LE PORTABLE

– Où ais-je encore foutu mon portable ? À chaque fois que je me barre je passe une heure à le chercher partout ! Comme si je ne pouvais pas le ranger à chaque fois sur la commode… Mais quel con je suis!
Il tournait en rond dans le salon, cherchant du regard sur les étagères, sur la tablette, puis fit tout le tour de l’appartement, mais rien ! Le boitier était introuvable.
– Si je ne l’avais pas éteint je vais me téléphoner pour l’entendre sonner et je saurais où il est!


Il prit le téléphone fixe et fit son propre numéro. La tonalité fit place à la sonnerie lointaine dans le combiné mais, tendant l’oreille, il n’entendit pas de sonnerie dans l’appartement.
-Et merde!
Il allait raccrocher lorsqu’il entendit la sonnerie s’interrompre et une voix, masculine, répondre:
– J’écoute.
– Excusez- moi, j’ai fait un mauvais numéro.
– Ah, bon, quel numéro demandez vous?
Il le lut à haute voix.
– Et bien c’est le bon numéro. Vous ne vous êtes pas trompé. Qui demandez vous?
– Armand.
– Armand Duportal? C’est moi.
– Mais non, c’est moi !
– Écoutez, je ne vous comprends pas. Vous m’appelez, prétextant un faux numéro, je vous confirme que c’est bien le numéro que vous avez appelé et vous me dites que je ne suis pas qui je dis être, mais vous êtes fou ou quoi!
Et son interlocuteur coupa la communication.
– J’y comprends rien à ses conneries mais avec tout ça je ne sais toujours pas où j’ai foutu mon portable.

Un peu plus tard il entendit dans la chambre la petite musique familière de son mobile. Il se précipita et le trouva, caché sous sa chemise de la veille, roulée en boule sur le lit.
Il appuya sur le combiné et entendit dans le lointain, une voix de femme, très énervée, qui criait:
– Tiens, je l’ai trouvé ton portable ! Il était sur le lit. Armand, tu m’énerves, tu ne ranges jamais rien.
Il tenta un timide
– Bonjour.
Mais la femme continuait à râler
– Et puis le linge sale il faut le mettre dans la corbeille. Tu sais où elle est la corbeille?
– Excusez- moi, vous avez dû faire un mauvais numéro.
Mais la femme en colère ne s’adressait pas à lui et ne l’écoutait pas. Il entendit toute le début d’une scène de ménage puis finit par raccrocher en ne comprenant plus rien à la situation.
– Bon, j’ai mon portable, c’est l’essentiel alors je me casse et c’est bon.

Un peu plus tard dans la journée, Michelle, sa petite amie, lui téléphona au bureau:
– J’ai essayé de te joindre toute la matinée sur ton portable, je ne sais pas ce que tu en fais mais c’était tout le temps occupé. Qu’est ce qui se passe?
– Rien, il doit être déréglé. Il est là, devant moi, et je t’assure qu’il n’a pas sonné depuis 10 h ! Qu’est ce que tu voulais me dire?
– Juste que pour ce soir cela ne va pas être possible. Je sors avec mes copines.
– Demain soir alors?
– Mais non, tu le sais bien. Je pars pour trois semaines chez mes parents.
– Ah, c’est dommage, j’aurais bien aimé te revoir avant ton départ…
– Écoute- moi, je crois qu’il est temps pour moi aussi de réfléchir. Peut-être que c’est mieux aussi que l’on ne se téléphone plus. Il faut que je fasse le point.
Il sentit le froid lui saisir la nuque.
– Tu vas me quitter?
– Je n’ai pas dit ça mais…

Silence. Il n’y eut plus ensuite que des banalités puis elle raccrocha et il sut qu’elle ne le rappellerait plus.
Dans les heures de l’interminable après-midi qui suivit il fit le tour de tous ses copains mais personne n’était libre ce soir-là pour aller en ville.

Il était déjà tard lorsqu’il pénétra ” chez Tom “, un café-tabac du centre-ville où il n’était pratiquement jamais rentré. Un coup d’œil sur son portable lui apprit que personne ne lui avait laissé de messages. Le café était plein à craquer mais il ne connaissait personne. Il prit un Mojito. Le patron, d’un air las, posa le verre sur le comptoir. Puis il revint quelques instant plus tard et lui indiquant le combiné lui dit:
– On vous demande au téléphone.
Il ne comprit pas comment on savait qu’il était là mais il prit quand même le combiné et entendît Michelle
– Allo, ne quittez pas…
puis qui s’adressait à quelqu’un d’autre
– Qu’est ce que je lui dis ?
Et une voix, qu’il reconnut comme celle du type du matin même, qui lui répondait
– Dis lui que quand on ne sait pas ou l’on a rangé son portable on ne le dérange pas sinon il se venge. Et puis dis lui que tu m’aimes!
Il y eut un éclat de rire général et Michelle, pouffant, qui lui disait
– Allo ? Allo ? Vous m’entendez ? On ne se connaît pas mais c’est Armand qui me demande de vous parler. Vous vous connaissez déjà. On est tous ensemble avec tous les copains, et vous ne savez pas la meilleure? Il me dit de vous téléphoner pour vous annoncer que la place est prise et que vous n’avez plus qu’a aller vous cacher sur votre lit sous une vielle chemise en boule, c’est drôle non ?
Il ne savait pas quoi lui dire, alors il raccrocha.

Caillou. 2006

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