Chapitre 19
Le lundi matin Thierry arrivait en gare Saint-Charles.
Costume croisé, chapeau, moustache, lunettes, le jeune homme était méconnaissable. Il prit un taxi et se fit conduire place Castellane. Une fois sorti de la voiture, il acheta La Marseillaise à un kiosque puis, ayant vérifié discrètement que personne ne l’observait, il téléphona d’une cabine publique à l’entreprise de réparation de bateaux du boulevard Delabre. Il demanda à l’employé s’il lui était possible de parler à Augustin Chavez, que c’était important, et quelques minutes plus tard il avait le vieil espagnol à l’autre bout du fil.
– Désolé de vous déranger. Vous vous souvenez de moi ? Je suis le jeune homme qui recherche son oncle ? J’ai trouvé un document, une lettre, qui va vraiment vous intéresser. Il faut absolument que l’on se voit mais je ne peux pas venir vous voir…
– Et pourquoi ? oui, je me souviens de vous…
– C’est complètement désert dans votre quartier et je suis peut-être filé. Et si je vous invitais à déjeuner ? Dans le vieux port ?
Chavez rigolait…
– Le vieux port ? Ce sont des attrapes couillons là-bas. Il n’y a que les touristes qui s’y font encore rouler. Écoutes petit, va prendre le bus, je crois que c’est le 83 et dans une demi-heure mon fils passe te prendre au Vallon des Auffes.
Quelques instants plus tard Thierry buvait une bière sur la terrasse du bar, un peu au-dessus du petit port. Doucement les vagues venaient lécher les galets de la plage. Puis il vit un jeune type qui lui faisait des signes, debout dans un pointu. C’était un grand en jean et chemise bleue à coutil. Il reconnut le fils de Chavez. Thierry descendit la pente raide, monta à bord et le petit bateau, tournant sur lui-même, se faufila entre les barques puis passant sous le pont de la corniche sortit du port. Devant c’était la mer, toute bleue et un peu écumante et, barrant l’horizon, les îles du Frioul, en silhouette noire sur l’éclat dure de la lumière.
– Alors, vous êtes revenu voir mon père, lui demanda le marin en virant vers bâbord ?
Mais il ne pouvait pas répondre sans crier à cause du bruit du moteur… Alors Thierry, haussant les épaules en signe d’impuissance, ne lui répondit rien, accroché au bord. Il regardait les goélands qui tournaient dans le vent, la courbe de la corniche, et les gros récifs noirs accumulés, les vagues qui se brisaient et les petites criques solitaires.
– Il vous attend…
Et quelques minutes plus tard le pointu accostait devant un grand parc, où une sorte de petit quai pour canoë lui permit de déposer son passager. Le marin, tout en tenant la corde d’amarrage lui dit d’aller jusqu’au kiosque, de l’autre côté de l’espace vert. Il contourna tout un groupe de gamins qui jouaient au foot puis il aperçut le vieil Espagnol qui l’attendait devant la porte.
– Si tu étais suivi, petit, je pense que tu ne l’es plus ! Que veux-tu me montrer ?
Ils commandèrent deux pastis. Le serveur reparti, Thierry posa sur la petite table ronde en fer la lettre trouvée dans la malle de Muret. Une seule feuille, pliée, une seule ligne : Attention, Robert est un flic et deux prénoms: Marcel et Gabrielle.
– Et bien, petit, je m’en doutais un peu. C’est pour cela aussi que je ne voulais pas te mettre en contact avec lui. Mais comment sais-tu qu’il s’appelait Robert ? Ce n’est pas moi qui t’ai donné son nom ?
– Non. C’est par un ancien flic des RG de Lyon que je l’ai connu. Mais je n’en sais pas plus.
– Par un flic des RG ! Et tu t’étonnes d’être suivi ! Mais mon pauvre, si tu demandes quoi que ce soit à ces types, ils te retournent comme un crabe pour savoir ce que tu as dans le ventre ! Bon, moi je vais te dire. Dans le temps Robert tenait une galerie d’art contemporain dans une rue de la presqu’île de Lyon, entre Rhône et Saône. Son vrai nom c’est Robert Chenières. Ce type n’a jamais été de notre classe. Ce n’est pas un ouvrier. Et je me demandais bien ce qu’il foutait au PCF, mais bon, je n’ai jamais eu l’occasion d’en discuter avec lui. S’il est encore vivant tu devrais pouvoir le retrouver avec ces indications. Où as-tu dégotté cette lettre ? Je suis sûr qu’elle est authentique car j’ai bien connu Marcel…
Thierry raconta les circonstances de sa découverte. – Puisque tu as retrouvé cette lettre dans les affaires de ton oncle Henry c’est qu’elle lui a été remise par erreur à son arrivée à Marseille et qu’elle était destinée à Jean, enfin, excuse-moi, à ton oncle Adrien. L’équipe qui gérait les courriers clandestins ne dépendait pas de moi mais des services de sécurité de l’organisation, donc de Marcel…
– Et ce Marcel ?
– … était le responsable de la sécurité du Parti pour les Bouches du Rhône. Il a du vouloir prévenir ton oncle…
– Mais pourquoi ne vous a t’il pas prévenu vous ?
– À l’époque, en pleine guerre froide, nous étions très cloisonnés. Il a du se dire que j’étais un élément douteux puisque, justement, mon chef direct, était ce Robert, de Lyon. Mais il n’a pas du savoir que ton oncle était déjà passé trois mois plus tôt… C’est une confusion !
Et votre parti ? Pourquoi n’a t’il pas été immédiatement prévenu de la trahison de votre chef lyonnais?
– Pourquoi ? Parce que Marcel et sa femme Gabrielle ont été assassinés en août 1953. Et cette lettre, que tu as retrouvée trente ans plus tard, m’explique enfin la cause de leur assassinat.
À suivre…
Caillou, 1984
Bonjour,
Toutes mes félicitations pour votre passionnant roman sur l’Indochine où je suis né. J’attends impatiemment la suite. Il me rappelle les deux albums BD “Les oubliés d’Annam” de Lax et Giroud parus en 1990 et 1991 sur les soldats blancs de Ho Chi Minh.
Ecrivez-vous ce texte en ce moment ou l’avez-vous écrit en 1984 car chaque chapitre se termine par Caillou 1984 ? J’aimerais vous demander quelques conseils pour construire une histoire semblable ?
Bravo encore pour cette formidable histoire si bien racontée et pour votre blog des plus intéressants.
Bien cordialement, Trang