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Réclamation

Cher Monsieur, du moins je suppose que vous êtes un monsieur. Beaucoup d’indices me le font penser.

Je lis votre courrier avec beaucoup d’attention, et ce depuis très longtemps. En effet, jeune retraité, j’ai du temps libre, et l’isolement géographique dans lequel je me trouve, habitant dans un mas, en pleine montagne, dans le massif des Albères, et loin de toute l’agitation des villes, me permet de me plonger avec curiosité, plaisir et parfois dégoût, dans cette nouvelle littérature que je trouve sur Internet.

Mais j’ai, cher Monsieur, une réclamation à vous faire. Je vous avoue que je ne vous lis pas jusqu’au bout sur l’écran, car ce fond bleu et cette typographie blanche me fatigue la vue. Aussi, très souvent après un léger survol, j’imprime sur du papier et en noir sur blanc, les textes que je trouve les plus intéressants. Je les range ensuite dans un classeur et je les lis, dans mon fauteuil, pendant ces longues après-midi de solitude où seul le vent qui souffle dans la montagne, les craquements de la charpente et le feu qui crépite dans le poêle me tiennent compagnie. Quand mon épouse revient de son travail je lui fais partager mes découvertes.

Or, quelle ne fut pas ma stupéfaction, avant-hier soir, lorsque je voulus relire un des premiers textes que j’avais lu de vous, de découvrir, en ouvrant mon classeur à la période du mois de septembre, un torchon caviardé, aux lignes parfois barrées, aux mots rajoutés dans les espaces entre les lignes, bourré de fautes d’orthographe, de syntaxe, de grammaire ! Il y a même des taches brunes… J’étais pourtant sûr de l’avoir imprimé sur une feuille parfaitement blanche puis rangé dans mon classeur ! Je n’avais pas relu ce texte depuis l’automne, mais je me souvenais parfaitement que votre prose était justifiée, avec des marges régulières et qu’il n’y avait ni ratures, ni rajouts, ni fautes !

Dans un premier temps, j’ai pensé que ces défauts provenaient de mon imprimante, pourtant de marque japonaise, que j’avais achetée assez chère, au début de l’année au rayon informatique de la grande surface, venue s’installer dans la ville, en contrebas, et où pourtant je ne fais mes achats qu’avec prudence. (Et regret des petits commerçants du centre ville que son implantation à réduit au silence). Hier j’ai donc été dans ce hangar impersonnel et froid où le vendeur, en petit gilet bleu, après avoir regardé ma page d’un air dubitatif m’a toisé du haut de sa jeunesse, insinuant que j’avais utilisé dans mon imprimante, par mégarde, une feuille de brouillon. Nous nous sommes toisés. Il m’insultait le bougre. S’imaginant qu’avec mes cheveux blancs, ma vue basse et mes problèmes de mémoire, j’avais de surcroît mon bureau mal rangé !

Il se mit à incriminer ces vieux qui s’imaginent savoir « surfer sur le net » et ne peuvent même pas comprendre qu’une imprimante ne peut pas rajouter des mots manuscrits et des taches de … vin sur du papier. Je compris alors que je ne tirerais rien de cet imbécile et demandais à rencontrer le chef de rayon. Celui-ci, après 45 minutes d’attente vint enfin, et après avoir examiné ma feuille, me suggéra de changer non pas d’imprimante mais d’ordinateur et qu’il y en avait justement un, en promotion, qui ne me coûterait que 895€, mais payable en dix fois sans frais. Il me proposa par la même occasion une « imprimante scanner », tout à fait exceptionnelle, vendue juste ce mois, au prix de 257€. « Une affaire ! » Je me dis que l’on essayait peut-être de me faire prendre des vessies pour des lanternes, remerciais le chef de rayon et rentrais chez moi bien décidé à comprendre ce qui m’arrivait.

C’est pourquoi, cher Monsieur je me tourne vers vous. Que me conseillez-vous ? Êtes-vous responsable de cette situation qui risque de me coûter plus 1100€ ? Qu’avez-vous fait dans votre « blog » qui modifie un texte déjà imprimé plus d’un mois auparavant ?
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer……

Réponse

Bon jour Mesieur. Je vou remerci pour la letre. En fête j’ai réécrie réçament cet istoir car ceux là me semblait laiger. Mais ma conpagne est partis. Je n’ai plus persone pour corriger les fôtes. Et c’es vrè. j’avou boir un peu tro de vain rouge des Corbières pour oublié son départ. Je vous pri de m’excuser… Mè je ne conpren pas pour quoi votre feuille ossi elle change ? Je ne touches plus arien. Caillou

À RIVIERE

Un poème de Mad

À RIVIERE, laissé pour compte, le 31/3/45, en Alsace, à six pieds sous terre.

De Port-Royal à Denfert
Je l’ai regardé,
Ce monsieur qui te ressemblait :
Même front, mêmes yeux
Même bouche irrégulière,
Toi… moins ton rire.

Est descendu, s’en est allé,
Le monsieur souriant, paisible, résigné,
Ce monsieur que tu pourrais être…
Captif de notre vie…
Stupide et sûre,
artiste qui aurait
vidé tes yeux, tué ton rire,
Mis dans ta bouche une première acceptation
De l’état-de-choses existant,
Ce monsieur que tu pourrais être
et que, peut être tu étais,
de Port-Royal à Denfert,
Ce soir, pour me regarder…
fille

Pour chercher, dans cet être
morne et sans colère,
Le rire libre et vrai de la Joie,
Le rire confiant de la Jeunesse,
Le rire fier de la Révolte,
Le rire énorme et primitif
Qu’aux temps lointains où tu vivais,
De Port-Royal à Denfert,
Tu m’as donné…

Port-Royal ou Shirmeck, au bord de la prairie,
Sapins sombres de Sainte-Odile,
Strasbourg, cathédrale éventrée,
Où la neige lasse et le vent furieux
* disaient, chacun à sa manière, ou
La totale impuissance des dieux…
* (Pour deux visiteurs étranges,
disaient l’impuissance des dieux…)

Puis ce fut Colmar et Denfert,
Denfert trop vite arrivé :
Dernière pirouette, meilleur farce,
En cette veille de premier avril
Où les braves gens croyaient mettre en terre,
Ton nom lumineux, ta révolte,
Et ton rire, énorme barrière
De l’Absurde, le premier, le dernier
Des rires libres que j’entendis…

Frère, te souvient-il de cet enterrement ?
Fête bouffonne offerte à notre humour,
Festin pour nos ricanements.
Que nous avons ri ce jour là,
Toi sous la terre et moi dessus,
De leurs bedaines et de leurs phrases
Enflées d’Honneur-Patrie,
Bouffies de Marseillaises
De l’œil soudain grave et du front soucieux,
Des trois pelletées de rigueur
Dûment arrosées d’eau bénite
Et des courbettes aussi
Que tous ces gens, ces braves gens,
Qui n’aimaient pas beaucoup ton rire,
Te prodiguaient si gravement.
Car rien ne manquait à la fête
pour les enterrer tout de bon
Ce rire, ce Nom,
Seuls rescapés, vrais survivants,
De notre lamentable
vie de cons…

Et j’ai tant fait pour retrouver ton âme,
Et j’ai tant cherché par les nuits sans sommeil,
Pour comprendre, à la fin, que ton âme c’était
Ce que j’emportais ce jour là,
Tel un enfant, vivant et chaud,
A travers la vie désolée.
Et cette âme, je l’ai gardée…

Mais, au morfil des jours, j’accroche les lambeaux
Du rire déchiqueté qu’emportent au hasard
Les mêmes P.C.
Les mêmes dossiers,
Les mêmes mots automatiques,
La même pendule à pointage,
Et, pour ouvrir la même porte,
Au haut des mêmes huit étages,
Le même « 38 » où, ce soir,
Frère au rire énorme, au nom lumineux,
Tu vins, toi le vivant,
T’assoir parmi les morts…

Madeleine, mars/avril 1950.

riviere-petit

DEAD END

Un poème de Mad

De la fenêtre où je chantais,
Je vois ta forme disparaître
Cette chose à quoi je fus toute et qui s’en va…

Tout doucement, rentrer dans l’ombre,
La solitude et le silence
De l’autre monde
Où tout le monde
Est à tout le monde,
Où nous n’avons plus
Rien à faire ensemble…

Où vivotent à travers le temps,
Sans savoir pourquoi ni comment,
D’étranges morceaux de bidoche
Plus ou moins fraîche,
S’étonnant du sang dans leurs veines
Et de n’avoir point
d’ailes autour du cœur…

Aussi fièrement
Que je fais l’amour, tu t’en passes,
Il se tait, d’autres interrogent,
Vous pleurez mais nous
Plus logiques
Sur une musique nègre,
Désespérée comme un regard
De fou,
Crions de toute notre chair
Qu’il n’y a pas,
Qu’il n’y aura jamais
D’ISSUE.

Madeleine.

St. Germain des Prés, mars 1947.

EUPHORIQUE

Un poème de Mad

Et la vie coulait, comme roule,

Au Pont Neuf, la Seine,
Bien large, douce, et pleine…

Il la voyait tous les matins,
La Seine
Et ça lui
faisait
Un cœur si
Léger
Qu’il dansait devant
Lui quand il marchait…

Il savait cela provisoire
Et que la Joie
ne fait jamais que suivre
La Tristesse,
La Liberté
Précéder l’Esclavage…

Mais, à cause de tout cela
Qu’il volait à la Vie,
Entre son Passé et son Avenir,
Il faisait danser sa joie dans sa main,
comme une pièce ronde et neuve,
Qu’il donnerait au premier pauvre,
lequel l’irait boire au premier café…

Madeleine. Rue Mazarine, janvier 47.

OH-OH-HOCHIMIN CHE-CHE-GUEVARA…

Je me souviens quand tu courais, le long du trottoir, pendant une manifestation contre la guerre du Vietnam. Des milliers de gens autour de nous hurlant : OH-OH-HOCHIMIN CHE-CHE-GUEVARA…  En sautant comme des fous. Et toi, Madeleine, ne pouvant pas courir avec tes talons, sautillant, à coté, sur le trottoir. Nous étions des milliers et je ne me souviens que de toi. Je me retournais pour voir si tu suivais. Nous étions en chaînes. Nous avions vingt ans. Nous allions détruire le vieux monde et tu étais avec moi ! Si tu savais ce qu’il est devenu le vieux monde !

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Roubaix-Guigamp

– Valérie !
Ils sont tous les 4 sur le canapé, face à la télévision et le match Roubaix-Guigamp. Mon mari c’est celui du côté droit. Il est en jooging et ses potes aussi.
– Valérie !
Qu’est-ce qu’il veut encore ? Tout le dimanche après-midi à rester affalés avec ses amis de bistrot, devant leur connerie de match au lieu d’aller se balader avec les gosses comme nous l’avions prévu, tout ça sous prétexte qu’il pleut, que le match Roubaix-Guigamp est hyper important pour son loto-foot, que ses potes sont venus pour le regarder ensemble.
– Valérie ! Tu nous apportes des bières !
Tu parles Charles, s’il ne les avait pas invités ces 3 connards, ils ne seraient pas venus. Et quand ils ont prévu de venir voir la rencontre sur notre télé, Alain ne savait qu’il pleuvrait. Résultat ? Je suis là comme une conne dans ma cuisine à regarder la pluie tomber tandis qu’il hurle dans le salon.
– Valérie ! Tu nous les amènes ces bières !
Les gamins sont dans leur chambre à jouer sur la station de jeu. Eux aussi, cela les arrange de ne pas aller se promener sur les coteaux de Pech-David.
J’entends qu’un but a été marqué. Enfin, c’est les hurlements des excités que j’entends. Putain, j’en ai franchement marre. Tous les dimanches c’est le même scénario. Sa télévision et ses potes et son foot c’est plus important que moi et les gosses.
Il entre dans la cuisine et ouvre le frigo. Il n’y en a plus de bières ! Ils ont bu tout le pack de 24 canettes. C’est pour cela que je ne lui répondais pas.
Il se retourne vers moi et m’envoie une gifle monumentale.
Je m’effondre contre le radiateur.
Il se penche vers moi et me murmure
– Salope, tu fermes ta gueule, arrêtes de chouiner, tu me fous pas la honte devant les potes.
Je retiens ma respiration.