La mort fine

Assis sur un tabouret à l’entrée de la salle, avec une casquette sur la tête, j’attends. J’attends quoi ? Je n’en sais rien. Et comment je suis arrivé là je n’en sais rien non plus. Et depuis quand ? Pas davantage. J’attends.
Sans  montre, je ne sais pas plus si c’est le soir, le matin ou la nuit, dans cette pièce sans fenêtre, mais j’entends régulièrement les heures qui s’égrènent dans une horloge quelque part, lointain écho dans une autre salle. Et c’est lent. Dès fois, je m’assoupis. La tête qui dodeline et s’avachit, menton dans la cravate. Mais je ne somnole pas longtemps. Juste quelques instants. Je me réveille d’un coup les yeux fixes, étonnés d’être encore devant ces murs blancs. J’essuie mes lèvres au cas où j’aurais un peu bavé, louchant sur ma chemise pour voir si des traces suspectes… Je me sens pris en faute. Par qui ? Je n’en sais rien. Je ne veux pas dormir. Pas encore…
Le bruit des talons hauts sur le parquet ciré me tire de cette rêverie. C’est un pas lent et très irrégulier avec de longues pauses. J’entends une femme faire le tour de la salle voisine. Puis elle entre et passe devant moi. Je ne vois que ces jambes des escarpins, des bas noirs et le bord d’un tailleur sombre et j’attends qu’elle soit au milieu de la pièce pour la voir vraiment, de dos, admirant sur le mur les traces plus claires des tableaux enlevés. La salle est vide, en me penchant je vois que la salle précédente l’est également. Il n’y a rien d’accroché sur les murs, pas une œuvre artistique, pas une esquisse, pas un brouillon d’enfant, juste des rectangles petits ou grands régulièrement plus clairs sur le gris des parois.
La visiteuse prend tout son temps, allant de place en place, avec cet air concentré qu’ils ont tous, ceux qui passent par ici. Ce qui me trouble, moi, qui ne veux pas la voir, c’est son pas sur les lattes du parquet. Je peux dire exactement, avec l’oreille, avec l’écho, dans quelle partie de mon secteur elle est maintenant située. Elle est parvenue de place en place à l’autre bout de la galerie. Et puis son pas décroît et, de salle en salle, je l’entends disparaître de mon domaine. Musée du vide, gardien de rien, je peux maintenant reprendre mon attente.
Mais j’entends tout. J’entends même, des fois, le bruissement feutré des trains qui traverse une ville dont je ne me souviens plus.

Caillou, 8 juillet 2011

5 réflexions au sujet de « La mort fine »

  1. on dirait un rêve, c’est lent , presque lancinant, mélancolique et doux; il n’y a que l’horloge qui marque le temps et le train qui marque le mouvement. le message m’échappe pour l’instant, mais c’est pas grave, la musique et l’atmosphère sont belles. à bientôt, Claire

  2. évidemment, avec le titre, j’étais déjà à C Regaud, où j’ai passé du temps à attendre Michel ,voici une dizaine d’années … du coup, la surprise de ce gardien de rien…
    beau texte, vaguement flippant, où la visiteuse prend des airs d’ennemie…

    merci,

  3. le jeu de mot du titre quelle trouvaille !
    la lenteur annonciatrice du pire sans savoir ni quand ni comment est très bien décrite .c’est exactement ça l’attente où tout devient perceptible ,le silence bruillant , le vide qui se remplit de rien et le sommeil qui n’ose pas se manifester franchement , se sentant coupable ,sans savoir de quoi , comme pour combler l’impuissance .

  4. Elle est venue la visiteuse. Et elle est repartie mais pas seule …J’aurai voulu cette fois que tu écrives une fiction.
    Tes mots me laissent les mains vident.
    Mais je veux encore te/vous dire mon amitié.

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