La foire aux clichés

Dans une sombre impasse d’un vieux quartier parisien, au fond du 13ème, entre La butte aux cailles et la porte de Gentilly se terrait la boutique du docteur Créhange. Sous l’enseigne défraîchie l’ANARCHIVISTE au graphisme désuet, la vitrine en était poussiéreuse et j’avais le plus grand mal, ce soir-là, à discerner au travers si un employé ou le docteur lui-même y officiait encore. En tout cas je n’y voyais aucune lumière.
Le réverbère encore allumé à une dizaine de mètres n’éclairait lui-même pas beaucoup. Juste un vague espace sur le trottoir mouillé. Je devais prendre une décision car un type, manifestement saoul, un énorme mastard en duffle coat, traînait vers le coin de l’impasse déserte et s’approchait de moi. Je me résolus à ouvrir la porte qui, curieusement ne me résista pas, et une petite clochette tintinnabula.
Un chien aboya dans une pièce à l’arrière. Je ne le voyais pas mais je savais intuitivement qu’il s’agissait d’un petit chien car son jappement était aigu, comme celui d’un teckel. J’entendis alors un bruit de pantoufles raclant le vieux carrelage et vis apparaître le docteur en blouse grise qui, onctueux, me demanda ce que je désirais. On aurait dit une caricature antisémite du début du siècle, l’autre bien sûr. Voûté, coiffé d’un calot hors d’âge, il se frottait les mains en me dévisageant. Peut-être avait-il froid? Peut-être flairait-il la bonne affaire?
Que puis-je pour vous, jeune homme?Sa voix était chevrotante…
Bonjour monsieur. Je cherche un livre rare et j’ai vu sur votre site Internet que vous en possédiez un exemplaire.
Oui, c’est possible. Quel en est le titre ?
“De la misère en milieu étudiant”, mais dans l’édition de 1966.

Ah, je vois, je vois…
Il prit un gros livre noir sur le comptoir, en tourna quelques pages… Je me demandais bien comment il pouvait y voir dans cette pénombre… Puis, pointant du doigt une ligne s’écria: Maaaaaaryse. Et une superbe blonde aux formes ahurissantes surgit elle aussi d’un recoin.
Pouvez-vous s’il vous plaît aller chercher cet ouvrage qui doit être sur l’étagère du haut de la quatrième travée? Elle se jucha sur un escabeau et nous la regardions, le docteur et moi-même, en gravir les marches, dans sa robe légère, jaune canari, qui froufroutait.
Ce doit être à côté dans les P, entre Ploutocratie et Proutotype… Vous le voyez?
Elle ne répondait pas mais je ne pouvais pas la quitter des yeux. Le blond platine de sa chevelure éclairait cette boutique obscure. Après quelques minutes, sur son escabeau, la très belle Maryse murmura que le bouquin que je cherchais n’y était pas mais qu’il était peut-être en réserve, ce qui demanderait plus de temps.
Le docteur me regarda, un peu déçu:Je peux vous le reserver? Vous savez cher monsieur, vous auriez du nous contacter d’abord. Nous aurions chercher votre ouvrage et vous l’aurions fait parvenir dans les plus brefs délais. Nous travaillons surtout avec Internet. Surtout depuis cette malheureuse épidémie de 2020.
Je lui laissai ma carte et des arrhes et tandis que je repartai, j’entendis le docteur dire à son employée:
Nous allons fermer. Vous pouvez lâcher Biblioteckel.
Dans la ruelle, l’énorme type émêché cherchait ses clefs sous la lumière du réverbère, du moins c’est ce qu’il me dit quand je le lui demandai.
Mais, c’est là que vous les avez perdues?
Non, mais c’est là, qu’il y a de la lumière.

  

 

 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Maryse:
Anarchiviste, escabeau, biblioteckel, proutotype, réverbère et poussiéreux

Caillou le 7 mai 2020

Le texte de Maryse

Un mot peut en cacher un autre

Alfred, anarchiviste de profession, politiquement vêtu : pantalon noir, chemise blanche col Mao et blazer jaune arriva à l’entrée du bâtiment spécialisé en Histoire. Sur le trottoir, il repéra un réverbère et en profita pour laisser Léon, son biblioteckel , lever la patte après avoir longuement reniflé la canisette. Il avait l’habitude de l’emmener avec lui car il s’assurait ainsi que personne ne viendrait interrompre ses recherches. Léon possédait un flair exercé à repérer tous les rats de bibliothèque et il lui suffisait de montrer les crocs pour que les intrus s’éloignent sur le champ. Il entra dans la grande salle. Juste devant le rayonnage qui l’intéressait, un individu était installé sur un escabeau poussiéreux et feuilletait le dernier numéro de Butagazette (journal dont le papier offre une excellente qualité de combustion). Nul besoin de faire appel à Léon pour évincer le dit lecteur, un discret proutotype de son maître et la place fut libérée.
Il passa en revue les titres des ouvrages alignés : capital, oeuvres complètes de Lénine, Boukharine. Trotsky…..et, tout à coup Beurreka ! Il tenait sa bible, celle qui allait l’aider à fomenter sa révolution “traité de cassoulèvement” co écrit par L. Spanghero et O Besanc….”. Il s’assit à une table, Léon couché à ses pieds et commença sa lecture.

N.B Pour ceux qui se poseraient des questions linguistiques à la lecture de certains mots, se référer à “Dictionnaire des mots valises” – Alain Grehange.
Pour ceux qui partagent les mêmes intérêts livresques qu’Alfred, site www.castelnaudary/revol.com

 

Ainsi que celui d’Annick

Irèné

Chaque matin avant de partir à la bibilothèque de St Gall, Irèné confie son teckel à la voisine qui adore la bête et la gave de sucreries aussitôt que l’archiviste tourne le dos. Elle l’a surnommé  Anarchiviste parce qu’elle voue une grande affection à la bibliothécaire qu’elle voit régulièrement manifester.
La spécialité d’Iréné c’est classer les chartes, les manuscrits enluminés enfin tout ce qui se rapporte à l’époque médiévale. Pas une mince affaire. Ils se trouvent dans les travées du haut alors elle passe sa vie les bras tendus juchée sur un escabeau de bois vieilli qui couine dangereusement . Son collègue, un  Albanais de Tirana, a tendance à être très approximatif lorsqu’il parle de ces documents anciens, qu’il appelle des « proutotypes » parce qu’ils sont uniques au monde. Les rayonnages en épis, souvent poussiereux, forment des fleurs qu’elle aime regarder lorsqu’elle est au sommet de l’échelle, toute proche du plafond qui lui donne le vertige.
Le soir lorsqu’elle rentre fatiguée, pour oublier les motifs rococos, les enluminures dorées et tarabiscotées des textes sacrés encore incrustés au fond de ses yeux, elle fait un détour chez l’épicier  du coin et prend quelques rostïs, un  Älplermagronen et bien sûr de la compote de pommes pour accompagner le tout. Quelqu’un vient dîner qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Elle passe rapidement chez la voisine intriguée par tant de victuailles. Mais elle ne dira rien.
Anarchiviste ou Biblioteckel l’attend avec impatience.  elle a mis du temps à lui trouver un nom mais tout naturellement Biblioteckel s’est imposé à elle parce qu’elle lui lit des histoires tous les soirs et que le dimanche, ils regardent ensemble des documentaires animaliers. De ses deux noms, le chien ne s’en formalise pas puisqu’il a compris qu’il pouvait en  tirer profit.
Après dîner, la balade chargée de faire baisser la glycémie, consiste à descendre et à monter dix fois la rue des Illustres jusqu’au réverbère rouillé où des milliers de petits insectes viennent se brûler les ailes. Elle a  lu quelque part que les sept millions de réverbères en Allemagne font plus d’un milliard d’insectes tués. Elle est inquiète. Il faut dire que la période est difficile.  Alors Iréné a accroché à son balcon le slogan du moment Pas de retour à l’anormal. Ce qui lui vaut quelques ennuis dans la copropriété puisque la charte des COPROPRIETAIRES pas coco du tout mentionne pas de politique. Ce soir, le chien fait la tête. Il ne sortira pas.
Bientôt 20 heures. Un petit tour à la salle de bain, lui rappelle qu’elle a dépassé la quarantaine et qu’il faudra  beaucoup d’efforts pour faire oublier toutes les rides qui petit à petit se sont installées au coin des yeux, au coin des lèvres, au coin de tout. Fermer la lumière. Elle chantonne tout en préparant la table.  Elle ne l’a pas vue depuis longtemps et a oublié que tout ça s’était bien mal fini il y a 10 ans déjà…

 

Une réflexion au sujet de « La foire aux clichés »

  1. Emporté par vos évocations, mon esprit s’est baladé de la rue Bourbonnoux à Bourges, la rue Sainte-Catherine à Bayonne, jusqu’à Montolieu et Le Somail, en passant par quelques autres de ces antres magiques et poussiéreuses que j’aime tant. Merci !

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