La beauté et sa représentation

Faussant compagnie à la famille qui m’avait accueilli, à Anglet, prétextant le très beau temps et leur désir de discuter entre eux, j’étais allé me promener, sur les falaises, envie de dessiner aussi. Je m’assis sur un caillou plat, tout au bout du cap, devant Biarritz. Le soleil d’après-midi d’avril était encore assez haut sur ma droite et éclairait le monde sans l’aplatir, comme il le fait, plus tard, dans l’année. La brise, venue de l’océan, n’était pas trop forte, il faisait beau et je pris là un bon moment de fraîcheur, en regardant la baie.

J’ouvris alors mon grand carnet d’esquisse et essayais, timidement, de rendre avec mes fusains, le lent mouvement de la mer, ce seul mouvement dans la calme splendeur du paysage, vu de mon promontoire. Je dessinais, ce qui était facile, la conque de sable, la ville et ses immeubles bourgeois, le petit phare, la montagne derrière, la côte lointaine, les baigneurs et, ce qui m’était bien plus compliqué, les grandes vagues qui, immuablement allaient caresser la peau de l’océan pour s’échouer langoureusement sur le sable.

Je m’y repris, beaucoup, gommant, frottant, noircissant puis estompant sur le papier, les grandes traces, le mouvement, la perspective des vagues. Je savais que je ne pourrais pas, en dessinant ses grandes ondulations, les montrer telles qu’elles sont. J’espérais juste en donner une image, illusoire, qui évoquerait aux yeux de mes hôtes, quelque chose qui ressemblerait, de loin, à une réalité qu’ils connaissaient bien mieux que moi. Mais, au bout d’une demi-heure, une heure peut-être, je mis un point final à mon essai. Il me fallait rentrer et je savais que je ne saurais pas faire mieux. Je rangeais donc mon attirail, ma trousse et repartis, mon carnet sous le bras.

C’est alors que je vis, un peu plus haut, un jeune couple qui regardait la mer, sur la balustrade de bois qui lui fait face. Elle y était assise, il l’enlaçait debout derrière elle. La jeune femme était radieuse, face au soleil, les pieds posés sur une barre, ses mains à lui, autour de la taille. L’homme, très beau, le visage encadré dans la longue chevelure des adeptes du surf, avait sa tête posée dans le creux du cou de la jeune fille et il m’observait, intrigué, tandis que je me rapprochais, plus bas, dans la légère pente qui me faisait remonter vers leur point de vue. Il émanait d’eux une beauté lumineuse et fière. Ils ne souriaient pas, ils avaient même une gravité profonde, celles des adolescents incertains.

Moi je franchis la balustrade, pesamment, un peu plus loin, conscient de mon ridicule manque de souplesse. Puis j’entendis le jeune homme qui me demandait :
Excusez- moi? Nous vous observions. Vous dessiniez? Vous pouvez nous montrer?
À son accent, je sus qu’il était du pays. Je me l’imaginais, jeune Basque, au milieu des touristes, encore peu nombreux en ce printemps, mais qui allaient bientôt déferler par milliers sur la côte. Je ne répondis pas et ouvris mon carnet. Ils regardèrent mon dessin et me dirent qu’il était beau.

Je les en remerciais d’un hochement de tête, refermais mon cahier, puis je repris mon chemin, en me disant qu’ils ne se rendaient peut-être pas compte de leur propre beauté. Jamais, jamais un dessin ou une photographie ne serait aussi beau que la réalité de ce jeune couple ou de ces vagues de l’océan. Jamais, jamais, devant leur beauté, je n’avais été aussi conscient de la faiblesse de mes moyens pour essayer vainement de la transcrire…

Caillou, 25 mars 2008

biarritz

6 réflexions au sujet de « La beauté et sa représentation »

  1. Merci pour votre commentaire.

    Je suis tout à fait d’accord avec vous, la beauté est subjective.
    Mais je ne pense pas être d’accord avec une phrase de François Truffaut qui dit: “J’ai toujours préféré le reflet de la vie à la vie elle-même. Si j’ai choisi le livre et le cinéma, dès l’âge de onze ou douze ans, c’est bien parce que j’ai préféré voir la vie à travers le livre ou le cinéma”.

    Qu’en pensez vous?

    Caillou

  2. Merci Caillou d’avoir jeté un coup d’oeil sur mon blog. (http://colombine.over-blog.org/)
    J’espère que la visite vous a plu et que vous reviendrez. N’hésitez pas à mettre des commentaires, ça fait toujours plaisir.
    Pour la phrase de Truffaut, la vie elle-même est celle que nous voyons avec nos propres yeux, de façon brute, sans intermédiaire ou autre support. Le livre, le cinéma, offre la vie, puisqu’elle s’en inspire, mais ce sont des arts, donc, la vie est sublimée, elle subit une opération, par les mots pour en parler, par les images aussi pour la rendre visible.
    Enfin, c’est ainsi que je vois la vie à travers l’Art. Sinon, pourquoi les gens aiment-ils tant lire ou aller au cinéma.
    En parlant de cinéma, j’ai lu récemment la biographie de Nana Mouskouri. Son père était projectionniste en Grèce. Elle, enfant, dans un coin, observait le visage des gens, avant la projection, puis après. Elle a découvert que le cinéma, de par les images qu’elle envoie, avait le don de changer les gens, de leur enlever la part du quotidien, de leur apporter de la joie, des émotions. Elle a remarqué la même chose lors de spectacles, et c’est ainsi qu’elle a voulu devenir chanteuse, être sur la scène pour apporter tout ça aux gens.
    Voilà mon avis sur la question. Et vous, pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec cette phrase ?
    J’ai lu le texte de Claire en réponse à votre texte. je trouvai qu’elle s’éloignait du thème de départ, à savoir la beauté. Il me semble que dans votre texte, le dessinateur était subjugué par la beauté de ce couple, tout comme il était subjugué par les vagues, qu’il avait d’ailleurs bien du mal à mettre sur papier.
    Avec la suite de Claire, j’aurai bien aimé savoir si le dessinateur aurait trouvé beau ce couple, maintenant âgé. Et je me posais la question : la beauté est-elle une affaire de jeunesse ?
    Je trouvais que le texte de Claire ne répondais pas à cette question de beauté évoqué dans votre texte.
    C’était juste un avis personnel. Sans vouloir blesser qui que ce soit.
    Merci pour la discussion.
    SAM</p></p></p>

  3. Bonjour Sam et Caillou, ça va devenir un forum ici!!
    Pour vous répondre à tous les deux:
    -si, je parle de la beauté, mais de la beauté de la vie, et de sa représentation en mots, l’histoire de vie qu’on en fait.
    -je suis assez d’accord avec la phrase de Truffaut, quand la vie n’est pas assez belle à mon goût, me reste la possibilité de l’écrire belle, d’écrire une belle histoire.
    bonne soirée,
    Claire

  4. Bonjour
    Cette phrase de Truffaut peut se comprendre quand on sait l’enfance qu’il a eu. Une mère qui ne l’aimait pas, un père absent…
    Le petit garçon qu’il était n’avait que le droit de lire immobile sur sa chaise. Il s’est donc réfugié dans le monde des livres, puis du cinéma. Mais, malgré toute mon admiration pour ce réalisateur, je ne peux pas être d’accord avec cette affirmation du primat de la vie imaginaire sur la vie réelle.
    D’accord l’art est représentation. Il laisse des pans entiers de possible pour l’imagination du lecteur ou du spectateur mais il n’est pas la vie elle même.
    Dans une situation de la vie, prenons par exemple, une rencontre amoureuse, il y a tout ce qui s’est passé avant, qui n’est pas dit mais que l’on ressent au plus profond. À cet instant T de sa propre vie on est le résultat de tout ce qui nous a construit avant. Il y a l’instant en lui même et on le vit avec tous ses sens, pas seulement la vue mais l’odorat, l’ouie, le gout et même le toucher. Et puis il y aura l’éternelle reconstruction mémorielle de cet instant. Le timbre d’une voie qui nous rappellera, brusquement, un instant fugitif, une odeur…
    Que peut l’art devant cette force inouïe de la vie elle même?

    Alors c’est vrai que dans cette histoire ce n’est seulement de la beauté de ce jeune couple que j’aurais du parler mais de la vie face à cet essai naïf de représentation.
    Vous avez toutes les deux raison de me faire remarquer que c’est aussi de la jeunesse, que je parlais. Et que toute beauté est subjective.

    Caillou

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