Elle aimait rousiguer. Ce n’est pas du français ? C’est pourtant bien ce qu’elle faisait et elle le faisait bien. Elle aimait s’acharner pour enlever les chairs, les moindres petits bouts de viande entre les os, que ce soient du poulet, des jarrets, de la queue.
Déjà qu’il y a un gouffre entre la réalité du monde et ce dont je me souviens, je n’y rajouterais pas un autre abime entre les mots, (français ou pas français, avec leurs orthographes), et ce qu’ils disent vraiment. Elle rousiguait, c’est tout.
Elle avait tout son temps et elle rousiguait. Nos parties de campagne avec de bonnes bouteilles et des fromages de chèvres étaient interminables. On avait des fous rires à la voir sérieuse, avec un cure dents – on dit un palillo – fureter dans les os à moelle tandis que le repas s’éternisait ainsi.
Elle était libre et ne se vantait pas mais d’être libertaire lui donnait l’envergure pour voler vers autrui. Elle était féministe mais au vrai sens du terme, pas une séparatiste, pas une identitaire, une femme et ses combats.
Et c’est au cinéma, du temps où nous allions très souvent dans les salles (c’est un regret parfois) que je la vois souvent, que je me l’imagine. Au milieu des copains et de toutes les frangines ? Elle riait forte et fière.
Elle rousiguait vous dis-je.
Et ce n’est pas français.
* Midi Libre : De l’occitan rosegar, le terme “rousiguer” signifie “ronger”, et concerne autant les animaux que les hommes. Rousiguer une viande consiste la plupart du temps à manger ce qu’il en reste sur l’os. Exemple : “Dans le poulet, je n’aime pas le blanc, je préfère la carcasse que je rousigue.”
Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Jacques:
libertaire, cinéma, bouteille, campagne, os à moelle, fromage de chèvre.
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Caillou le 28 avril 2020
Et le texte de Maryse
Nostalgie.
D’habitude, le jeudi vers 20h je me prépare à me payer “une toile” au cinéma d’art et d’essai de mon quartier.
Me voilà confinée, vautrée dans une chaise longue au milieu de mon salon. Je feuillette un vieil exemplaire de l’os à moelle.
Pour accompagner ma lecture j’ouvre une bouteille de Corbières. Entre deux gorgées, je ris en tombant sur une des fameuses petites annonces de Pierre Dac “apprenez l’équitation par correspondance. Pour le galop, se référer à la brochure concernant le trot mais en la lisant trois fois plus vite”.
Ça tombe à pic ! Le sport est vivement conseillé pendant cette période de confinement. Et c’est au trot que je m’avance vers la cuisine pour prendre les petits fromages de chèvre affinés par mémé dans sa campagne ariégeoise.
Je ne sais si c’est le vin ou la lecture de ce vieux journal, mais des bouffées de nostalgie m’envahissent et c’est au grand galop que je vais attraper dans ma bibliothèque “affiches contre…de 68 à nos jours” bouquin de l’imprimerie 34 édité par le groupe libertaire de l’Association pour l’art et l’expression libre.
Je me réveille quelques heures plus tard couchée sur l’os à moelle avec Affiches contre dans mes bras.
Bravo et merci à tous les deux !
Et je vous en remets : poésie, marche, muguet, pissenlit, librairie, photographie !
C’est tout à fait ma mère, espagnole vivant en Haute-Ariège! Aucun os ne lui résistait, ni os à moelle ni aile de poulet! Elle rousiguait, elle aussi. Même le chien se détournait de l’os après le passage de ma mère, c’est pour dire l’application qu’elle y mettait, à rousiguer!… Une de ses petites filles, alsacienne donc loin du rousigage local, après l’avoir observée longuement, intriguée et le plus sérieusement du monde a fini par lâcher: “Toi mamie, t’es une gourmande des os!”. Depuis la famille a gardé cette expression savoureuse, à l’image d’une rencontre des mots et des cultures….
Encore bravo!….
L’os de la queue, c’est l’Os de Dionysos, de Christian Laborde ?
(Le 12 mars 1987, L’Os de Dionysos a été interdit pour ” trouble illicite, incitation au désordre et à la moquerie, pornographie et danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale ” par le Tribunal de Grande Instance de Tarbes.)