Le jeune qui pleure

Dans le tout nouveau Palais de Justice, dont l’entrée monumentale se trouve maintenant sur les allées Jules Guesde, nous sommes beaucoup plus nombreux que d’habitude pour assister à l’Audience du Juge des Libertés. Il va statuer sur la légalité ou non des mesures d’expulsion prises à l’encontre de quelques sans-papiers… Attention, il ne va pas dire la loi sur le fond mais uniquement sur la forme ! Cette affluence s’explique par le retour, après des mois de protestation et de bagarre juridique des avocats toulousains, d’une justice de nouveau rendue dans ses murs, et pas à l’intérieur du centre de rétention des étrangers de Cornebarrieu.
Car il s’agissait d’une question de fond : la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l’exécutif… Relire Montaigne…

Il est vrai que de juger ces étrangers dans une cage à poules entourée de cellules, dans l’anonymat, sans témoins, là-bas, au fin fond des pistes de l’aérodrome de Blagnac, en pleine campagne, c’était plus facile et plus discret pour les exécuteurs…

Ils sont une dizaine, sur le banc, devant le juge et son assesseur. De part et d’autres les Policiers de l’Air et des Frontières tiennent les murs. Nous sommes quelques uns venus là pour soutenir un jeune Géorgien, orphelin, venu mineur, chez un de ses frères, à Hendaye, et qui maintenant, majeur est devenu expulsable.

La litanie des souffrances se fait entendre. Mais derrière l’étiquette globalisante de «sans-papiers» ce sont des hommes et des femmes qui vivent des situations particulières… rien qui puisse se résumer, des parcours de vie singuliers…

Et puis au milieu, un jeune qui pleure. On ne comprend pas s’il est né en 82 ou en 92, ce qui bien sûr change tout… Majeur ? Mineur ? Une expertise osseuse devrait bientôt dire la vérité sur ce point. Mais on sait qu’il est de Tlemcen, en Algérie, et qu’il pleure. On ne comprend rien à ce qu’il bafouille. Le juge aux cheveux blancs l’interroge et l’interrompt quand le jeune essaye de s’expliquer sur le fond. «Je ne peux pas vous entendre, cela ne me regarde pas, je ne peux que juger de la légalité de la procédure!» Puis brusquement il le rappelle à l’ordre, «soyez digne !» Vous n’êtes quand même pas en prison ! »

Que dire de plus si ce n’est inviter ce pauvre juge à visiter le Centre de Rétention Administrative, voir à y séjourner, pour vérifier si ce n’est pas d’une prison d’où l’on sort, pour quelques minutes, ce jeune Algérien sans papier, qui pleure, et que l’on va enfourner dans un avion, dans quelques jours.

Caillou. 22 avril 2008

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