Trois garanties « droits et dignité » pour ne laisser personne sous le seuil de pauvreté !

Magali, Joy, Sofia , Ludo…
Prostitué·es, sans-abri, migrant·es… Dans la rue, les situations d’extrême précarité sont encore accrues par la crise sanitaire.
Il faut d’urgence lutter contre les violences sexuelles et sexistes et obtenir de l’État trois garanties « droits et dignité ».
Le réseau Zéromacho cosigne cette lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron, Président de la République, Edouard Philippe, Premier Ministre, et Marlène Schiappa, Secrétaire d’État à l’Égalité Femmes-Hommes.
Ce texte, initiative du Mouvement du Nid, est cosigné par les associations membres, comme Zéromacho, du collectif Abolition 2012.

 

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Madame la Secrétaire d’État,

Magali a 25 ans. Arrachée de République Démocratique du Congo par un réseau mafieux, elle fut prostituée en France pendant plusieurs années. Accompagnée par le Mouvement du Nid elle devient en 2017 la première personne à bénéficier d’un parcours de sortie de prostitution alors qu’elle risquait d’être expulsée de France. Deux ans plus tard, elle fait partie de celles et ceux que l’on applaudit tous les soirs à 20h. Magali travaille en EPHAD, elle est en CDI. Elle nous raconte sa fatigue, mais aussi sa fierté de participer à l’accompagnement des plus fragiles, et son espoir pour demain.

En revanche :

A Marseille, Joy, une femme nigériane de 22 ans, en « parcours de sortie de prostitution » ne peut plus payer son loyer. Son contrat de travail qui complétait son Allocation financière d’insertion sociale a été interrompu du fait du confinement. Son propriétaire ne tient pas compte de la trêve hivernale et la menace d’expulsion. Elle nous appelle à l’aide.

Sofia, 26 ans à Mulhouse n’a aucun accès au droit commun. Pourtant, la ville a relogé toutes les personnes sans-domicile fixe et leur attribue 7€ par jour pour manger. Déboutée de sa demande d’asile, elle n’y a pas accès. Seule la solidarité associative locale lui permet de survivre. Mais pour combien de temps ?

Ludo, un homme bulgare de 47 ans, en contact avec notre association à Strasbourg depuis 3 ans, était à la rue depuis 6 jours, sans ressources depuis le confinement. Il a finalement obtenu une place dans un hôtel Formule 1.  Il nous demande de l’aide pour une demande de RSA. Il ne veut pas retourner dans la prostitution après le confinement.

L’ensemble de nos associations de lutte contre toutes les violences sexuelles et sexistes, présentes sur le terrain, et dans l’ensemble des départements français, auprès de centaines de milliers de femmes, dont plusieurs milliers de personnes prostituées sont en première ligne pour constater leur situation d’extrême précarité encore accrue par la crise. Nos équipes sont pleinement mobilisées pour répondre aux situations d’urgence. La solidarité inter-associative est à l’œuvre pour trouver les meilleures solutions possibles. Les personnes prostituées le savent, qui se tournent vers nous en plus grand nombre. Mais la crise est trop forte, et les situations de détresse vitale trop nombreuses.

TROIS GARANTIES « DROITS ET DIGNITE » pour TOU.TE.S : logement, ressources, séjour régulier.

Nos associations font au Gouvernement la demande solennelle d’organiser l’accès immédiat à trois garanties « droits et dignité » pour ne laisser personne sous le seuil de pauvreté. Quelle que soit leur nationalité et leur statut administratif, toutes les personnes prostituées présentes sur le territoire français, et leurs enfants à charge, doivent pouvoir avoir accès à : un logement, des ressources, un séjour régulier.

Pour toutes les personnes ayant des droits ouverts (situation régulière sur le territoire + logées à leur compte + bénéficiaires d’un revenu quel qu’il soit) :

Ø  une garantie de revenu minimal de 1026 euros (RSA, AFIS, ADA, ARE, ASS, AAH réévalués au niveau du seuil de pauvreté)

Pour toutes les personnes empêchées dans l’ouverture de droits (personnes étrangères sans titre de séjour et/ou personnes sans ressources, et/ou personnes sans-abri) :

Ø  un hébergement gratuit et adapté  +
Ø  une aide financière d’urgence “COVID-19” de 564,75 euros minimum  +
Ø  un titre de séjour de 6 mois renouvelable, avec accès au marché du travail.

DES SOLUTIONS IMMÉDIATES et pragmatiques pour toutes, pas d’idéologie non opérationnelle !

Certains groupes vous ont demandé récemment d’accorder un « revenu de « remplacement » pour les « travailleurs du sexe »[1]». Ce faisant, ces personnes feignent d’ignorer, ou omettent délibérément, qu’en France, la grande majorité des personnes prostituées sont des femmes migrantes victimes de la traite des êtres humains et que la prostitution est reconnue par le Législateur et le Gouvernement comme une forme de violence sexuelle, un obstacle à l’égalité femmes-hommes, une violation du principe constitutionnel de non-marchandisation du corps humain, et non comme un « travail ».  Mais surtout, ils demandent la mise en place d’un mécanisme que l’écrasante majorité des personnes prostituées ne pourraient pas activer :

  • Le Ministère de l’Intérieur indique[2], qu’en moyenne, 85% des revenus des personnes prostituées étrangèresest spolié par les proxénètes et réseaux de traite qui les exploitent. Ainsi, non seulement ces personnes n’ont pas de base de revenus légaux à présenter pour établir un « revenu de remplacement », mais elles n’avaient surtout pas de revenus propres avant même la crise sanitaire.
  • Quant aux personnes prostituées françaises. Un nombre important d’entre elles sont enregistrées au RSA etne prendront pas le risque d’établir des revenus non déclarés d’avant crise pour bénéficier de « revenus de remplacement ». Une minorité d’entre elles sont enregistrées en tant qu’indépendantes, et doivent donc bénéficier urgemment des dispositifs mis en place par le Gouvernement pour les artisans et indépendants.

C’est pourquoi nous proposons au contraire une solution universelle, alliant revalorisation du droit commun et dispositifs d’urgence. Elle garantirait ainsi à l’ensemble des personnes les plus vulnérables, et parmi elles aux personnes prostituées, étrangères comme françaises, un égal accès aux trois garanties « droits et dignité » présentées ci-dessus.

UN PILOTAGE plus fort et plus rapide du Gouvernement et des préfectures pour l’accès aux droits !

Durant cette crise, le Gouvernement a indiqué qu’il est aux côtés des femmes victimes de violences intrafamiliales. En France la prostitution est reconnue comme une violence faite aux femmes. Nous insistons ainsi pour qu’une attention aussi forte soit rapidement portée aux personnes prostituées. Nous demandons à ce que la communication gouvernementale sur les numéros d’écoute et d’urgence intègre la violence prostitutionnelle : les personnes prostituées doivent savoir que l’Etat est à leur côté et qu’elles peuvent appeler le 3919, numéro d’appel généraliste sur toutes les violences faites aux femmes, ou contacter les associations spécialisées.

La protection en urgence des personnes prostituées en détresse doit être inscrite sur la liste des priorités de chaque Préfet·e, à travers le pilotage renforcé du réseau des droits des femmes.

Nous demandons que toutes les commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains soient réunies en urgence (de façon dématérialisée) afin de :

  • Accélérer et mutualiser un état des lieux des situations,
  • Elaborer un protocole départemental de mise à l’abri des victimes pendant le confinement,
  • Recenser l’ensemble des ressources disponibles dans le département en termes d’aide matérielle (nourriture, produits hygiène, produits de première nécessité pour les enfants…),
  • Examiner des parcours de sortie de la prostitution d’urgence pour permettre un accès pendant le confinement à un hébergement, une APS et à l’AFIS, et prévoir un passage accéléré de ces dossiers à l’issue du confinement garantissant une insertion durable des personnes.
  • Elaborer un plan de communication en direction des personnes en situation de prostitution pour les mettre en lien avec les associations agréées ou les associations de lutte contre les violences faites aux femmes, dont la plupart tiennent déjà des permanences et lignes téléphoniques d’urgence.

ANTICIPER, PERENNISER, PENSER L’AVENIR ! 

Si la France compte 5 à 10 fois moins de victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains qu’en Allemagne et qu’en Espagne, où les femmes prostituées se retrouvent littéralement jetées à la rue par les bordels, c’est d’abord grâce à sa politique ferme de lutte contre le proxénétisme et la marchandisation du corps humain, complétée depuis 2016 par l’interdiction de tout achat d’actes sexuels. Cette politique doit être renforcée sur l’ensemble du territoire par des instructions claires et des moyens de politique pénale accrus.

De plus, face au risque imminent d’une augmentation du risque prostitutionnel après le confinement, en raison de l’accroissement des précarités et de réseaux de prostitution qui prospèreront et se nourriront de la détresse, l’Etat doit impérativement être au rendez-vous du volet social de la législation française. Nous appelons d’ores et déjà le Gouvernement et les collectivités territoriales à une accélération et un changement d’échelle dans la mise en œuvre de ces dispositions protectrices réévaluées.

En pérennisant nos trois garanties « droits et dignité » afin de ne laisser personne en-dessous du seuil de pauvreté, le Gouvernement assumerait pleinement sa responsabilité de prévenir le risque d’entrées dans la prostitution et d’offrir au plus grand nombre un véritable tremplin vers la sortie de prostitution. Ce faisant, il accroîtrait de façon radicale l’efficacité des politiques publiques !

Nous vous remercions de prendre en considération urgemment nos propositions et restons à votre entière disposition pour échanger sur les modalités de leur déploiement sur l’ensemble du territoire français.

UNE RÉPONSE RAPIDE !

Le mouvement du Nid a reçu rapidement une réponse de Marlène Schiappa

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[1] https://www.bfmtv.com/economie/confinement-les-travailleuses-du-sexe-demandent-a-beneficier-d-un-revenu-de-remplacement-1889873.html

[2] L’argent de la criminalité organisée en France – Evaluation de 7 marchés criminels.

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