Les casinos sont d’étranges cathédrales hors du temps, sans pendules ni fenêtres…

À Toulouse, en amont de la ville, de part et d’autre de la Garonne, deux bâtiments en construction vont bientôt être mis au service du public.
Du côté Empalot, une mosquée. Bonjour aux enfants que l’on dresse à apprendre des inepties par cœur en oscillant du tronc, des heures durant, les yeux fermés. Qu’ils soient musulmans, juifs, chrétiens ou bouddhistes ne changent rien à l’affaire… C’est le mouvement des autistes, les TICS, qui fait se ressembler les apprentis de toutes les religions!
Curieuse coïncidence, de l’autre côté de ce bras du fleuve, sur un terrain dévasté par l’explosion d’AZF, se termine aussi la construction d’un gigantesque casino. Le jeu d’argent est interdit en France sauf dérogations, aussi nombreuses que variées et dont “le groupe Lucien Barrière” (un ami de notre Président qui n’a que des amis) profite allègrement.
On apprend à y faire les mêmes mouvements répétés…

Ce qui te prend d’abord, c’est le bruit. Le clapotis électronique répétitif des carillons, des notes sans instruments, sans résonance, les petits claquements métalliques, des gloub-gloub , des éclats de lamelles de ferrailles, les tac-tic-tac, et comme il y en des dizaines de sortes différentes qui se superposent et s’entrechoquent, chaque machine à sous ayant les siens, cela fait un bourdonnement général, un amalgame , une juxtaposition permanente, sans fin, c’est de la vie mécanique qui fait du bruit.

Et puis sur ce tapis sonore permanent il y a de temps en temps, rarement pour chacun mais finalement assez fréquemment pour tous, le son réel des pièces qui tombent, qui dégoulinent dans les récupérateurs métalliques en dessous. Dans tous ces bruits furieux il n’y a aucun bruit d’homme. Pas de conversation, pas de cris de joies, pas d’échanges entre joueurs, chacun étant devant sa machine, concentré comme peut l’être un ouvrier d’usine sur son poste de travail. Il y a par contre des regards, ceux d’abord braqués sur les rouleaux qui tournent devant sa propre machine, et ceux, que l’on jette sur l’écran du voisin quant sa machine fait entendre le son inhabituel d’une victoire sur la chance.

Il y a aussi les regards ce ceux qui ne jouent plus. C’est par exemple ce couple d’un vieil homme chauve, une seule mèche qui lui barre le haut du front, deux pulls usés, en laine de couleurs fanées et un pantalon gris sans forme, qui, appuyé sur une béquille, avec sa fille à ses côtés, une grosse à queue de cheval, aux petits yeux porcins, en survêtement rose, regarde fasciné, un quinquagénaire aux cheveux longs gagner très souvent sur une machine qu’il ne cesse d’alimenter de billets de cinquante euros.

Il y a aussi toutes ces lumières, aussi vivantes que tous ces sons. Il y a les milliers de petites lampes qui s’allument et qui s’éteignent et qui semblent bouger sur les façades brillantes, au-dessus, au-dessous, à côté des écrans. Il y a les néons qui gigotent au plafond et qui se réfléchissent sur le marbre du sol. Pourtant beaucoup d’espaces sont laissés dans l’ombre. Il y a des places lumineuses et d’autres plus secrètes, des rangées obscurcies et des carrousels tonitruants… Là tout est doré, rouge, pourpre et carmin, presque pas de verts ou de bleus, juste des couleurs qui symbolisent l’argent la richesse et le luxe.

Il y a ces symboles qui défilent à toute vitesse, sur des rouleaux réels ou virtuels, ces lignes se forment et se défont, ces cartes qui se retournent et se referment sur des écrans verts ou dorés, aux gré des mains qui tapent sur des plots pour relancer le mouvement, sans arrêt, sans un moment de détente ou de réflexion, sans arrêt jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de pièces à jeter dans la fente.

Derrière moi j’entends un bruit de rame que l’on agite, un Tacommmmmta, suivi d’un DinDinDin. C’est un bandit manchot dont le rythme est à peu près aussi régulier précis, que celui d’une machine automatique alors c’est un jeune type en veste kaki et le crâne rasé qui l’effectue spasmodiquement.

De l’autre côté de la salle, j’ai déjà vu cette vieille femme, bien habillée, à la permanente bleutée un peu désuète, son sac sur le côté. Elle n’a pas bougé de sa machine depuis que je suis passé, en début de soirée, avant le spectacle. Il est maintenant 1 heure du matin. Elle est toujours là, aussi seule, toujours devant la même machine.

Partout, tout autour de moi, il n’y plus d’humain que ce geste consistant à alimenter la machine à sous en jetons, à en tirer le bras sur le coté, à taper le choix des cartes à conserver, à cliquer sur le nombre de lignes misées… Il n’y a plus que ces gestes d’hommes, sans paroles et semble-t’il sans émotion, dans un univers où tout ce qui est vivant, lumières, bruits, mouvements, est artificiel mécanique et faux.

Caillou 2007

* Titre: phrase tirée de : « Encore plus ! Jeu, Sexe, Travail, Argent »
de Jean Adès et Michel le Joyeux aux éditions Odile Jacob. Oct. 2001. Page 143.

3 réflexions au sujet de « Les casinos sont d’étranges cathédrales hors du temps, sans pendules ni fenêtres… »

  1. Le joli phrasé se melant au sordide des jeux d’argent , de la misère. C’est toujours une réussite.
    La tendresse au service du gant de boxe!
    Marigé

  2. mais dis donc, on dirait que tu fréquentes souvent les casinos pour si bien connaitre l’ambiance . J’espère que tu n’es qu’observateur!

  3. Bravo caillou tendre!
    …aussi j’ai remarqué qu’en général les individus entrent séparément, mais ils ont tendance à s’identifier au groupe (!)…seraient-ils ou formeraient-ils un “mouvement collectif” à la recherche d’un autre monde…mécanique et virtuel?
    bizzzzes
    Ingrid

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