Archives mensuelles : avril 2020

Le chouchen

Il y a une bonne cinquantaine d’années, j’allais souvent dans un restaurant breton qui se trouvait derrière la gare Montparnasse, dans le 14èmearrondissement, à Paris. Nous étions toute une bande. Certaines faisaient du Vo-Vietnam1, un sport de combat, pour pouvoir se défendre contre les fascistes d’Ordre Nouveau. Je crois que la salle de sport était dans le quartier. 
J’ai perdu de vue la plupart de mes camarades de l’époque. Déménagements, éloignements, ruptures, replis… Certains sont morts, d’autres m’ont déçu et on ne se parle plus depuis longtemps. Peu importe, c’était une bande de potes, garçons et filles, et dans mon souvenir c’est la bande qui me reste, plus que les membres qui la composaient.
Je me souviens qu’on chantait des couplets de La belle Hélène2 à pleine voix dans les rues en sortant des bars, avant de se séparer pour prendre les derniers métros. Nous étions beaux et minces, sobres et militants (pas tous), mais aussi pleins d’envies, pleins de vie, et pas toujours sérieux. Il faut mettre tout cela au féminin, bien sûr. Elles étaient aussi nombreuses que les garçons.
Bref, assez de nostalgie désuète, revenons à ce restaurant populaire où
j’ai bu pour la première et dernière fois du chouchen3
Je n’avais pas de chien
Je n’aimais pas le chou4
C’était chouette chez Laurette5
Chouchou6 c’était le nom d’un personnage de Salut les Copains dont on ne voyait pas les yeux.
Et puis, toute cette période est partie dans la charrette du temps qui passe et ce n’est plus qu’un vieux chiffon sale dans mon cerveau-grenier.
Mais quel rapport, me direz-vous, entre tous ces mots si disparates ? C’est qu’ils se bousculent en courant pour aller se réfugier dans un vieux restaurant de prolétaires bretons du 14ème, quelque part derrière la gare Montparnasse.
Allez savoir pourquoi ? 

1° http://vo-vietnam.org
2° De Jacques Offenbach
3° Une sorte d’hydromel bien sirupeux
4° Fleur, surtout en béchamel !
5° C’est ce que chantait Michel Delpech quelques années plus tôt.
6° Chouchou

Chouchou

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Gaby:
Chou, Chien, Chouette, Chouchou, Charrette, Chiffon

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Caillou, le 22 avril 2020.

Et le texte d’Annick avec les mêmes mots:

Chouchou viens
Pas toi le chien
La charrette passe regarde
Pas si près, on va nous voir 
ils ont embarqué le voisin chouchou
ah ben j’ui avais bien dit chouchette
Si tu dénonces comme ça tes voisins
Ca va mal finir
Regarde regarde…
il a pas de masque
Qu’est ce qu’on mange à midi
des choux raves cuit au torchon chouchou
Chouette chouchette

Dans un western virtuel.

Un vent très chaud sur la sierra fait rouler les buissons de foin.
Whooo whooo whooo
Une poule s’échappe en caquetant, sur la rue endormie du bourg. 
Cattt Cattt Cattt 
Arrive alors le beau Pedro, armé de colts et sombrero.
Il marche au milieu de la rue et ses éperons font Cling Cling
Les volets claquent : Bing Blang, Bling Bling.
C’est le retour du grand lourd. Ils se terrent les habitants.
Et lorsqu’il ouvre les battants du saloon rouge de Claudine 
Chlank, Chlank
Les 2 habitués le regardent. Les chaises raclent sur le plancher.
Reeee, Reeee
La patron moustachu se baisse pour attraper sa winchester 
Les deux vieux filent à l’arrière.
Mais Claudine souveraine descend le grand escalier de fer
Elle est belle comme un ouragan.
Pedro demande un verre de bière
Silence et soulagement ! 
Sous l’effet de la brise sèche, on entend le lustre qui vibre
C’est du cristal. Diling Diling. Le patron pose son calibre.
Le beau Pedro qui a 8 ans embrasse la chanteuse aux rubans.
Dans ce jeu, c’est un vieux pépère qui s’embête et joue à l’écran.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Claudine:
Chaud, brise, cristal, dormir, poule et lourd.
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Caillou, le 21 avril 2020.

Et le texte d’Annick, en réponse, avec les mêmes mots:

DORMIR comme une poule sur une patte 
d’un sommeil lourd et accablant
des nuits agitées peuplées de 
spectres verts et rouges aux reflets de cristal
tailladent chaque rêve en une multitude de tessons 
qui finiront à la poubelle
ramassée dans la douce brise du matin
par des mains gantées de plastique
et des visages voilés plein de solitude et de colère.

Voyage voyage

Le poste radio dans la cuisine chante à pleins poumons.
Mais les transistors n’ont pas de poumons ! Pourquoi suis-je si préoccupé par les poumons ce matin tandis que je beurre, solitaire, ma biscotte.

Voyage voyage 
Plus loin que la nuit et le jour (voyage voyage) 
Dans l´espace inouï de l´amour 

J’ai l’air fin avec ma biscotte beurrée dans l’espace inouï de l’amour à onze heures du matin dans ma robe de chambre pleine de cheveux ! Plus de pain, presque plus de beurre et plus du tout de confiture. Mon confinement, c’est l’hibernation de l’ours des montagnes ! Avec l’odeur…

Voyage voyage 
Plus loin que la nuit et le jour (voyage voyage) 

Ah oui, là c’est sûr ! La nuit et le jour ? Je ne vois même plus la différence entre l’un et l’autre, entre séries télévisées et chaînes d’infos en continu… Elle continue :

Voyage voyage 
Ne t’arrête pas 
Au d´ssus des barbelés 
Des cœurs bombardés 
Regarde l´océan 

Desireless, chantait ça dans les années 80.  Sans désir elle était ! Elle en avait de la chance ! Moi j’en ai des désirs ! Je veux des fleurs, du parfum, un jardin et du vin…

J’ai juste un tire-bouchon inutile qui traîne sur la toile cirée entre biscottes et beurrier.

Lire ? J’ai un bouquin que ma sœur m’a offert à Noël, où l’ai-je mis ?
Ah le voilà, c’est Le parfum de l’Hellébore de Cathy Bonidan.
J’irai faire des courses plus tard…
Là, je me recouche !

https://www.babelio.com/livres/Bonidan-Le-parfum-de-lhellebore/900530
(Je précise que je ne l’ai pas lu
et que ce sont les mots imposés qui me l’ont… imposé)
Ce texte est écrit avec une contrainte de 4 mots, donnés par Bernadette:
Parfum, hellébore, tire-bouchon, et voyage. . 
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Caillou, le 20 avril 2020

Et un autre texte envoyé par Annick

Hellébore quand il pleut
a les cheveux en tire-bouchon
Il voyage dans sa tête pleine de trous
où ventent les parfums funestes 
de la désespérance et les bruits du silence
qui s’insinuent fatalement 
cherchant ses pensées salies par les odeurs fétides
du bitume.

Dans le jardin… la suite!

Un autre texte, avec les mêmes mots, envoyé par Françoise: 
On n’était pas bien loin ... Avec mes 6 mots, j’ai écrit ça ...


Aïe ! Une douleur dans les reins au bout d’un bon moment de travail dans le jardin.

Elle se redresse doucement, plante la bêche dans la terre, pose ses deux mains en coque sur le haut du manche, et son menton par dessus.
Un instant reposer le dos, un instant laisser le regard voguer au devant de soi.

Regarder avec bonheur et gratitude les oiseaux, ceux qui s’abreuvent dans le lac tout proche . Ils se laissent porter par le vent, puis se jettent vers la surface de l’eau où ils viennent prendre un peu de quoi continuer le chemin, et d’un coup d’aile, repartent vers le ciel, légers et déterminés.

Ça ressemble à un poème, parfois à un mirage: c’est si rapide, si simple, si merveilleux...c’est déjà fini ?

Les yeux reposés reviennent vers le jardin. La main reprend la bêche, les jambes se replacent et le travail reprend . Il a tout son sens . Dans la fermeture de la terre, il y a toute l’ouverture de la vie .

Francoise

Et un autre texte envoyé par Annick

Depuis quelques jours les oiseaux s’en donnent à coeur joie 
Au milieu des aiguilles de pin qui jonchent mon balcon
Le vent, violent, s’est levé et tourne en bourrasque 
et bourrisque les têtes échevelées et décérébrées
Au loin, un mirage. Covid ne vois-tu rien venir ?
Tandis que la bêche de bois attendrit le sol asséché
La douleur et la perte avancent à grand pas vers le ciel
Avant qu’une voix de stentor annonce la fermeture de Carrefour City plus tôt que prévu.

Dans le jardin

Le vent secoue les arbres, disperse un peu partout les fleurs des cerisiers. Le jardin est si blanc. Elle pourrait croirait qu’il neige. 
Demain il va pleuvoir, le vent va se calmer.
Alors elle prend sa bêche.
Pour préparer des lignes où elle ira planter ses semis de tomates.
Les merles vont se cacher.
Sous la haie. Ils attendent. 
La bonne terre tendre est un garde manger.
Les oiseaux sont comme ça, ils mangent au bon moment ce qu’il y a à prendre et n’ont même pas idée d’en mettre de côté.
 (Depuis la Préhistoire les hommes prévoient, engrangent,  les récoltes s’entassent, pour enrichir les uns, pour nourrir des armées !)

 La ligne d’horizon au dessus de l’Ariège est fermée par la crête du premier grand coteau, dominée par un arbre très beau, comme un gardien, à l’entrée de Goyrans, en dessous des nuages.
Ce n’est pas un mirage. C’est une vraie position. 
Un guetteur magnifique dominant la région.
Si un jour ils le scient et l’abattent pour construire,
la superbe villa d’un riche toulousain, (un docteur, un notaire, ou bien un PDG)
elle vivra cette douleur si dure à oublier.
Le temps des assassins se nomme immobilier.
En attendant, elle est, toute seule, dans son jardin.
C’est un matin d’avril et c’est autorisé. 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par Françoise:
Oiseau, vent, bêche, mirage, douleur et fermeture.
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Caillou, le 19 avril 2020

Hubris* en 35 m2

Le canapé est un château, si j’en tombe c’est les crocodiles, qui me mangeront en ratatouille.
Déjà des heures que ma Juliette, qui a 6 ans, chante en criant cette scie qui m’arrache la tête.
Sœur Anne ne vois tu rien venir ?  Je lui réponds de plus en plus faiblement : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe… 

Depuis déjà plusieurs semaines nous avons les enfants dans le studio.  
Mais c’est quoi cette magouille ? Je lève les yeux de mon clavier. Elle me réclame de nouveau des chatouilles ? 
Son frère Arnaud attaque les murs, avec des feutres. Il gribouille. J’ai beau crier qu’il ne faut pas le faire, même avec des feutres lavables, il me faudra bien retapisser plus tard. Je ferais venir un artisan, à moins que je les pose moi-même tous ces rouleaux de papiers peints. Il faudra que je patouille dans la colle. Rendre le studio en état. 

Leur mère s’isole sous la douche, le seul endroit où l’on est seul, avec les toilettes bien sûr. Je repense au journal d’Anne Franck*où l’adolescente se moque de ce monsieur qui y passe des heures. 
Et moi j’essaie bien de bosser sur mon ordinateur rebelle mais le wifi se met en veille. 
Je n’en peux plus ! Des heures pour télécharger 2 feuilles A4 ! Le télétravail, facile à décider dans l’Olympe des dieux et leurs bureaux ministériels et bien plus difficile à mettre en place dans mon studio de 35 m2
Alors vivement qu’on sorte, tous les quatre, hurler dans la rue. 

* Hubris : Orgueil et démesure
* https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Journal_d’Anne_Frank#Personnages

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par Yves:
Chatouille, gribouille, patouille, ratatouille, magouille et rebelle
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Caillou le 18 avril 2020

Et un autre texte envoyé par Annick

Pour la énième fois Gribouille grésille sur le disque usé
tandis que d’une main nonchalante, Elle gratouille le cou du chat
qui n’apprécie plus du tout les chatouilles depuis qu’Elle lui a interdit de sortir
De patouilles en ratatouilles, elle se dit qu’elle pourrait bien 
s’énerver, se révolter, s’anarchiser, mais ce n’est pas une rebelle 
et reprend d’une main nonchalante les gratouilles et les papouilles.

Derrière la fenêtre

Elle a le front posé sur le frais de la vitre. Elle observe la rue qui descend vers le fleuve. Il fait encore bien froid dehors et le soleil qui peine à percer les nuages n’a pas encore chauffé la ville qui s’éveille. Mais voilà les enfants qui partent pour l’école. Après ces longues semaines d’enfermement enfin pouvoir se retrouver. Elle entend les rires et les portes qui claquent. Elle suit de son regard les mamans qui les mènent, qui se saluent, heureuses, de pouvoir se revoir, échanger sur le temps, se donner des nouvelles… 
Une radio, derrière elle, lui parle de Christophe, celui qui vient de disparaître, ce chanteur marqué par les années d’excès. Il l’avait fait rêver, il l’avait fait danser, bien des années plus tôt quand elle dansait encore. Et on entend son chant qui prend bien tout l’espace, dans la chambre peut-être, surtout dans ses souvenirs.
Les enfants à l’école, la rue se met au calme. Les fenêtres ouvertes se parent de tous les draps. On aère. On secoue. Le printemps est partout. Les murs vêtus de brique se colorent en rouge sous la caresse chaude de ce très beau matin. Elle y voit un chemin. 
Comme un message, juste un moment de grâce. Sentir l’instant présent, en jouir pour ce qu’il est, sans chercher à le retenir. Tourner le dos, définitivement aux regrets qui la hantent. Ne plus se souvenir et ce matin, choisir enfin la vie. 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par Josette:
Soleil, chant, rouge, chemin, regrets, vie.
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Caillou, le 17 avril 2020

Première sortie

Le chemin sentait la noisette. Nous étions en octobre 2020 et pour la première fois l’homme sortait se promener, seul, dans ce bois, le long du fleuve. Âgé, grand, mince, il marchait un peu vouté, d’un pas lent, comme exténué par ces quelques huit mois d’immobilisation forcée. Sa marche était celle d’un grand convalescent faisant ses premiers pas dans les couloirs des hôpitaux. Les cheveux, très longs, cachaient son front et on ne pouvait voir que ses yeux puisqu’un masque en tissu lui mangeait littéralement le visage. 

Dans sa maison, pour fêter cette libération, ils avaient bu un peu de champagne en grignotant quelques toasts aux crevettes. La veille au soir, le président avait annoncé la levée partielle du confinement sanitaire au journal télévisé. Et ils avaient préparé cet apéritif pour en fêter le premier jour. Allait-on retrouver le sentiment de faire partie de la société ? D’être utile ? D’être fort ? Il ne le croyait pas. Presque certain que cette assignation à résidence avait cassé en lui bien plus que sa vitalité musculaire, il avait voulu sortir seul, pour la première fois. 

L’homme qui marchait dans le sous bois retrouvait cette sensation ancienne : la liberté, celle d’aller où il voulait. Mais il avait compris que cette liberté ne serait plus jamais, pour lui, associée à l’innocence et à l’inconscience de sa propre faiblesse. Il n’y aurait plus jamais de nudité face au soleil. 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par ma compagne: noisette, masque, champagne, crevette, nudité, soleil.
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Caillou, le 16 avril 2020