Sur l’île.

Aujourd’hui maman est morte.

Je l’ai tout de suite enterrée dans un grand trou, derrière la cabane. Il me fallait faire vite. Le soleil montait et il est tellement dur. Je pleurais tout le temps, mais je me dépêchais. J’ai posé son petit corps tout sec entouré dans un drap tout au fond de la fosse puis j’ai poussé le sable. Entre la sueur et les larmes, il en devenait marron. J’ai placé sur la tombe une poêle rouillée dont j’ai enfoncé profondément le manche dans le sol. Je voulais bien marquer l’endroit pour qu’un jour, peut-être, quelqu’un retrouve sa sépulture. Il n’y a pas de pierre sur notre île et le bois pourrit très vite. Avec un os pointu, j’ai longuement gravé « ZOÉ » dans la rouille de la poêle. Zoé, c’est son nom à ma maman.

Je suis arrivé tout petit sur cette île, avec ma mère. J’ai des souvenirs flous, qui ne sont peut-être pas les miens mais qui se sont ancrés dans mon esprit car inlassablement répétés par ma maman, d’une tempête, d’un naufrage, d’un radeau poussé par le courant puis d’un échouage sur la plage du nord-ouest. C’était il y a des années. Maman a construit cette cabane auprès d’une petite source, dans le vallon, au-dessus de la plage. Tout autour les cocotiers bruissent dans le vent. Maman m’a appris à lire, à écrire, à pécher, à chasser parfois, avec des arcs, les oiseaux marins qui viennent se poser sur le rivage.

Aujourd’hui, ou demain, ou plus tard, mais bientôt, je partirais de l’île. J’ai construit, avec des troncs de palmiers et des lianes une sorte de radeau sommaire. Et je sais qu’à cette époque de l’année, le courant marin est très régulier. Il file tout droit vers l’Est, vers le soleil levant. Il me faudra pousser l’esquif dans la mangrove, franchir les récifs, et traverser les premières grandes vagues mais plutôt tout risquer que rester seul sur l’île. Tant que nous étions deux, la vie pouvait être difficile mais supportable. Nous pouvions nous parler, chanter, dormir peau contre peau, se rassurer l’un l’autre. Mais rester maintenant sur cette île déserte,  je ne veux même pas l’envisager. Depuis qu’elle est tombée malade, j’ai construit le radeau et fait des provisions, des fruits, quelques bananes, des grenades et des patates douces. La mer est calme et bleue. Si je ne pars pas dans les jours qui viennent , je sais que viendra après le temps des pluies, le temps du vent, quitter l’île deviendra alors, pour plusieurs mois, totalement impossible.

Le soir s’annonce déjà. Ma journée a été dure. J’ai beaucoup travaillé pour enterrer maman et terminer mes préparatifs. Ce soir, pour la dernière fois, j’allume mon feu avec le vieux briquet en amadou. Le coucher de soleil est très beau, très romantique. Je fais comme elle, le soir, je regarde la mer, en silence, tranquille. Elle a toujours cru qu’un jour un bateau remarquerait la fumée de nos feux et se détournerait pour venir nous sauver, mais elle aura passé toutes ces années à attendre pour rien. Nous avons survécu et elle m’a tout appris. Mais maintenant je dois vraiment partir et prendre tous les risques. C’est d’ailleurs maman qui me l’a dit, un peu avant de mourir. Elle était très malade et ne mangeait plus rien. « Robinson, n’attends plus, prends la mer et sauve-toi, toi tu t’en sortiras ». Cette phrase soufflée tout doucement dans mon oreille est mon seul héritage. J’y crois profondément. J’ai toujours cru Zoé.

Caillou, 15 août 2011.
Ce texte est écrit pour mon fils.
Et merci à Christiane G. pour ses 6 mots

3 réflexions au sujet de « Sur l’île. »

  1. apprendre à vivre sans sa maman, étape difficile que tu racontes très poétiquement, ton fils a de la chance d’avoir un tel père. amitiés, Claire

  2. Bonjour Caillou, j’aime beaucoup ton blog trés aérien et trés leger dans sa construction visuelle..;et ce texte est trés réussis…je sens que je vais me sentir bien par chez toi

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