Rugby

Vendredi 8 mai 2020.
Ce jour férié en l’honneur de la victoire du 8 mai 1945 n’en est pas vraiment un… C’est pour lui un jour comme les autres. À 10 heures du matin, quand il sort de la ville, déjà presque vide, avec ses grandes avenues désertes et ses parcs abandonnés ou la nature a repris tous ses droits, et qu’il traverse la banlieue nord, entre usines à l’arrêt, puanteur de l’incinérateur, barres d’immeubles et terrains vagues, il est empreint d’un terrible sentiment de solitude et d’angoisse. Il n’a pas croisé plus de 6 voitures et vu très peu de passants. Le ciel est bas, terne et gris. Aucun souffle.
Devant les hauts murs du stade où il gare son scooter, dans le silence, il n’entend plus que les oiseaux qui s’appellent et se chamaillent. Il se fait ouvrir la porte électrique par le jeune gardien à casquette sorti un instant de son bureau. La pluie arrive. Par un des passages, il pénètre sur les gradins. C’est un lieu mythique que le stade Ernest Wallon.Ila vu s’affronter les plus grandes équipes de rugbydu monde.
Il y est venu souvent, au milieu de foules incroyables, vociférantes, vibrantes, réagissant comme un seul homme – et oui, c’est un milieu très peu féminin – lors des montées offensives, retenant son soufle, dans un impressionnant silence, quand le butteur s’élancait pour une tranformation et hurlante de joie ou de déception lorsque le ballon ovale passait entre les poteaux. Il était au milieu de ces supporters répétant avec eux les mille et une conneries savantes qu’ils s’échangeaient à l’infini, manière de dire pour ne rien dire d’autre que le profond plaisir d’être ensemble.
Mais ce matin-là, c’est tout autre chose. La rédaction lui a demandé un reportage, pour illustrer le confinement, sur un ancien champion du stade toulousain. Il a choisi de le rencontrer et de le photographier sur les lieux mêmes de ses anciens exploits. Et d’ailleurs, le voilà. Il est accompagné du jeune gardien à casquette qui gardait l’entrée.
C’est un vieil homme fatigué avec une canne et bien sûr un béret. Il doit sourire mais son masque de papier lui cache la moitié du visage. Un très beau regard. Ce vieux monsieur ne paie pas de mine mais son nom est célèbre et mêmes les enfants nés bien après ses combats le connaissent encore. Sans se serrer les mains, ils s’assoient à quelques fauteuils l’un de l’autre. Il enlève doucement les élastiques de son masque. “Voilà, c’est moi.”
Le reporter est un peu ému. On le serait à moins. Il prépare son appareil. Se concentre…
Et c’est à ce moment-là, que le jeune gardien qui allait repartir vers son bureau se ravise et leur demande, timidement, s’ils ne voudraient pas, après l’interview, venir le rejoindre pour partager avec lui un peu d’omelette aux champignonsavec une bonne bouteille. Ce serait pour lui un grand honneur de recevoir Monsieur …

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Jacques:
Rugby, poteau, supporters, conneries, vociférations, omelette aux champignons

Caillou le 8 mai 2020

Et le texte d’Annick

16 ans

Les supporters étaient entrés dans l’arène
et portaient les frères Moulines avec orgueil
la Vierge rouge avait gagné cette année-là
Point de vociférations, point de vacarmes point de conneries
Des rires des larmes de la joie. Le rugby
les unissaient dans un même élan
Omelette, c’est ce qu’il préférait
et tous l’appelaient Omelette aux champignons
parce que les jours d’automne il disparaissait
Il venait d’avoir seize ans
Comme il était le plus jeune
le coup d’envoi était pour lui
Une faveur qu’on lui faisait
et il savait en être reconnaissant

Rien ne laissait supposer les catastrophes à venir
Qu’à seize le roulement de tambour peut être pour toi
Qu’à seize ans tu peux mourir
Qu’à seize ans alors que tu n’es qu’un enfant
Personne ne peut t’entendre pleurer et gémir .

Puis la noirceur du ciel et de la terre s’en est allée
Les battements d’ailes des oiseaux chanteurs
ont sifflé le retour du printemps
Tu regardes le terrain, les poteaux en forme de H
Des camarades ne reviendront pas
mais toi tu es en vie, tu es en vie, le cœur brûlant.

Et le texte de Maryse

Ah le sport !
Ce soir, Marcel part au stade avec les copains voir le match de rugby France/All Blacks.
Je me suis dit “pour une fois je vais l’accompagner devant la télé”. Pas de femmes avec eux! Ils feront leur troisième mi-temps en bons machos. Pour tout vous dire je n’ai aucune envie de partager leurs beuveries, leurs blagues salaces et leurs conneries d’adolescents attardés.
 Avant le spectacle je me prépare une omelette aux champignons, un verre de corbières et je m’installe devant le poste.
Ça commence. 30 bonshommes, deux équipes : les Français et les All Blacks. Les spectateurs se lèvent et j’entends la Marseillaise. C’est au tour des Néozélandais qui se lancent alors dans un aka diabolique. Deux chants guerriers pour une rencontre sportive…
Dans les tribunes, les supporters commencent à s’agiter, déploient des banderoles, sifflent dans des trompettes un vrai bordel !
 Sur la pelouse, c’est l’attente du coup de sifflet de l’arbitre. C’est parti !
J’ai du mal à repérer les équipes. Ah ça y est France en blanc, All Blacks en noir (Hi ! Hi! C’est original).
 Je vois des types qui courent dans tous les sens, se faisant des croche pieds, se bousculant. Et tout à coup ils s’attrapent, se positionnent telle une tortue (ça doit être ça la mêlée) et ils poussent, poussent … Jusqu’à ce que le ballon soit expulsé. Et ça repart, courent, se plaquent, se disputent le ballon….
Tout à coup j’entends “essai”. Mais essaie quoi ? J’y comprends rien. Je vois un All Black à plat ventre sur le ballon derrière une ligne jaune. Je me dis “il a dû trébucher”. L’arbitre siffle ” transformation”. Alors là c’est le summum ! Pour moi, la transformation c’est quand pépé tue le cochon et qu’il le transforme en saucisses. 
Et là, je vois un type, un grand noir, bien bâti, debout le ballon à ses pieds. Je suis bouche bée et laisse tomber une pleurote. Ils ne sont pas tous comme les mastodontes qui faisaient la tortue tout à l’heure !
La caméra: gros plan sur l’homme concentré, le pied sur le ballon puis zoom sur deux poteaux. Faut suivre ! Je ne vois pas bien le rapport entre les deux plans. Et tout à coup, il tire, travelling de la caméra, le ballon vole et pile entre les deux poteaux ! Des vociférations s’échappent des tribunes.
Ainsi de suite jusqu’à la fin, sifflets, tortue, essai, transformations, slogans des aficionados.
 Score : 30 a 15 pour les All Blacks qui se lancent dans un aka déchaîné. Côté Français la défaite est amère, ils regagnent les vestiaires tête baissée.
J’éteins la télé, j’attends son retour.
Pas de troisième mi-temps, il va rentrer dépité et je vais devoir le consoler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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