Archives de catégorie : Mad

On ne s’évade jamais du monde réel.

Guy Béart est mort.

Pour l’occasion ce chanteur un peu oublié, à la voix faible, un peu mièvre (du moins dans mon souvenir) est revenu sur les ondes.

Hier j’ai entendu pour la première fois sa chanson l’Hôtel Dieu. Et brusquement je réalise qu’il y parle du décès de sa mère dans l’hôpital parisien du même nom là où, justement ma maman  disparue traînait une vieille tuberculose pendant que le quartier latin se soulevait dans l’odeur âcre des lacrymaux.

Et cette chanson résonne en moi comme si, d’un coup quarante années plus tard, tout me revenait d’un coup. Résonne en moi jusqu’aux larmes.

On ne s’évade jamais du monde réel.

Caillou 20 septembre 2015

Lire aussi: https://www.cailloutendre.fr/2005/04/lhotel-dieu-2/

lhotel-dieu

Hôtel-Dieu
Pour une femme morte dans votre hôpital
Je réclame, Dieu, votre grâce
Si votre paradis n’est pas ornemental
Gardez-lui sa petite place
La voix au téléphone oubliait la pitié
Alors, j’ai couru dans la ville
Elle ne bougeait plus déjà d’une moitié,
L’autre est maintenant immobile
Bien qu’elle fût noyée à demi par la nuit
Sa parole était violence
Elle m’a dit « Appelle ce docteur » et lui
Il a fait venir l’ambulance
Ô temps cent fois présent du progrès merveilleux,
Quand la vie et la mort vont vite
Où va ce chariot qui court dans l’Hôtel-Dieu,
L’hôtel où personne n’habite?
D’une main qui pleurait de l’encre sur la mort
Il fallut remplir quelques fiches
Moi, je pris le métro, l’hôpital prit son corps
Ni lui ni elle n’étaient riches
Je revins chaque fois dans les moments permis
J’apportais quelques friandises
Elle me souriait d’un sourire à demi,
De l’eau tombait sur sa chemise
Elle ne bougeait plus, alors elle a pris froid
On avait ouvert la fenêtre
Une infirmière neutre aux gestes maladroits
En son hôtel, Dieu n’est pas maître
La mère m’embrassa sur la main, me bénit
Et moi je ne pouvais rien dire,
En marmonnant « Allons, c’est fini, c’est fini »
Toujours dans un demi-sourire
Cette femme a péché, cette femme a menti
Elle a pensé des choses vaines
Elle a couru, souffert, élevé deux petits,
Si l’autre vie est incertaine
Et si vous êtes là et si vous êtes mûr,
Que sa course soit terminée!
On l’a mise à Pantin dans un coin près du mur,
Derrière, on voit des cheminées
Guy Béart
 

le 2 juillet 2015, un hommage à une « merlinette »: Eugénie Malika Djendi

J’ai, sur ce blog, essayé de parler d’un combat oublié: celui des engagées volontaires féminines d’Afrique du Nord, dans la seconde guerre mondiale, contre le nazisme.

https://www.cailloutendre.fr/2007/08/merlinette-2/
https://www.cailloutendre.fr/2007/08/merlinette-2-2/

En particulier des transmissionnistes, les « Merlinettes ». Ma mère, Madeleine SAFRA, en était. Or cet engagement est rarement évoqué.
Parce que ce sont les hommes, les guerriers, qui sont toujours mis au premier plan ?
Parce qu’elles n’étaient pas « gaullistes » au sens où elles ne venaient pas, pour la plupart, des FFL de Londres mais qu’elles s’étaient engagées après le débarquement allié en Afrique du Nord en 1942 ?
Parce que  leur chef, le général Merlin était un classique officier de l’armée française ?
Pourtant leurs combats pour la libération furent très importants:  Campagne d’Italie, débarquement de Provence, l’hiver 44 en Alsace et dans les Vosges, le franchissement du Rhin puis la campagne d’Allemagne pour finir, en mai 1945, par faire tomber le Reich hitlérien.

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Photo Marie-Jo Bonnet

Aussi cela fait vraiment plaisir de voir que les efforts pour que les Merlinettes  ne soient pas complètement oubliées portent aujourd’hui leurs fruits. Même si c’est tardif !

Je laisse la parole à Marie-Jo Bonnet qui sur son blog (http://mariejobon.net/) écrit:

Jeudi 2 juillet 2015, j’ai eu la joie d’assister au dévoilement de la plaque dédiée à Eugénie Malika Djendi, opératrice radio, exécutée à Ravensbrück le 18 janvier 1945 sur ordre de Berlin. Elle se trouve dans le Jardin André Citroën (15e arrondissement, métro Balard) qui porte désormais son nom.

Merci à Jean-Georges Jaillot-Combelas d’avoir été l’artisan inspiré de cette reconnaissance (bien tardive) de l’engagement des femmes dans les combats contre le nazisme.
Sur la photo: à gauche, soutenue par la nouvelle génération des opératrices radio, Anise Postel-Vinay. En face, tenant les cordon Marie-Jo Chombart de Lauwe, Michèle Agniel. Derrière avec les moustaches blanches Jean-Georges Jaillot-Combelas.
Près du drapeau, Catherine Vieu-Charier.

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Photo Marie-Jo Bonnet

Sous-Lieutenante Eugénie-Malika DJENDI 1923-1945
« Merlinette »
Opératrice radio du Corps Féminin de Transmission d’Afrique du Nord
Parachutée par les Services spéciaux d’Alger
Résistante, Déportée
Exécutée à Ravensbrück

Inauguration le 2 juillet à la mémoire de Eugénie-Malika Djendi , « Merlinette »
Photo Geneviève Zamansky-Bonin

Caillou, le 26 juillet 2015

La biographie d’Eugénie-Malika DJENDI est lisible ici:

http://www.aassdn.org/araMnbioDf-Dr.html

C’est « la bonne mère » qui a tout fait!

Fin avril 2012. Marseille. Notre Dame de la Garde. La basilique domine toute la ville.

Après la longue montée des marches on trouve un belvédère, juste devant l’édifice. Il y a ce jour là beaucoup de monde, des touristes mais aussi de nombreux  Marseillais, venus en famille. Il fait très beau et, vue d’ici, la ville est absolument magnifique.

Sur un pilier, dans l’entrée à droite, cette plaque commémorative:

Le 25 août 1944, fête de Saint Louis, roi de France, et les jours suivants, Notre Dame de la Garde a manifestement préservé de la destruction sa basilique et délivré la ville et tout le territoire. C’est elle qui a tout fait, a déclaré le général de Montsabert, qui commandait la vaillante armée de la 3ème DIA. Souvenir reconnaissant de Marseille et de la Provence

Ainsi donc les 1500 tués de la 3ème DIA, pour beaucoup des tirailleurs algériens ou des tabors marocains, dont beaucoup étaient vraisemblablement musulmans, ne sont pour rien dans la libération de Marseille. Ce ne sont pas non plus les 120 morts F.F.I, des résistants, dont certains étaient vraisemblablement communistes ou athées! Ni non plus les résistants exécutés sommairement. Pas plus que toutes les pertes civiles. … Ce n’est pas l’armée d’Afrique, ses « indigènes », ses pieds-noirs, ses « Français libres » de de Gaulle (et ses Merlinettes), ni les Américains, ni les Anglais qui ont permis la libération de la ville…

C’est « la bonne mère » qui a tout fait!

J’espère vraiment que la pluie et le vent finiront par rendre cette plaque illisible. Elle fait honte à l’Histoire. Mais c’est souvent le cas avec les religions (toutes les religions) qui abrutissent les croyants… et désespèrent les autres.

On peut lire, sur la libération de Marseille:
www.veterans.fr/1939-1945/liberation_de_Marseille.pdf
ainsi que l’excellent:
http://www.marseille-images.net/p-liberation.html
Dont je retiens d’ailleurs cette magnifique conclusion:

Comment ne pas être sensible à ce choc de l’histoire, Marseille la porte de l’Orient ! défendue et reprise aux nazis par des Arabes, Algériens et Marocains ? Si votre voisin trouve qu’à Marseille « il y a trop d’Arabes », rappelez-lui simplement qu’en cette fin d’été 1944, ce sont eux qui étaient à l’œuvre, qu’on ne pensait pas alors qu’ils fussent trop nombreux dans la bataille pour libérer la ville, et que leurs descendants peuvent à bon droit s’y sentir chez eux.

  Caillou, le 15 juillet 2012

Sosie de la reine d’Angleterre

 

En 1972 la reine Elisabeth d’Angleterre
visite la France.


Le journal « France Soir », à l’époque le plus grand quotidien national, organise à cette occasion un concours de sosie. Madeleine travaille, comme secrétaire, à la rubrique féminine du même journal. Elle écrit cette lettre qui, 39 ans plus tard, à l’occasion du mariage du petit fils de la reine d’Angleterre, a toujours le don de me faire rire et de m’émouvoir:

Le 18 mai 72.
Messieurs, a ce stade et bien avant, vous devez avoir reçu des montagnes de réponses, car les lecteurs de France Soir ont certainement reconnus depuis longtemps les deux personnages « en plein cœur de l’actualité» auquel ils croient ressembler…
Mais peu de lectrices doivent se sentir autant d’affinités secrètes avec ELLE et ressemblent autant que moi (hélas ! car elle est bien moche) à la pauvre Elisabeth. En 1947, voir photo jointe, je lui ressemblais déjà lorsqu’il lui arrivait – fraîche, sympathique et presque jolie – de sourire… car moi je riais tout le temps. A cette époque lointaine (car nous avons à peu près le même âge) je ressemblais même à sa sœur Margaret, c’est tout dire !
A présent que l’une et l’autre (petites et bouffies de partout, quoi qu’on en dise) sont aussi détériorées que moi, je me demande à laquelle des deux je ressemble davantage, et si le bon roi Georges VI, tellement « timide «, «effacé» (voir France Dimanche) n’aurait pas, dans mon pays, fait quelque sottise…. Il est vrai qu’Elisabeth et moi (vive « le nivellement par le bas» !) sommes nées le même jour (21 avril) ; avons reçu (toutes proportions gardées) la même éducation puritaine, et donc aussi mal adaptée que possible à notre époque ; avons eu en même temps un fils (du même âge) ; un mari (léger) ; des responsabilités trop lourdes, etc..… etc… Toujours est-il qu’à chaque illusion perdue (et nous en avions sûrement la même dose, pour ne pas dire la même « couche» ) le même trait, sur nos deux visages, a marqué la même place (voir les pattes d’oies, les cernes, les bajoues, et surtout l’affreux losange autour de la bouche). Bien qu’il nous reste peu d’illusions cela continue (hélas) et toujours dans le même sens.
Si bien qu’avec n’importe lequel de ses horribles « bibis» je pourrais faire un double parfait de la Reine. Nous avons pourtant gardé quelque charme : Elle a, sur moi, l’avantage de son fameux « teint de pêche», mais pour un Empire (fut-il britannique…) je ne voudrais pas, j’espère bien n’avoir jamais… sa démarche de canard. Quand au prince Philip, je pourrais bien être seule à me souvenir que « le grand charles» aurait, sans conteste possible, emporté le premier prix et empoché vos 1000 francs. Il est vrai qu’il s’en serait F… balancé. Pas moi, je vous jure ! surtout si près des vacances…
Madeleine S.
PS : Je ne suis pas assez riche pour vous prouver sur photos, la ressemblance mais l’original tout proche est à votre entière disposition.

Le brouillon déchiré.

Je range des papiers, des vieux papiers de famille,
ceux qu’on devrait jeter et qu’on garde, bêtement.
Et je tombe sur un brouillon, un pense-bête,
déchiré, coincé entre 2 cartes d’identité.

 

Oui, j’ai bien lu:
Pas mariée à la synagogue. Mariage purement civil. De race purement aryenne.
Il s’agit de mon arrière grand-mère qui avait épousé, en seconde noces, un monsieur juif.

Il lui a fallu demander un certificat de baptême.

C’était en 1942 ? Et alors ?

Quand un État force les citoyens à une telle soumission,
une très vieille dame garde un brouillon déchiré dans ses papiers d’identité

Au cas où cela reviendrait?

Caillou, le 5 juin 2010

Les vacances en Grèce

Aighon 4/7/72.
La purée va, si j’aurais su, jamais je viens dans ce pays pourri !
Le prochain qui vient me le dire, à moi, qu’ici le Paradis c’est pas mieux, la fugur comme une carabasse je lui fais, les dents de devant je lui casse, et son oeil tout bleu y vient quand même il était marron.Toujours je m’ai demandé pourquoi quant y se tiennent la rabia, y’en a qui disent : « Vas te fair ouar par les Grecs »: Méteunant, ça yé, j’ai compris. Celui-la que tu peux pas t’le ouar en peintur, c’est pas difficile, tu t’lenvois ici. D’un seul coup, pas deux, tia plus besoin te venger…Tou, y’a rien a fair, j’peux pas t’raconter. Ac’ la rage que je me tiens, y’en aurait pour 25 pages et, en plus, tu les lirais pas, mais le jour de l’arrivée je te donne l’aperçu, et que le cul y me tombe si ça que je dis c’est pas vrai !

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À RIVIERE

Un poème de Mad

À RIVIERE, laissé pour compte, le 31/3/45, en Alsace, à six pieds sous terre.

De Port-Royal à Denfert
Je l’ai regardé,
Ce monsieur qui te ressemblait :
Même front, mêmes yeux
Même bouche irrégulière,
Toi… moins ton rire.

Est descendu, s’en est allé,
Le monsieur souriant, paisible, résigné,
Ce monsieur que tu pourrais être…
Captif de notre vie…
Stupide et sûre,
artiste qui aurait
vidé tes yeux, tué ton rire,
Mis dans ta bouche une première acceptation
De l’état-de-choses existant,
Ce monsieur que tu pourrais être
et que, peut être tu étais,
de Port-Royal à Denfert,
Ce soir, pour me regarder…
fille

Pour chercher, dans cet être
morne et sans colère,
Le rire libre et vrai de la Joie,
Le rire confiant de la Jeunesse,
Le rire fier de la Révolte,
Le rire énorme et primitif
Qu’aux temps lointains où tu vivais,
De Port-Royal à Denfert,
Tu m’as donné…

Port-Royal ou Shirmeck, au bord de la prairie,
Sapins sombres de Sainte-Odile,
Strasbourg, cathédrale éventrée,
Où la neige lasse et le vent furieux
* disaient, chacun à sa manière, ou
La totale impuissance des dieux…
* (Pour deux visiteurs étranges,
disaient l’impuissance des dieux…)

Puis ce fut Colmar et Denfert,
Denfert trop vite arrivé :
Dernière pirouette, meilleur farce,
En cette veille de premier avril
Où les braves gens croyaient mettre en terre,
Ton nom lumineux, ta révolte,
Et ton rire, énorme barrière
De l’Absurde, le premier, le dernier
Des rires libres que j’entendis…

Frère, te souvient-il de cet enterrement ?
Fête bouffonne offerte à notre humour,
Festin pour nos ricanements.
Que nous avons ri ce jour là,
Toi sous la terre et moi dessus,
De leurs bedaines et de leurs phrases
Enflées d’Honneur-Patrie,
Bouffies de Marseillaises
De l’œil soudain grave et du front soucieux,
Des trois pelletées de rigueur
Dûment arrosées d’eau bénite
Et des courbettes aussi
Que tous ces gens, ces braves gens,
Qui n’aimaient pas beaucoup ton rire,
Te prodiguaient si gravement.
Car rien ne manquait à la fête
pour les enterrer tout de bon
Ce rire, ce Nom,
Seuls rescapés, vrais survivants,
De notre lamentable
vie de cons…

Et j’ai tant fait pour retrouver ton âme,
Et j’ai tant cherché par les nuits sans sommeil,
Pour comprendre, à la fin, que ton âme c’était
Ce que j’emportais ce jour là,
Tel un enfant, vivant et chaud,
A travers la vie désolée.
Et cette âme, je l’ai gardée…

Mais, au morfil des jours, j’accroche les lambeaux
Du rire déchiqueté qu’emportent au hasard
Les mêmes P.C.
Les mêmes dossiers,
Les mêmes mots automatiques,
La même pendule à pointage,
Et, pour ouvrir la même porte,
Au haut des mêmes huit étages,
Le même « 38 » où, ce soir,
Frère au rire énorme, au nom lumineux,
Tu vins, toi le vivant,
T’assoir parmi les morts…

Madeleine, mars/avril 1950.

riviere-petit

DEAD END

Un poème de Mad

De la fenêtre où je chantais,
Je vois ta forme disparaître
Cette chose à quoi je fus toute et qui s’en va…

Tout doucement, rentrer dans l’ombre,
La solitude et le silence
De l’autre monde
Où tout le monde
Est à tout le monde,
Où nous n’avons plus
Rien à faire ensemble…

Où vivotent à travers le temps,
Sans savoir pourquoi ni comment,
D’étranges morceaux de bidoche
Plus ou moins fraîche,
S’étonnant du sang dans leurs veines
Et de n’avoir point
d’ailes autour du cœur…

Aussi fièrement
Que je fais l’amour, tu t’en passes,
Il se tait, d’autres interrogent,
Vous pleurez mais nous
Plus logiques
Sur une musique nègre,
Désespérée comme un regard
De fou,
Crions de toute notre chair
Qu’il n’y a pas,
Qu’il n’y aura jamais
D’ISSUE.

Madeleine.

St. Germain des Prés, mars 1947.