Toulouse. 26 octobre 2017.
La seconde librairie d’Ombres Blanches est noire de monde. Comme je suis très en retard j’ai loupé l’introduction de la conférence de Mohamed Oubahli : « De Rabelais à Flunch, le goût du couscous». On me tend un petit escabeau. Jamais vu autant de monde rassemblé dans cette salle ! Cela déborde maintenant entre les rayons de la librairie.
« Le goût du couscous », cela attire donc tant de gens ? Tandis que j’écoute attentivement les propos du conférencier j’essaie de deviner qui est venu l’écouter ce soir-là… Des gens plutôt âgés qui ont un rapport personnel, familial, historique avec le couscous ? Des Maghrébins ? Oui, quelques-uns mais pas beaucoup. Des jeunes aussi, jeunes femmes surtout…
Sont-ils là pour fêter Horizons Maghrébins, la revue d’Habib Samrakandi qui a organisé cette soirée goûteuse et musicale ? Pour les 40 ans du service « Art et Culture » de l’Université Jean Jaurès ? Pour écouter le luth oriental de Marc Loopuyt ? Peut-être aussi le public habituel de la librairie ? Qu’importe après tout. Il y a beaucoup de monde pour un sujet rarement abordé dans ce genre de rencontre : l’histoire d’un plat.
Et puis d’ailleurs pourquoi moi suis-je venu l’écouter cette conférence ? Et là je suis très étonné car je croyais naïvement que le couscous était un simple plat d’Afrique du nord, une recette sans histoire, une coutume populaire transmise de générations en générations et se pliant par contre aux contraintes locales d’approvisionnement, de poisson ici, de choux là, de viande parfois. Or Mohamed Oubahli nous fait voyager dans toute la Méditerranée, nous a fait retourner au Moyen-âge, nous emmène au Portugal…
En particulier sur l’origine du mot couscous lui-même, nous sommes, je crois, éberlués par ce travail de fourmi, d’archiviste, de dénicheur de menus de restaurant du 19ème siècle parisien…
Et du coup, grâce à lui, la tradition du couscous devient dans nos oreilles comme un art majeur, un joyau de la cuisine au même titre que les très grands plats de la cuisine bourgeoise, le bœuf Strogonoff, la poularde demi-deuil ou le homard à l’armoricaine.
Mon rapport au couscous, à moi, c’est juste deux pauvres feuilles A4, tapées à la machine à écrire sur du papier pelure, qui ont été tellement lues, pliées et repliées, avec des taches de gras, qu’elles devraient depuis longtemps avoir rendu l’âme, si elles n’étaient pas pieusement encadrées au dessus de mon bureau.
Le couscous que je fais, une ou deux fois par an, c’est l’émerveillement devant un problème de mathématique ! Il est impossible de faire rentrer tous les ingrédients, légumes et viande que ma recette demande dans n’importe quel couscoussier familial. Il me faut sortir un ou deux faitouts supplémentaires. Et pourtant je relis à chaque fois cette phrase d’introduction : Confection du couscous algérien pour 4 PERSONNES !
C’est un couscous de l’exil destiné à être lu par des Français de France, des Francaouis.
Il a été tapé à la machine, dans les années 1960, par une secrétaire de direction venue d’Alger à Paris en 1947, après une guerre glorieuse, comme transmissioniste, entre 1943 et 1945 (Campagne d’Italie, Débarquement de Provence, Libération de la France, La bataille d’Alsace puis l’invasion de l’Allemagne Hitlérienne)
Elle avait laissé tout ce qui lui restait de souvenirs à Alger. Alors vivre en France, y fonder une famille, y recevoir en 1962 les parents « pieds-noirs » tout cela demandait des racines. Et le couscous en était une importante
Je conserve ce document unique depuis plus de 40 ans. Je le consulte à chaque fois que je fais un couscous pour mes amis et pour ma famille. C’est un document qui me fonde, totalement, et auquel je ne change rien, pas la moindre virgule. J’aime tellement ce moment où je plonge les mains dans la semoule très chaude pour y émietter les petits morceaux de beurre, pour bien mélanger ce sable jaune à la bonne odeur de cannelle avant de la remettre dans le torchon blanc au-dessus de la vapeur du bouillon. C’est toujours pour de grandes fêtes où nous sommes nombreux et pas, comme il écrit, pour quatre personnes. Mais c’est le couscous de Madeleine Safra, ma mère ! Disparue en 1973.
D’entendre Monsieur Oubahli donner au couscous de telles lettres de noblesse cela m’a fait chaud au cœur. Déguster, à la fin de la soirée d’Ombres Blanches le couscous marocain de Habib, fut un vrai couronnement. Il n’était pas aussi bon que celui de ma mère mais je crois que c’est une phrase que j’ai déjà entendue.
Merci beaucoup à cette belle équipe.
Caillou, le 2 novembre 2017