux à Epinay-sur-Orge. Son pseudonyme, dans la Résistance, était Bauchard.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Camus

Page 103
À propos du dernier livre d’Albert Camus, Le Premier Homme, et de la xénophobie des pieds-noirs :
Cette subordination n’est pas relevée de façon critique bien au contraire, elle est défendue comme excusable parce que humaine. Cette tentative de justification de la xénophobie renvoie une conception de l’humanité comme motivée par des atavismes purement identitaire.

Ce type n’a rien compris entre l’humain, le sensible et son « antiracisme ». Camus est le fils d’un temps et d’une société donnée. Il est déchiré entre un humanisme universel qui lui fait dénoncer toute sa vie ce que le colonialisme fait subir aux Algériens, et la peur qu’il ressent de ce qui va arriver aux Français d’Algérie.

C’est qu’il exprime dans son fameux :
« En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. »
Lors de la remise du Nobel.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Alg%C3%A9rie

Page 105
Ce que Cloag décrit comme haine des anticolonialistes parisiens de la part de Camus :
Cette obsession contre les métropolitains indépendantistes, perçue comme une cinquième colonne, est une autre manière de minimiser le rôle des Algériens dans leur propre libération.
Alors que cette haine est le reflet de l’incompréhension des élites parisiennes pour le drame des pieds-noirs qui devaient s’exiler.
C’est vrai que je me dis que le racisme des pieds noirs aurait été difficilement intégrable dans une Algérie algérienne… mais leur souffrance m’est chère !

Page 106 :
Une citation (immonde) tirée du livre Le premier homme. Il s’agit d’un songe du personnage.
Il le rêve dans la sieste : demain, six cents millions de Jaunes, des milliards de Jaune, de Noirs, de basané, déferleraient sur le cap de l’Europe… Et au mieux la convertiraient. Alors tout ce qu’on avait appris, à lui et à tout ce qui lui ressemblaient, tout ce qu’il avait appris aussi, de ce jour les hommes de sa race, toutes les valeurs pourquoi il avait vécu mourraient d’inutilité..
Mais Cloag en tronque la dernière phrase :
Qu’est-ce qu’il faudrait encore alors ? Le silence de sa mère, il déposait ses armes devant elle.
Quand on sait qu’il s’agit d’un livre inachevé, retrouvé dans la voiture à l’état de carnets épars et dont rien ne prouve qu’il aurait voulu publier tel quel ! Il faut tout rechercher, tout relire, car ce torchon est d’une telle mauvaise foi qu’il triche partout !

Je ne vais pas continuer à rechercher si Camus était sexiste ou s’il n’a pas changé d’avis sur la peine de mort.

Tout cela est sans importance face au génie de certaines pages d’Albert Camus.
Je pense à Noces par exemple… Alors effectivement il n’y a pas d’Arabes dans l’Étranger ou dans La Peste. Kamel Daoud, en 2014, dans son roman Meursault contre-enquête, l’avait bien relevé avec finesse. Mais ces absences correspondent à une réalité urbaine de l’Algérie française. Ma mère me disait que, dans son enfance, elle ne rencontrait pratiquement jamais d’Arabes en dehors des femmes de ménage de la pension de jeunes filles où elle était enfermée. Elle n’a vraiment côtoyé des Algériens que pendant la guerre, en Italie, engagée dans la première armée française comme transmissioniste. (Monte-Cassino, le débarquement de Provence, Colmar…) Cela ne l’a pas empêché plus tard d’être pour l’indépendance de ce pays.

Finalement pourquoi cet universitaire, Monsieur Cloag, a-t-il écrit un pamphlet aussi mensonger ? Je pense qu’il s’agit d’une idéologie : les études décoloniales.
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_d%C3%A9coloniales
C’est honorable de vouloir faire prendre conscience du traumatisme des colonisations.
La richesse des pays développés s’est construite sur cet esclavage, sur ce pillage, sur ces massacres des populations indigènes d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud. Les internationalistes, les communistes, les anarchistes ont toujours été aux côtés des peuples colonisés, des décoloniaux sans le savoir.
Mais aux États-Unis une forme très spécifique de la pensée décoloniale est apparue ces dernières années. Ce sont ces déboulonneurs de statues, qui n’ont rien connu de ces combats internationalistes et qui maintenant construisent les divisions entre les peuples, entre les genres, entre les sexes, au nom d’un droit à l’identité personnelle. C’est une forme de néototalitarisme tout à fait compatible avec le néolibéralisme et le capitalisme mondialisé.

2° Lire, relire, découvrir Camus

Pour Camus, pour son style, pour sa vérité, je voudrais juste placer ici un extrait de son dernier livre de Camus : le premier homme. Pages 73 et suivantes

« Le ragoût va brûler, attends. »
Elle s’était levée pour aller dans la cuisine et il avait pris sa place, regardant à son tour dans la rue inchangée depuis tant d’années, avec les mêmes magasins aux couleurs éteintes et écaillées par le soleil. Seul le buraliste en face avait remplacé par de longues lanières en matière plastique multicolores son rideau de petits roseaux creux dont Jacques entendait encore le bruit particulier, lorsqu’il le franchissait pour pénétrer dans l’exquise odeur de l’imprimé et du tabac et acheter L’Intrépide où il s’exaltait à des histoires d’honneur et de courage. La rue connaissait maintenant l’animation du dimanche matin. Les ouvriers, avec leurs chemises blanches fraîchement lavées et repassées, se dirigeaient en bavardant vers les trois ou quatre cafés qui sentaient l’ombre fraîche et l’anis. Des Arabes passaient, pauvres eux aussi mais proprement habillés, avec leurs femmes toujours voilées mais chaussées de souliers Louis XV. Parfois des familles entières d’Arabes passaient, ainsi endimanchées. L’une d’elles traînait trois enfants, dont l’un était déguisé en parachutiste. Et justement la patrouille de parachutistes repassait, détendus et apparemment indifférents. C’est au moment où Lucie Cormery entra dans la pièce que l’explosion retentit.
Elle semblait toute proche, énorme, n’en finissant plus de se prolonger en vibrations. Il semblait qu’on ne l’entendait plus depuis longtemps, et l’ampoule de la salle à manger vibrait encore au fond de la coquille de verre qui servait de lustre. Sa mère avait reculé au fond de la pièce, pâle, les yeux noirs pleins d’une frayeur qu’elle ne pouvait maîtriser, vacillant un peu. « C’est ici. C’est ici, disait-elle. — Non », dit Jacques, et il courait à la fenêtre. Des gens couraient, il ne savait où ; une famille arabe était entrée chez le mercier d’en face, pressant les enfants de rentrer, et le mercier les accueillait, fermait la porte en retirant le bec-de-cane et restait planté derrière la vitre à surveiller la rue. À ce moment, la patrouille de parachutistes revint, courant à perdre haleine dans l’autre sens. Des autos se rangeaient précipitamment le long des trottoirs et stoppaient. En quelques secondes, la rue s’était vidée. Mais, en se penchant, Jacques pouvait voir un grand mouvement de foule plus loin entre le cinéma Musset et l’arrêt du tramway. « Je vais aller voir », dit-il.
Au coin de la rue Prévost-Paradol, un groupe d’hommes vociférait. « Cette sale race », disait un petit ouvrier en tricot de corps dans la direction d’un Arabe collé dans une porte cochère près du café. Et il se dirigea vers lui. « Je n’ai rien fait, dit l’Arabe. — Vous êtes tous de mèche, bande d’enculés », et il se jeta vers lui. Les autres le retinrent. Jacques dit à l’Arabe : « Venez avec moi », et il entra avec lui dans le café qui maintenant était tenu par Jean, son ami d’enfance, le fils du coiffeur. Jean était là, le même, mais ridé, petit et mince, le visage chafouin et attentif. « Il n’a rien fait, dit Jacques. Fais-le entrer chez toi. » Jean regarda l’Arabe en essuyant son zinc. « Viens », dit-il, et ils disparurent dans le fond. En ressortant, l’ouvrier regardait Jacques de travers. « Il n’a rien fait, dit Jacques. — Il faut tous les tuer. — C’est ce qu’on dit dans la colère. Réfléchis. » L’autre haussa les épaules : « Va là-bas et tu parleras quand tu auras vu la bouillie. » Des timbres d’ambulances s’élevaient, rapides, pressants. Jacques courut jusqu’à l’arrêt du tram. La bombe avait explosé dans le poteau électrique qui se trouvait près de l’arrêt. Et il y avait beaucoup de gens qui attendaient le tramway, tous endimanchés. Le petit café qui se trouvait là était plein de hurlements dont on ne savait si c’était la colère et la souffrance.
Il s’était retourné vers sa mère. Elle était maintenant toute droite, toute blanche. « Assieds-toi », et il l’amena vers la chaise qui était tout près de la table. Il s’assit près d’elle, lui tenant les mains. « Deux fois cette semaine, dit-elle. J’ai peur de sortir. — Ce n’est rien, dit Jacques, ça va s’arrêter. — Oui », dit-elle. Elle le regardait d’un curieux air indécis, comme si elle était partagée entre la foi qu’elle avait dans l’intelligence de son fils et sa certitude que la vie tout entière était faite d’un malheur contre lequel on ne pouvait rien et qu’on pouvait seulement endurer. « Tu comprends, dit-elle, je suis vieille. Je ne peux plus courir. » Le sang revenait maintenant à ses joues. Au loin, on entendait des timbres d’ambulances, pressants, rapides. Mais elle ne les entendait pas. Elle respira profondément, se calma un peu plus et sourit à son fils de son beau sourire vaillant. Elle avait grandi, comme toute sa race, dans le danger, et le danger pouvait lui serrer le cœur, elle l’endurait comme le reste. C’était lui qui ne pouvait endurer ce visage pincé d’agonisante qu’elle avait eu soudain. « Viens avec moi en France », lui dit-il, mais elle secouait la tête avec une tristesse résolue : « Oh ! non, il fait froid là-bas. Maintenant je suis trop vieille. Je veux rester chez nous. »

Mais cela ne suffit pas ! Il me faut citer Camus, comme écrivain politique :

Chroniques Algériennes : LA BONNE CONSCIENCE
Si les Français d’Algérie cultivaient leurs préjugés, n’est-ce pas avec la bénédiction de la métropole ? Et le niveau de vie des Français, si insuffisant qu’il fût, n’aurait-il pas été moindre sans la misère de millions d’Arabes ? La France entière s’est engraissée de cette faim, voilà la vérité. Les seuls innocents sont ces jeunes gens que, précisément, on envoie au combat.

Chroniques Algériennes : TRÊVE POUR LES CIVILS
Je sais, il y a une priorité de la violence. La longue violence colonialiste explique celle de la rébellion. Mais cette justification ne peut s’appliquer qu’à la rébellion armée. Comment condamner les excès de la répression si l’on ignore ou l’on tait les débordements de la rébellion ? Et inversement, comment s’indigner des massacres des prisonniers français si l’on accepte que des Arabes soient fusillés sans jugement ? Chacun s’autorise du crime de l’autre pour aller plus avant. Mais à cette logique, il n’est pas d’autre terme qu’une interminable destruction. « Il faut choisir son camp », crient les repus de la haine ! Je l’ai choisi ! J’ai choisi mon pays, j’ai choisi l’AIgérie de la justice, où Français et Arabes s’associeront librement !

Chroniques Algériennes : LE PARTI DE LA TRÊVE
On me dit qu’une partie du mouvement arabe propose une forme d’indépendance qui signifierait, tôt ou tard, l’éviction des Français d’Algérie. Or, par leur nombre et l’ancienneté de leur implantation, ceux-ci constituent eux aussi un peuple, qui ne peut disposer de personne, mais dont on ne peut disposer non plus sans son assentiment.
Les éléments fanatiques de la colonisation, de leur côté, brisent les vitres au cri de « Répression », et renvoient après la victoire des réformes mal définies. Cela signifie pratiquement la suppression, au moins morale, d’une population arabe dont ni la personnalité ni les droits ne peuvent être niés. Ce sont là des doctrines de guerre totale. Ni dans un cas ni dans l’autre, on ne peut parler d’une solution constructive.
Et dans son discours pour une trêve civile qui demandait que d’un côté (l’armée française) comme de l’autre (Les fellaghas) on arrête de s’en prendre aux civils :
En ce qui me concerne, j’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis, et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient.

Car enfin, ce grand poète a aussi essayé de faire cesser les massacres qui ont ponctué la guerre d’Algérie !
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Appel_pour_une_Tr%C3%AAve_Civile

3° L’actualité d’Albert Camus

Armé de son humanisme universel, il a essayé de faire entendre raison à la barbarie des siens et des autres.
Camus, un libertaire, pacifiste, humain, anticolonialiste, avec toutes ses contradictions, a voulu une fédération entre l’Algérie et la France. Il a essayé jusqu’au bout d’enrayer la machine qui a séparé ces peuples qui auraient pu vivre ensemble, Arabes, Berbères, Juifs, Français, Espagnols, Maltais… Cette terre leur était commune.
Mais la naissance d’une Algérie indépendante s’est faite dans la haine, dans le sang et dans l’exil. Il aurait pu en être autrement.
Comment ne pas voir que cette situation épouvantable se reproduit en ce moment même en Palestine/Israël ? Où l’horreur intégrale du massacre du 7 octobre dernier puis les bombardements sur tout un peuple, enfermé dans un tout petit territoire et sans aucun moyen de fuir semble sans espoir.
Alors bien sûr c’est compliqué. L’histoire est compliquée.
Mais une terre commune pour des peuples qui ont tout pour vivre ensemble, c’est déjà le message de Camus, il a 65 ans !

Caillou. 22 février 2023

Bibliographie :
Bien sûr tout Camus et en particulier : Noces, L’étranger, La peste, le premier homme. Et tous les écrits politiques
Albert Camus de Danièle Boone, aux éditions Henry Veyrier – 1987
Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud paru en octobre 2013 et réédité en 2014 chez Actes Sud
Albert Camus, fils d’Alger de Vircondelet, 2010. Paris, Fayard, 2010. ISBN 9782213638447.
Albert Camus : une vie d’Olivier Todd, Gallimard, coll. « NRF Biographies » en 1996, 864 p. ISBN 9782070732388.
L’ombre d’un homme qui marche au soleil de Maïssa Bey (préf. Catherine Camus), : Chèvre-feuille étoilée, 2006. (ISBN 2914467370)
Albert Camus, Élisée Reclus et l’Algérie de Philippe Pelletier, : les « indigènes de l’univers », Le Cavalier bleu, 2015

Et l’excellent article de Lou Marin sur l’excellente revue Divergences
https://divergences.be/spip.php?article3519

Je me suis beaucoup servi de cette application en ligne:

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L’hommage à deux “Merlinettes”: Eugénie Djendi et Elisabeth Torlet

C’était le 6 octobre 2023 à Lorris dans le Loiret

La stèle avec son parachute

 

 

 

 

Avant la cérémonie
Christiane et Jean-Georges
La stèle découverte
Moi et une parachutiste porte-drapeaux

Les photos étaient interdites pendant la cérémonie pour une obscure raison de participations de soldats des forces spéciales…
Il faisait beau et je me sentais bizarre au milieu de tous ces uniformes et de ce cérémonial, mais c’était pour Madeleine.

Madeleine Safra était aussi présente ce jour là

Caillou le 4 novembre 2023

Un film en hommage à Eugénie Djendi tourné par un lycéenne de 17 ans !

Et un film, tourné en Corse, à Ucciani, en hommage à des enfants du village morts pour la France,
dont aussi à Eugénie Djendi

L’hommage (annulé) à deux « Merlinettes »: Eugénie Djendi et Elisabeth Torlet

Il devait y avoir un hommage à Eugénie Djendi et Élisabeth Torlet,
à l’occasion de l’inauguration d’une stèle, à Lorris, dans le Loiret,
au musée de la Résistance et de la Déportation.

On peut trouver un livre sur le parcours d’Eugénie Djendi,
cette jeune femme assassinée à Ravensbrück.

Mais cette inauguration a été annulée,  en raison des événements .
Faute de gendarmes disponibles car occupés par la révolte dans les banlieues.

Nous y sommes allés malgré tout et je me suis fait photographier, avec le portrait
de Madeleine,  ma mère, Merlinette elle aussi, devant la stèle recouverte d’un plastique.

Et nous avons visité le musée: Une exposition en hommage aux femmes résistantes.

Un mannequin pour représenter les transmissions dans le maquis.

Et une petite affiche montrant qu’elle était la place des femmes sous le régime de Vichy !

(…voir les billets sur les Merlinettes dans la catégorie « Mad »)
Caillou, le 4 juillet 2023

 

 

 

 

 

Oradour-sur-Glane en Algérie : Une mémoire oubliée…

Je viens de terminer la lecture du livre de Nedjib Sidi Moussa: « La fabrique du Musulman ».
Livre passionnant que je recommande particulièrement à tous les excitéEs « en lutte contre l’islamophobie » qui en oublient de dénoncer l’islamisme politique au point d’en devenir les idiots utiles.
Sur son site https://sinedjib.com
j’ai trouvé une référence passionnante à une mémoire oubliée, celles des opposants au colonialisme français qui, dès aout 1945, dénoncèrent les massacres de Setif et Guelma.
Le 8 mai cela fait 77 ans.
Merci à Nedjib et à l’association RADAR http://www.association-radar.org qui témoigne de cette mémoire…
Ohé Partisans c’est un journal du Parti communiste Internationaliste, donc un groupe de trotskystes antifascistes… Le texte est en dessous.

PLUTÔT MOURIR DEBOUT QUE DE VIVRE À GENOUX
Oradour-sur-Glane en Algérie
La vérité sur le drame d’Afrique du Nord

Une censure sournoise et une presse bien sage : voilà pourquoi si peu de gens ont une idée précise des événements qui ont ensanglanté l’Algérie.
La situation
Les populations d’Afrique du Nord n’ont jamais connu les bienfaits de la colonisation ».
La richesse des gros colons, et des industriels a été faite de la sueur et du sang des esclaves coloniaux. Depuis la guerre, une famine effroyable a augmenté terriblement la mortalité. En Algérie, les deux tiers des enfants indigènes meurent avant l’âge de deux ans. Dans certaines régions, les Algériens ont pour toute nourriture 120 grammes de grain par jour. Des milliers d’Arabes vivent dans des loques et à peu près nus. Multipliez par dix les restrictions que nous connaissons ici, et par vingt la pourriture vichyssoise : vous avez la situation en Afrique du Nord. La colère des masses en est multipliée d’autant.
Les partis algériens
Par leur politique de soutien du gouvernement, les Partis Ouvriers français ont perdu une grande partie de leur influence. Les Algériens réalisent nettement que les paroles du P. S. et du P. C. F. contre les gros colons ne sont que de la démagogie. Il est évident que les colons ne pourraient exploiter longtemps le peuple algérien s’ils n’avaient pour les soutenir, les baïonnettes du gouvernement « démocratique » auquel participent le P. S. et le P. C. F.
Ce sont donc les Partis Nationalistes Algériens qui bénéficient de la confiance des masses populaires.
Le Parti du Peuple Algérien (P. P. A.) qu’une certaine presse hypocrite a tenté de confondre avec le P. P. F. Inutile de dire qu’il n’y a rien de commun.
Le chef du P. P. A. : Messali Hadj, fut emprisonné sous le gouvernement de Daladier puis sous celui de Pétain et enfin sous le gouvernement actuel. Le deuxième parti est « le mouvement des amis du manifeste », de Ferrat Abbas. Devant la poussée des masses laborieuses, la bourgeoisie ne pouvait freiner le mouvement par des appels au calme de chefs ouvriers traîtres (à la mode de chez nous), ces derniers n’ayant plus de crédit en Algérie. Pour briser les reins au mouvement d’émancipation, elle prépara une monstrueuse provocation. La préparation du massacre fut l’œuvre des colons fascistes et de l’administration algérienne. (Cela, toute la presse de gauche l’a reconnu en France.) Mais la complicité du gouvernement (sur laquelle la presse se tait) ressort des faits qui suivent.
Le drame
Le 8 mai, le drame éclate à Sétif. Une manifestation indigène avait lieu. Une foule de plusieurs milliers de Nord-Africains défilent avec des banderoles : « Vive l’Algérie Indépendante » ! « Libérez Messali Hadj » !
La police intervient. La foule refuse de retirer les mots d’ordre. Un commissaire de police sort son revolver et tire sur les manifestants. Plusieurs s’écroulent ; la foule se disperse. Alors, un groupe d’indigènes parcourt la ville en tuant un certain nombre de personnes.
En tout, 102 morts, d’après les chiffres officiels.
Le prétexte est fourni à une répression sauvage et l’État français se garde bien naturellement d’inquiéter les fomentateurs de la provocation. (Suite page 8.)
Au contraire, la répression est organisée contre la population indigène. Les Versaillais ont fait des petits ! La loi martiale est décrétée à Sétif. Il est interdit aux indigènes de sortir de chez eux s’ils ne sont pas munis d’un brassard spécial indiquant qu’ils se rendent au travail. Tout musulman vu sans brassard est tué sans avertissement.
En pleine ville de Sétif, dans un square, un gamin qui cueillait des fleurs est tué par un sergent. Dans la région de Sétif, la répression est faite par la Légion étrangère et les Sénégalais qui massacrent, violent, pillent les demeures des indigènes et incendient.
La marine dépêche le Duguay-Trouin de Bône. Il bombarde les environs de Kerrata. M. Tillon a demandé aux ouvriers de travailler à construire une forte aviation. Fort bien, les fascistes algériens savent utiliser cette aviation pour semer la mort dans les villages indigènes. Elle bombarde et mitraille toute la région au Nord de Sétif qui est aujourd’hui partiellement un désert (presse démocrate d’Algérie).
Le massacre atteint son comble.
A Guelma. La presse pétainiste a fait du beau travail et suscité une véritable folie raciste dans la population européenne, à telle point que la répression est dirigée par des éléments de la France Combattante et même du Parti Communiste local !
Le II et le 12 mai, selon l’aveu du sous-préfet Achiary, les officiers français font fusiller 300 (trois cent) jeunes musulmans (6 à 600 selon d’autres témoignages) … Les voilà bien les officiers vichystes (qui ne demandaient qu’à se racheter)
Partout le carnage continue, et à Taher, à la sortie d’une conférence faite par M. Lestrade-Carbonel, préfet de Constantine, plusieurs Vichystes notoires peuvent dire : (c’est un jour de victoire pour nous !), En effet.
En France, les gardes civiques du peuple n’existent plus, mais en Afrique du Nord la réaction constitue une « Garde civique » à elle, dans laquelle ce sont les anciens membres du S.O.I de Darnand qui occupent les principaux postes de commandement.
Des militants communistes qui s’étaient élevés contre la tuerie sont frappés par des naphtalineux. Certains militants disparaissent même mystérieusement.
A Djidjelli, les 9, 10 et 11 mai, l’armée pille les quartiers indigènes. La fédération des syndicats confédérés proteste et demande à être reçue par le préfet qui refuse en répondant à la manière de Goering : « L’armée fait son devoir » !
La manœuvre classique
Bien entendu, la réaction essaie de brouiller les cartes selon le procédé classique. Elle déclare que c’est la main de l’Allemagne qui est derrière tout cela.
C’est là un procédé qui prend avec les niais qui oublient que c’est le capital qui a fait Hitler et non Hitler qui a fait le capitalisme.
A la mairie de Douera, lors d’une réunion des maires du Sahel, un certain M. Dromigny applaudit le nom du Général de Gaulle, puis fait une diatribe contre la « propagande allemande » … et enfin réclame le maintien de la Loi Martiale et de la répression contre les indigènes.
Or, ce M. Dromigny était, avant-guerre le représentant en Algérie du Fasciste Dorgères !
Bilan de la répression
« Quelques centaines de victimes »
C’est faux !
Alors M. Tixier-Stulpnagel lâche du lest…
« Douze cents Algériens tués »
C’est faux I
Les culottes de peau chargées de la répression avouent huit mille morts !
Le consul américain d’Alger déclare 35.000 victimes indigènes.
« L’ordre règne en Algérie « !
Sur les Champs-Élysées, la foule applaudit les SS de la Légion en képi blanc. (Ce sont de vrais soldats, ma chère). Comme tout devient clair dans le « problème allemand » …
Et là-bas dans les ruines d’un village, un vieil Arabe parle à ses enfants du « peuple des Seigneurs »
Nous ressentons une grande honte en songeant à cela, nous qui avons lutté pendant quatre ans contre l’oppression. Non ! camarades algériens, nous ne voulons pas être complices du gouvernement bourgeois et de ses tueurs !
Vive la lutte du peuple algérien pour son indépendance !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Caillou le 14 mai 2021

18 Avril 2021 : Hommage aux insurgé.e.s du Ghetto de Varsovie

Hommage aux insurgé.e.s du Ghetto de Varsovie
18 avril 2021, 14h, Place de l’hotel de ville, Paris

Lorsque les nazis entrent dans le ghetto de Varsovie le 19 Avril 1943, ils ne s’attendent pas a trouver 750 juifs et juives armé·es derrière des barricades, prêt·s à les combattre.
Enfermé·es et tassé·es entre des murs aveugles depuis novembre 1940, la population du Ghetto a déjà chuté de 450 000 à 70 000 personnes en moins de 3 ans, en raison des déportations quotidiennes vers le camp de mise à mort de Treblinka.
La date de l’attaque choisie par les nazis correspondait cyniquement avec le premier jour de Pessah (Pâques juive), célébration de la liberté par le souvenir de la sortie d’Égypte du peuple hébreu.
Les insurgé·es n’ont pas de doute sur ce qui les attend comme le montre l’écrit d’un combattant du ghetto : « Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d’ici. Nous voulons sauver la dignité humaine ».
L’organisation juive de combat (OJC/ en polonais ZOB) – initiée par les mouvements de jeunesse présents dans le Ghetto dont les figures les plus connues étaient Mordehaï Anielewicz, Mira Fuchrer et Marek Edelman – planifie et organise l’insurrection du ghetto.
Ce combat inclut également l’installation de caches et d’abris, la fabrication des armes, des barricades, le stock des provisions et la cuisine, le soin des blessé·es, et la communication. C’est tout le ghetto de Varsovie qui s’est soulevé et a soutenu les 750 combattant·es. Malgré les conditions dramatiques de leur lutte, les milliers de personnes acculées se sont dressées et organisées contre les nazis. Ces femmes et ces hommes se sont aussi battu·e·s pour que leur mémoire nous parvienne et nous inspire. Leur rendre hommage est également un appel aux combats d’aujourd’hui face à la montée des droites extrêmes et des idées fascisantes, et plus particulièrement de l’antisémitisme.
Comme l’écrivait Mordehaï Anilewicz dans son dernier message du 23 avril 1943 : « Grâce à notre radio, nous avons entendu une merveilleuse émission relatant notre lutte. Le fait que l’on parle de nous hors du ghetto nous donne du courage. »
A toutes et à tous les insurgé·es du ghetto, nous rendrons hommage le 18 Avril 2021 à 14h.
A l’appel du Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes (RAAR).

Un séminaire en ligne avec l’historienne Audrey Kichelewski sur le soulèvement du Ghetto de Varsovie et ses mémoires
19 avril 2021, 19h30
Ce séminaire, qui se déroulera sur ZOOM, est ouvert à tou.te.s !
Vous pouvez dès maintenant vous inscrire à cette adresse :
raar-ghetto-varsovie-2021@gmail.com

On peut voir, sur le site de l’INA, Anna Langfus témoigner sur ce premier jour de l’insurrection .
Ici:
C’est un extrait du journal télévisé de 1965.
Cela dure très peu, 3 min 52 s.
Pour moi, entendre cette voix amie, disparue depuis 1966, me touche au cœur.
Salut Anna et merci à l’INA.


Caillou,  le 17 avril 2021.

Une mémoire perdue

Comment expliquer que l’histoire des Merlinettes soit si peu connue ?

Que d’efforts pour arriver à une commémoration discrète, à une inauguration… Et ce alors que les derniers témoins disparaissent.

J’ai trouvé dans le livre de Dominique Camusso et Marie Antoinette Arrio une belle explication que le parcours très particulier d’Eugénie Djendi illustre parfaitement. Avec l’autorisation des auteurs, je me permets de citer totalement les
4 pages suivantes.
En les remerciant

Caillou le 20 Juillet 202

inauguration du square Eugénie Djendi à Paris en 2015. Photo Geneviève Zamansky-Bonin.

Une mémoire perdue

Nous venons de parcourir la vie d’Eugénie Djendi. Une vie exceptionnelle au sens premier du terme. Il n’y a sans doute pas plus d’une vingtaine de femmes qui ont accompli les mêmes choses pour en définitive connaître le même sort. Mais, une fois sa famille disparue, le témoin n’a pas été transmis pour que se poursuive le parcours de mémoire. Cela tient à ce que la personne d’Eugénie Djendi avec ses actes et ses engagements n’est pas entrée en résonance avec les catégories mémorielles qui ont émergé après guerre.
Les premières catégories auxquelles on peut penser sont des catégories renvoyant à ses origines. Célébrer une Corse héroïque du fait de sa famille maternelle ? Difficile à imaginer d’autant plus qu’elle n’a pas dû séjourner dans l’île au-delà de périodes de congés. Sa grand-mère s’est occupée discrètement du souvenir de sa petite-fille tant qu’elle a vécu, mais ensuite sa mère a liquidé tous ses biens en Corse. Une Arabe valeureuse ? Comme cela a été tenté en juillet 1958, mais on a préféré mobiliser la religion musulmane à laquelle elle n’appartenait pas. Une actuelle identité algérienne ne ferait guère de sens Pour une personne qui ne connut que l’Algérie colonisée. Le concept méditerranéen, s’il avait été en vigueur à l’époque, aurait pu être mobilisé pour faire ressortir son métissage. Mais à ce moment la mer était perçue comme une frontière qui sépare en renvoie l’autre à ses origines, plutôt que comme un point commun autour duquel on se rassemble. Là encore, les événements de juillet 1958 sont symptomatiques. Quand « la Dépêche de Constantine » parle de la communauté franco-musulmane, les autorités n’envisagent pas la population marchant ensemble, mélangée, sur un chemin allant dans une même direction, mais chacun sur son trottoir, Eugénie et sa famille paternelle étant renvoyée sur le trottoir «musulman».
Si Eugénie Djendi n’a pas d’origines familiales suffisamment tranchées auxquelles la rattacher, son engagement au service de la nation pourrait la renvoyer à une mémoire militaire.
Malheureusement, son statut de personnel «féminin» de l’armée introduit immédiatement une ambiguïté voire une exclusion. Femme, elle n’a pas signé un engagement comme les hommes. Quand on lit les courriers du général Merlin pour défendre ses ouailles lors de la création du corps des AFAT on perçoit bien que les femmes restent des militaires d’un ordre subalterne. Et cette position tient beaucoup plus aux autorités responsables, y compris féminines, de ce nouveau corps de personnel, qu’aux officiers qui ont eu à commander des femmes. Cette prévention s’est certainement propagée dans certaines instances d’anciens combattants dont on pourrait pourtant penser qu’ils étaient sensibles à la mémoire et à la commémoration de leurs anciens. Aucune inscription du nom d’Eugénie Djendi n’a été faite sur un monument aux morts. Pourtant un projet avait été initié à Ucciani dans son village d’origine. Il semble que les groupes d’anciens combattants locaux n’aient, pour le moins, pas donné suite, laissant même le soin de l’entretien de la tombe où est apposée la plaque mémorielle au bon vouloir des voisins une fois la grand-mère décédée. Toutes les institutions militaires ne sont pas identiques. L’arme des Transmissions a fait un geste à usage interne en inscrivant son nom sur la plaque .de la caserne du Mont-Valérien. Mais seuls ceux qui y ont accès le savent et ils ne sont pas nombreux. En fait, parmi les organisations militaires seuls les Services Spéciaux ont fait. preuve de fidélité et de reconnaissance en inscrivant son nom sur le monument de Ramatuelle. On peut certainement voir en cela la volonté personnelle de Paul Paillole comme celle de Lucien Merlin qui n’a jamais manqué de rappeler le souvenir de ses quatre merlinettes dans tous ces textes et conférences tenues après guerre. Malheureusement, les services secrets ne sont pas les meilleurs vecteurs pour faire connaître au grand public des parcours individuels souvent atypiques.
Puisque la mémoire d’Eugénie Djendi n’arrive pas à trouver place dans les catégories précédentes peut-être la trouverait-elle mieux dans celles issues de la Résistance. Si l’on prend pour guide la structuration du « mythe de Résistance » que propose Gildea, il semble normal qu’elle ne s’insère pas mieux dans le récit gaulliste, national, militaire et masculin qui prédomine dès la sortie de la Guerre. « La résistance s ‘est mise en place dès le début de la guerre derrière le général de Gaulle à Londres, tandis qu’une poignée d’égarés collaboraient avec l’ennemi, une minorité de résistants actifs soutenue par la majorité des Français libéraient la France soutenus militairement par quelques étrangers ». Elle ne peut trouver sa place dans ce récit, elle n’appartient à aucune de ces catégories. En juin 1940, elle n’a que 17 ans et elle vit en Afrique du Nord. Elle ne croisera la route gaulliste que quand le général viendra à Alger. Mais à ce moment, ses engagements sont pris. La Résistance de l’intérieur qui libère son pays ne peut la concerner non plus à moins de donner au concept d’intérieur une dimension purement patriotique. Dans ce récit appartiendrait-elle à l’aide minoritaire venue de l’étranger ? Sûrement pas à la majorité passive e encore moins aux égarés. Non, elle n’est pas un personnage de ce récit. Elle ne l’est pas non plus de la geste communiste qui prend corps en opposition à la précédente lorsque le parti quitte les sphères du pouvoir.
Venant d’Algérie son souvenir collectif ne pouvait pas non plus résister aux fractures qu’occasionnera la Guerre d’Algérie et à la mise à mal du mythe résistant par le comportement d’ancien héros, de militaires en particulier. On se limitera, pour rester avec des noms que l’on a croisés, à penser au général Juin placé entre deux chaises et au général de Larminat qui préfère le suicide au choix entre les loyautés qui lui sera imposé.
A partir des années 80, la mémoire militaire nationale et masculine de la Résistance bascule vers celle du génocide des juifs et d’autres minorités et à la commémoration de leurs sauveteurs. Eugénie Djendi n’a aucune place à prendre dans cette partie de l’Histoire.
Le souvenir et l’entretien de la mémoire des déportés et des exactions dans les camps de concentration auraient aussi pu être une occasion pour que la figure d’Eugénie Djendi soit maintenue vivante. Il n’en a rien été ou si peu. Militaires dans un camp de déportées politiques Marie-Louise Cloarec, Eugénie Djendi, Pierrette Louin et Suzanne Mertzisen n’étaient, comme elles le pensaient d’ailleurs, pas à leur place. Au-delà du partage des souffrances et du martyr, leurs codétenues savaient-elles vraiment qui elles étaient et ce qui les avait conduites à Ravensbrück. Il est révélateur de noter à ce sujet qu’il n’est jamais fait référence à leur statut militaire, et encore moins d’agent du contre-espionnage. Elles sont les « quatre petites parachutistes » dans le texte de Germaine Tillion de 1946 et sont encore « les parachutistes » dans la revue « Voix et visages » de janvier 1986. Quarante ans plus tard, leur identité de déportées se résume à leur mode de transport pour venir en France.
Dans tous ces méandres, accaparements, récits et mythes, le souvenir d’Eugénie Djendi n’a pas trouvé sa place ni son chemin. Ceci d’autant plus qu’il n’y avait pas, ou peu, de famille qui connaisse suffisamment bien les faits pour s’en préoccuper. Si nous souhaitons que le souvenir d’Eugénie Djendi, son parcours, son engagement et son martyr restent présents dans les mémoires il ne faut pas compter sur son inscription dans une mémoire collective. La solitude inhérente à son engagement dans les services spéciaux nous oblige à nous souvenir d’elle uniquement comme la personne qu’elle fut dans sa singularité indépendamment des identités multiples et successives qui la constituent, mais ne la résument pas