Tout est arrivé par la poste !

Le facteur ne monte plus souvent la côte raide qui grimpe jusque chez moi pour me faire signer un récépissé. La plupart du temps ce sont des factures et la boîte aux lettres, tout au bout du chemin, est largement suffisante. Mais ce matin-là, sous un grand soleil d’hiver j’ai entendu le son de la vieille moto-bécane jaune qui s’époumonait dans le raidillon. J’étais justement en train d’essuyer ma vaisselle du petit déjeuner. Alors j’ai ouvert la porte d’entrée au moment même où la tête du préposé de la poste commençait à apparaître sur le gravier.
Il a ouvert la sacoche et m’a tendu un colis de la taille d’une boîte à chaussures puis un stylet relié à une sorte de machine où je dus poser une griffure électronique.
J’ai posé le colis sur la table devant la fenêtre de la cuisine et je me suis préparé un petit café.
Ma table de bois ciré était éclairée des taches mouvantes du soleil qui jouait dans le vieux voilage bleu. L’odeur du café frais embaumait ma cuisine. Tout indiquait une belle journée de février. Tout à l’heure j’irai faire ma promenade quotidienne de vieux bonhomme solitaire.


J’ouvris donc le carton en découpant le papier d’emballage avec le couteau de cuisine que je venais d’essuyer. Une lettre scotchée sur le couvercle, une lettre officielle, tapée à la machine, d’un notaire, m’annonçait que ce paquet me revenait en exécution d’une décision testamentaire ; une personne récemment décédée dont le nom ne me disait rien.
Le carton contenait des photos, toutes sortes de formats de photos, de la toute petite à bords crénelés comme on en trouve dans les albums de photos de famille, à l’épreuve de professionnel, en passant par des Polaroid. Et ce visage me rappelait de très lointains souvenirs.
Au fond de la boîte, une lettre dont je reconnus tout de suite l’écriture. Une écriture nette, précise, aux caractères bien espacés, fluide, et pourtant très personnelle. Reconnaissable entre mille à moi qui avait tant lu et relu ses lettres pendant toutes mes années de prison.
Oui je savais bien maintenant qui me l’avait envoyé ce paquet.

Je ne mets pas souvent en colère mais là d’un coup je me suis révolté contre l’injustice. Ainsi elle était morte, et avant moi! J’ai envoyé valdinguer la boîte, toutes les photos et la tasse de café. Je suis sorti et face à la montagne, j’ai été hurler. Hurler comme les loups puisque après tout j’en suis un.
Quand je suis rentré, un peu calmé, j’ai rangé les photos. Je reconnaissais maintenant ce visage d’ange. La jeune femme souriait sur certaines images, oh pas à moi bien sûr mais au photographe. Je la voyais enfant, puis jeune écolière dans une photo de classe, puis étudiante, des portraits de près, en buste, assise, à la plage…
Et enfin j’ai lu cette lettre qui m’était destinée.

Je t’ai aimé André. Mais tu ne le savais pas!
Je t’ai reconnu lorsque tu as été arrêté, jugé, emprisonné. Tu faisais les grands titres dans les journaux télévisés. Mais je ne pouvais pas le dire aux autres que tu étais mon seul premier et grand amour. Toi qui m’avais quittée il y a si longtemps. Après ton départ, je me suis marié et j’ai eu deux enfants adorables. Et puis mes filles sont parties et mon mari est mort et je me suis retrouvée seule dans cette grande maison.

Alors quand j’ai commencé à t’écrire, sous mon nom d’épouse, je te jure que je voulais te dire qui j’étais, mais comme tu ne m’avais pas reconnue, comme tu m’avais oubliée, je n’ai pas osé te dire qui j’étais. Tu comprends maintenant pourquoi je ne t’envoyais jamais de photos. Je n’avais pas le courage de t’écrire que je ne t’avais jamais oublié, toi qui ne te souvenais pas de moi. Quand j’ai commencé à t’écrire en prison ce n’était peut-être qu’un moyen de rompre ma solitude, une sorte de loisir. J’écrivais au rejeté, moi qui l’étais aussi. Mais je n’attendais rien en retour.
Et puis j’ai bien senti que, sans me reconnaître, tu devenais de plus en plus attaché à notre correspondance. Nous nous aimions de nouveau, enfin, toi, je ne sais pas, mais moi j’en suis certaine. Je t’ai aimé pendant toutes ces années où je recevais de toi presque quotidiennement ces lettres de plus en plus intimes et fortes et belles. J’en connaissais certaines par cœur. Je les brûlais au fur et à mesure. Ces lettres, tellement fortes, que tu m’as écrites brûlaient mon cœur.
Dans mon travail, à la banque, chez mes parents, dans toute la ville où je vis, on parlait de toi comme d’un monstre. Notre liaison ne pouvait être que secrète. Oui, André je t’ai aimé comme personne ne t’a jamais aimé, d’un amour tellement pur. Tu t’es livré à moi et tu as posé tous tes bagages de haine. Tes lettres au départ remplies de révolte et de cris sont devenues au fur et à mesure plus simples et plus humaines.
J’ai su que tu avais été libéré en juillet dernier et j’avais tellement peur que tu viennes me voir, que tu me reconnaisses enfin. Mais maintenant que je sais que je vais disparaître je voulais, une dernière fois, me montrer à toi sous mon vrai jour. Toutes ces images de moi, je sais que mes filles les jetteront au feu après ma mort. Alors je veux me montrer à tes yeux sous mon vrai nom et telle que j’étais avant de disparaître. Te dire à quel point notre amour fut puissant.
Merci André.
Adieu

La honte m’envahit. J’aurais pu, j’aurais dû, mais je n’avais pas osé aller voir ma correspondante. J’avais préféré attendre de retrouver une place normale et raisonnable dans cette société qui m’avait exclu avec tant de plaisir. Je ne me sentais pas le cœur d’aller la visiter dans cet état de révolte qui me tenait encore. J’avais, je le croyais, le temps. En regardant cette dame dans son fauteuil près d’une fenêtre, je savais que c’était la seule qui m’avait écouté et compris. Et bien, pour moi, c’était trop tard.
Il n’y aurait plus désormais de place que pour une immense tristesse.

Caillou, le 27 février 2015
Aves les 6 mots de Jean-Mi : Soleil, tristesse, amour, colère, promenade, loisir.

 

Une réflexion au sujet de « Tout est arrivé par la poste ! »

  1. A trop laisser le temps courir
    On finira par écrouir ;
    Ce vert-de-gris, qui nous recouvre,
    Cache l’arbre – un vieux coeur de rouvre…

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