Disparaître en Indochine – 13

Chapitre 13

Le vendredi soir, quand Thierry sortit du cinéma d’art et d’essai de la place Castellane, où il venait de revoir Le troisième homme de Carol Reed, il ne remarqua pas le petit bonhomme en parka sombre qui le suivit jusqu’à son hôtel. Dans la nuit il rentra directement. Il y avait peu de monde sur les trottoirs du centre ville de Marseille, c’était un soir de match, il faisait un peu froid.
– Vous avez eu un coup de fil pour moi ?
Le jeune veilleur de nuit leva la tête de son bouquin et lui répondit tristement qu’il n’avait pas reçu le moindre appel, ni pour lui ni pour personne. Puis, comme il montait dans l’escalier, le jeune homme, lui demanda :
– Vous avez vu votre ami ?
Thierry se retourna, interloqué.
– De qui me parlez-vous ?
– Et bien du type qui est passé tout à l’heure. Il voulait vous voir et je lui ai dit que vous étiez aller au cinéma Le César, la salle que je vous avais conseillée quand vous êtes parti. Il m’a répondu qu’il allait vous y rejoindre. Vous ne l’avez pas vu ?
– Non. C’était un vieux monsieur ? Un espagnol ?
– Ah non, c’était un bonhomme plus jeune et de Marseille ! L’accent d’ici. Vous n’attendiez personne ? Moi j’ai cru bien faire…
Thierry se dit que ce devait être le fils d’Augustin, qu’il téléphonerait demain… Et il monta se coucher.

Le lendemain il ne se passa rien. Depuis le téléphone de sa chambre il essaya de joindre le fils de Chavez mais cela sonnait dans le vide, interminablement. Après tout, s’il voulait le joindre il reviendrait le chercher.  Puis il écrivit une longue lettre à Nathalie pour lui raconter où il en était de sa recherche. Vers 11 heures Thierry sortait de l’hôtel et, sans se rendre compte qu’un homme, assez petit, en parka vert sombre lui emboîtait le pas, il alla se promener dans Marseille. Il faisait beau et cette grande promenade lui permit de découvrir la ville. Il grimpa jusqu’à la bonne mère, notre dame de la garde, et comme il faisait un temps splendide il passa un long moment à regarder la ville en contrebas, et la mer face à elle.  Il fut  interrompu dans sa contemplation par un vieux bonhomme, un maghrébin qui lui demandait où se trouvait les plaques commémoratives de la 3ème DIA. Thierry ne le savait pas. L’autre regardait Marseille.
– C’est beau, n’est-ce pas ?
Le jeune acquiesça.
– Et bien c’est nous qui avons libéré cette ville ! Avec les résistants français bien sûr, mais c’est nous, les tirailleurs algériens qui avons pris d’assaut le fort, juste derrière. Et croyez-moi cela a été dur !
– C’était quand ?
– En 1944, le 15 août 1944, jeune homme. Toute une armée venue d’Afrique, avec une grande majorité d’Arabes, de noirs, de basanés de toutes sortes. Et on en a eu des morts ! En Italie, à Monte Cassino, ici, en Alsace…  Nous avons laissé du sang partout. Et tout cela pour être aujourd’hui…
Une jeune fille s’approchait. Elle prit doucement le vieil homme par la manche.
– Grand père, nous avons trouvé, c’est juste derrière, viens…
Mais le vieux tirailleur voulait finir sa phrase.
… totalement oublié ! On ne parle que des Américains débarquant en Normandie, ou de l’extermination des juifs. Pendant ce temps la France nous traite de bicots, de ratons ou de crouilles, alors que c’est nous, l’armée d’Afrique qui l’avons libéré des Allemands, vous comprenez monsieur ? Il s’énervait en agitant sa canne.
Thierry ne savait pas quoi dire. Il posa sa main doucement sur l’épaule du vieil homme. Il ne dit rien, mais il le regardait en souriant.
– Tu te rends compte Sabah, il ne sait même pas quand est-ce que Marseille a été libérée !
– Vous avez raison monsieur. Je ne suis pas d’ici et j’avais la tête ailleurs.
La jeune femme emmena son grand-père et s’excusant.
– Oh, c’est moi qui vous prie de m’excuser. Bonne journée, Mademoiselle, et prenez soin de lui.

Dans la soirée il rentra à son hôtel. Un billet l’attendait à la réception. On lui demandait de rappeler un numéro. Il reconnut celui de Blanchard.
– Vous avez un téléphone ? Je ne veux pas monter tout de suite dans ma chambre.
– Bien, c’est au sous sol, au fond du couloir.
– Blanchard ?
– Ah, salut Thierry. J’ai des nouvelles pour toi. Mon copain Raoul m’a rappelé cet après-midi. Il faut que tu montes à Lyon pour le rencontrer !
– Pourquoi ? Il ne peut pas nous donner les coordonnées  de ce type ?
Il y eut un long silence puis l’ancien flic de Hanoï soupira.
– Écoutes petit. Il y a des choses qui ne se disent pas au téléphone. Mon ancien collègue n’a pas confiance en toi, il ne sait pas qui tu es. Alors, si tu le veux, j’ai consulté les horaires de train, je peux descendre à Lyon demain matin, par le TGV et on se retrouve à la Gare de Part-Dieu, demain à 11h.

À suivre…

Caillou, 1984

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