Quand j’y suis entré, la salle d’attente n’était pas pleine. J’ai trouvé trois personnes à qui j’ai timidement dit bonjour et j’ai cru entendre que l’on me répondait, presque ensemble, tout doucement, en murmurant, pour ne pas déranger le silence.
Je me suis assis à côté d’une jeune maman avec un enfant au grand regard étonné.
Il y avait des barreaux aux fenêtres et une affiche sur le mur qui vantait des vacances formidables en Turquie, avec des gens heureux, en famille, devant des paysages grandioses.
Un vieux monsieur moustachu et chauve regardait le bout de ses chaussures, un type, plus jeune, en blouson, jouait avec son smartphone, et moi je me demandais si je pouvais ouvrir mon sac et lire le roman que j’avais commencé le matin même.
J’ai demandé à ma voisine :
— Vous attendez depuis longtemps ?
La jeune mère m’a regardé. Elle était tellement triste et avait presque les larmes aux yeux. Mais elle ne m’a pas répondu.
Personne ne m’a répondu !
Un coup d’œil furtif à ma montre m’informa qu’il était déjà 10 h 10.
Cet enfant, n’aurait-il pas dû être à l’école ?
La porte allait elle s’ouvrir bientôt ?
Et pour demander qui ?
Après un long moment d’attente, en silence, seulement perturbé par les chuchotements de l’enfant et les cliquetis du smartphone du jeune homme, nous avons entendu des bruits de pas.
La porte s’est ouverte et nous nous sommes levés. Le gamin s’est précipité dans les bras de sa mère.
Sont alors entrées dans la pièce quatre personnes qui se sont dirigées vers chacun d’entre nous. Je n’ai pas du tout regardé les autres ni vu ce qui se passait autour de moi car j’avais d’un seul coup reconnu le visage de la femme qui s’était dirigée vers moi et me regardait dans les yeux. Elle m’a tendu les bras en souriant et je me suis brusquement lové contre elle. Je sentais ma joue contre son cou, son buste contre le mien, sa douce respiration dans mon oreille et mes larmes qui mouillait maintenant mon visage. Après ce moment d’intense émotion, elle m’a fait signe de nous assoir face à face. Nous nous tenions par les mains sur nos genoux.
Elle avait environ 30 ans, sans une ride, avec une belle chevelure châtain foncé et elle se tenait bien droite. * Je ne l’avais vu ainsi que sur des photographies anciennes, des souvenirs figés, mais son regard, lui, je l’avais parfaitement reconnu, intimement reconnu.
Nous n’avons rien dit. Tu n’as pas prononcé une parole. Et j’étais bien incapable de parler. Mais nous avons, longuement échangés dans nos yeux, tout l’amour que nous avions l’un pour l’autre, l’amour exclusif, infini et éternel qui nous liait.
Les minutes s’écoulaient, je le sentais.
Nos mains s’étreignaient. À travers mes larmes je te voyais me sourire tendrement.
Je me rappelais quand nous étions à Lucerne, toi seule française dans un pays germanophone avec moi, qui maitrisait déjà parfaitement le Schwyzerdütsch, quand nous étions à Paris dans cet appartement sordide de la rue Saint-Sauveur et que tu travaillais un peu partout pour des patrons irrespectueux, dans les divers sanatoriums que tu avais traversés, à Sarcelles aussi avec ma stupide rébellion adolescente.
Tu m’as fait un petit signe de la tête et je t’ai vu détourner ton regard vers les autres personnes présentes. Le vieux monsieur chauve tenait les mains d’une jeune fille en débardeur et couronnée de fleurs, directement revenue des années 70 et du Flower Power. La maman serrait dans ses bras un bidasse au crâne rasé et l’enfant les regardait tous les deux, émerveillé. Le jeune homme s’était agenouillé devant un gamin blond qui riait…
La porte s’est de nouveau ouverte.
Nous sommes regardés et tu as fait comme si tu m’embrassais puis un violent courant d’air a traversé la pièce. Tout s’est mis à voler. Un bruit épouvantable a résonné. Je suis tombé par terre.
J’étais de nouveau seul et tu n’étais plus là.
Une main me secouait en criant « Pierre ! Pierre ! Revenez avec nous ». L’infirmière du service de réanimation me criait dans les oreilles ! « Alors là, il n’est pas passé loin ! Appelez l’interne de garde ! »
J’ai ouvert les yeux.
« Vous n’arrêtiez pas de supplier une certaine Madeleine ! »
…
* Car il est dit quelque part dans les écritures (1 Corinthiens 15:37-49) qu’elle avait retrouvé le corps de sa plénitude. « Chacun retrouvera donc, à la fin des temps, un corps ressuscité, que l’on qualifie de glorieux »
Sur 6 mots envoyés par Andine:
Madeleine, souvenirs, vacances, pierre, école, douceur.
Caillou, le 28 septembre 2025