Il fait tellement gris dehors que j’ai dû allumer la lampe sur le bureau. C’est un bureau moderne que papa a acheté, il y a 2 ans, dans une grande surface de la route d’Espagne. Pas cher. Pas très solide non plus. Et comme je l’ai déjà taché maman m’engueule à chaque fois qu’elle passe dans ma chambre. Il est dans le coin, avec les étagères au-dessus et l’ordinateur bien rangé, en dessous, à ma droite. Et moi je regarde par la fenêtre, le front collé contre la vitre, le vent et le ciel si bas, avec les nuages plats et sales, qui s’en vont, bordant la crête des coteaux de l’autre côté du fleuve. Sinistre.
J’ai beau essayer de m’accrocher à ce devoir d’algèbre que je veux terminer pour onze heures, rien n’y fait. Je suis collé à combien vaut x dans 2(3x-1)2 =18? Continuer la lecture de Combien vaut x dans 2(3x-1)2 =18?
Archives de catégorie : Contes et Nouvelles
L’indifférent
Je suis dérangé, encore une fois, par la sonnette de la porte d’entrée. Mais, cette fois ci, c’est décidé, je ne répondrais pas. Toute la nuit, ils ont hurlé dans l’appartement du cinquième. Les voisins criaient dans l’escalier. Les flics sont arrivés vers 3 heures du matin… Et je n’ai pas pu fermer l’œil. Continuer la lecture de L’indifférent
Réclamation
Cher Monsieur, du moins je suppose que vous êtes un monsieur. Beaucoup d’indices me le font penser.
Je lis votre courrier avec beaucoup d’attention, et ce depuis très longtemps. En effet, jeune retraité, j’ai du temps libre, et l’isolement géographique dans lequel je me trouve, habitant dans un mas, en pleine montagne, dans le massif des Albères, et loin de toute l’agitation des villes, me permet de me plonger avec curiosité, plaisir et parfois dégoût, dans cette nouvelle littérature que je trouve sur Internet. Continuer la lecture de Réclamation
Un soir d’hiver
Un texte écrit à deux…
Un soir d’hiver.
Le brouillard est tombé en fin d’après midi et sur le coup de cinq heures elle ne devinait même plus la facade de la maison d’en face, de l’autre côté de la route, celle qui mène à la foret puis, plus haut, au col de Peyresourde. Elle a fermé les volets, bloqué le portail, et fait le tour de la maison. Continuer la lecture de Un soir d’hiver
LE CAUCHEMAR
Devant l’école de mon quartier il y avait une échoppe, celle d’une marchande de bonbons. C’était une petite boutique pimpante tenue par une charmante vieille demoiselle, mademoiselle Line, Courte de son nom de famille. Elle y vendait, dans toutes les couleurs et les goûts deux sortes de bonbons: des pois à rayures et des pois à pois. A chaque sortie de l’école les enfants heureux envahissait le magasin en riant. Continuer la lecture de LE CAUCHEMAR
Vive la production populaire
Un vieux texte de 1982, du temps des utopies d’autogestion. Ma compagne le trouve un peu puéril mais pour moi il y a 2 phrases qui le sauvent de l’oubli de ma vielle malle. À vous de juger.Ceci dit j’annonçais la glaciation et non le réchauffement de la planète! Continuer la lecture de Vive la production populaire
Le pâté aux alouettes.
Réminiscence. Dans les années cinquante, j’avais entendu cette blague, et elle a un drôle de goût aujourd’hui.
Deux types se rencontrent à un passage clouté. Ils se reconnaissent. Ce sont des anciens copains de régiment. Mais si le premier est habillé tout à fait modestement, en blouson et casquette, l’autre est en costard taillé sur mesure, manteau d’alpaga avec col de fourrure, chaussures italiennes, lunettes de soleil de marque et sac en croco. Continuer la lecture de Le pâté aux alouettes.
LA SALAMANDRE
Il était une fois, dans une grande maison au bord de l’océan, trois filles qui passaient des vacances heureuses, avec leurs parents. Elles faisaient beaucoup de bêtises. Juliette était courageuse, Emma était savante, Nahia était maline.
Un après-midi où tout le monde dormait en faisant la sieste, attendant qu’il fasse moins chaud pour aller sur la plage, elles jouaient dans le jardin. Nahia eut l’idée d’aller ouvrir la porte du cabanon, où les habitants de la maison rangeaient leurs outils de jardin.
Elles entrèrent donc toutes les trois dans l’ombre, un peu poussiéreuse. Derrière la vieille tondeuse à gazon, Juliette trouva une cage un peu rouillée et dedans un drôle d’animal, tout petit, tacheté de jaune et de noir, qui dormait profondément.
« Oh, regarde comme il est mignon… Qu’est-ce que c’est ?»
Emma répondit : « Avec ses petites pattes, je crois que c’est une salamandre… Elle dort, et pourtant nous avons fait beaucoup de bruit ! »
Juliette, inconsciente du danger, n’ayant jamais vu ni entendu parler des salamandres, ouvrit la porte de la cage et passant la main à l’intérieur, elle caressa tout doucement la tête de la petite bête.
« C’est un peu chaud ! »
Celle-ci ouvrit un œil, mais, n’ayant pas mangé depuis très longtemps, elle n’avait pas de forces et elle continua à somnoler.
« Viens, on va jouer dans l’herbe… Elle n’est pas drôle cette bestiole … » s’écria Nahia, et elles retournèrent à leurs rires, jouant à se cacher dans les hautes herbes tout au fond du jardin.
Mais Juliette avait oublié de refermer la porte de la cage…
…
Plus tard, quand leurs parents se réveillèrent, elles allèrent à la plage. Jouer dans le sable, creuser des tunnels, monter des tours de châteaux, ramasser des coquillages, à quelques pas des vagues si puissantes qui se fracassent avec des bruits énormes, c’était super ! Les petites filles ne pouvaient pas vraiment se baigner, mais il suffisait de rester quelques temps les pieds dans l’eau pour se retrouver toutes mouillées.
En fin d’après-midi, en rentrant à la maison et en remontant sur la dune, Emma remarqua dans le sable une piste toute fine, une trace toute en s, qui se dirigeait vers l’océan. Mais elle ne dit rien, ayant complètement oublié le petit animal de la cabane à outils.
…
« Il faudrait peut-être coucher les enfants, il doit être tard ? » Demanda la maman de Nahia. Regardant sa montre, la mère d’Emma répondit : « C’est incroyable ! Il est déjà 22 heures… »
« Et le soleil n’est pas couché ? » constata celle de Juliette.
Tous les adultes regardèrent le ciel. Il était encore tout clair et les quelques nuages qui tout doucement le traversaient étaient nimbés de rouge.
« Il devrait faire nuit depuis longtemps ! » Les grandes personnes étaient interloquées. Et brusquement l’un des papas s’écria : « Il faut aller voir ce qui se passe ! Allez les enfants on s’habille et on y va. »
Juliette, Nahia et Emma allèrent, sur les épaules des grands, bien emmitouflées dans leurs vestes polaires. Sur le chemin qui menait à la dune et à l’océan, ils rencontrèrent d’autres vacanciers qui se dirigeaient comme eux vers le coucher de soleil. Et arrivés là, au sommet de la dune, elles découvrirent une foule immense.
Toute la ville était là qui regardait le soleil à moitié enfoncé dans la mer, là-bas, au loin, sur la ligne d’horizon.
La grosse boule du soleil, devenue un peu ovale, était d’un très beau jaune, mais elle ne descendait plus.
Et les enfants virent bien que le soleil était mordu par une petite ombre, toute rouge et qui se débattait.
La maman de Nahia s’étonna :
« Mais c’est un serpent qui s’est emparé du soleil et qui l’empêche d’aller se coucher ! »
Les fillettes étaient bien embêtées car elles avaient reconnu la salamandre.
Juliette se décida la première et elle se pencha vers l’oreille de sa maman pour lui murmurer : « Je crois que nous avons fait une grosse bêtise. Je n’ai pas refermé la cage… »
« Quelle cage ? » Les parents s’affolèrent…
« … dans la cabane au fond du jardin »
Un monsieur, assis à côte d’eux, dans le sable, avait allumé un transistor et tous les vacanciers écoutaient les informations.
D’un bout à l’autre du monde, le soleil était immobile. Il était suspendu au zénith à San-Francisco en Amérique. Il n’arrivait plus à se lever juste au-dessus de la mer de Chine. Et même en Iran les habitants se rendaient bien compte que la nuit ne bougeait plus …
…
Et puis le téléphone mobile d’un des adultes, un petit gros moustachu, se mit à sonner.
« C’est la propriétaire de la maison, c’est Véronique, … Elle demande à parler aux enfants… »
C’est Emma, la plus savante qui pris le portable à l’oreille.
La dame lui demanda si elles n’auraient pas libéré l’animal dans la petite cage au fond du jardin.
La petite fille avait peur de se faire gronder mais elle lui répondit qu’effectivement…
« Alors, retournez tout de suite à la maison… »
Et tout le monde se mit à courir.
…
Les trois fillettes foncèrent dans le jardin.
Elles s’agenouillèrent devant la cage vide et firent comme l’avait demandé Véronique.
Nahia prit la clef et la fit glisser sur les barreaux : « Didididididiging, Didididididigingn Didididididiging »
puis elle la donna à Juliette: « Didididididiging, Didididididigingn Didididididiging »
et Emma fit de même à sa suite « Didididididiging, Didididididigingn Didididididiging »
…
Puis on alla se coucher, et le lendemain, le soleil était revenu au même endroit (il avait dû courir pour rattraper le temps perdu), et la salamandre dormait tranquillement dans la cage, avec encore un petit morceau de soleil rouge entre les dents.
Et mon histoire, elle est finie.
Caillou, 29 septembre 2012.
un galet dans les soutiens-gorge
Maman ? C’est quoi ce machin dans ton tiroir ?
Emilie se retourne en tenant le galet que j’ai toujours rangé entre mes culottes et mes soutiens-gorge.
Un souvenir d’escalade.
Elle est bien gentille ma fille mais des fois, sous prétexte de m’aider, elle m’emmerde ! Je ne lui demande pas de ranger mes vêtements. Je peux très bien le faire moi-même. Cela me fout de mauvaise humeur de la voir se mêler de mes affaires. Bon, c’est vrai que depuis la mort de mon mari et mon arthrose qui s’amplifie, j’ai bien besoin que l’on vienne me faire un peu de ménage à la maison, mais je préfère une jeune fille anonyme de l’association de quartier que ces intrusions indiscrètes.
Toi ? De l’escalade ?
Elle me regarde comme si je n’avais jamais été capable de grimper sur autre chose qu’un tabouret de cuisine.
Et pourquoi tu le ranges un galet dans tes sous-tifs ? Ce n’est pas sa place !
Elle me parle comme si j’étais une gamine. Elle me nanifie ! Si je ne dis rien, elle va jeter ma pierre, ou la ranger sur l’étagère, à côté des photos poussiéreuses.
Donnes-moi mon galet, laisses ce tiroir tranquille et viens t’asseoir ici.
Emilie hausse les épaules en bougonnant un peu, pour la forme. Je pense qu’elle se dit que je ne change pas en vieillissant, que je suis toujours aussi autoritaire et chiante. Mais je m’en fous ! Elle s’assoit sur le canapé, à côté de mon fauteuil. Je caresse un instant mon galet rond et blanc. Un silence s’installe. J’ai peur qu’elle veuille le combler en allumant la télévision. Alors pour retenir un peu ce moment calme je lui propose :
Tu veux que je te raconte d’où vient cette pierre ?
Elle a déjà la main sur la télécommande. Elle la repose et me sourit.
Si tu veux.
Je prends mon élan.
C’était en 56, je crois, en tout cas en plein été, j’avais… 17 ans… On est parti en montagne avec la bande des copains de mon frère. Vers le lac de Gaube, en dessous du Vignemale. Avec Virginie, on était 2 filles et 4 garçons : ton oncle Michel, son copain Yves, de Saint-Gaudens, un autre, un jeune, un blond dont je ne me souviens plus le prénom et puis il y avait Jean, un type un peu plus âgé que nous, qui était déjà installé comme arpenteur, à Cauterets. Ces quatre-là avaient juré qu’ils ne se sépareraient jamais. La bande s’appelait « la quadrature ! » Et leur devise « Ni sécable ni resécable ! » Des conneries, quoi, des trucs de jeunes… On est donc parti du parking très tôt, vers 6 h. Le jour se levait à peine. Et puis on a grimpé lentement, tranquillement, à notre rythme. Virginie était plutôt derrière avec Michel. Elle était déjà très amoureuse…
Emilie m’interrompt
Virginie, ma tante ?
Oui, par filiation, vu qu’ils se sont mariés l’année suivante, c’est ta tante. Mais ce jour-là, c’était juste ma copine de lycée !
Oui je sais bien. Nos enfants n’arrivent pas à croire qu’il y a eu un temps où nous n’étions pas que leurs parents, leurs familles, un temps où nous étions des jeunes gens liés par d’autres raisons que nos enfants courant dans tous les sens, les repas du dimanche, autour des tables de première communion ou de mariages, autour des tombes aussi, dans des cimetières, sous la pluie. Mais je m’égare…
Donc on arrive au refuge vers 9 heures. Nous voulions monter vers les couloirs de Gaube et du Clot de la Hout.
Après une pause et un copieux petit-déjeuner, nous sommes repartis. Cela grimpe beaucoup en montant vers les névés du Vignemale. Michel et Virginie étaient déjà loin derrière nous. Yves et son copain, le blond dont je ne rappelle plus le prénom grimpaient plus rapidement. Moi je marchais avec Jean. Nous ne parlions pas, économisant notre souffle. Et puis voilà, c’est bête, mais le brouillard s’est levé très rapidement, en une demi-heure, en début d’après-midi. Et nous avons été séparés.
Je suis resté avec lui. D’un seul coup, il s’est mis à faire vraiment froid. Il appelait les autres mais dans tout ce blanc cotonneux, sa voix ne portait pas. Nous étions très inquiets. Pourtant au bord du chemin, nous aurions dû au moins être rejoints par mon frangin et mon amie… Mais personne ne venait… Nous guettions le moindre bruit, le moindre raclement de godasses sur les cailloux, mais rien.
Il s’est assis sur un gros rocher à côté de remblai. Moi j’avais froid. Je me suis assise derrière lui, mes jambes de part et d’autre, l’entourant. Il scrutait le brouillard, vers le chemin. Nous étions anxieux.
Alors j’ai cerclé son corps massif par la taille et je me suis réchauffée en me tenant serrée contre son dos. Il faisait l’innocent, prenant peut-être mon geste comme un signe de peur, de froid, ce qui n’était d’ailleurs pas faux, mais comme s’il ne sentait pas que j’en profitais aussi pour me serrer contre lui. Je le sentais frémir. Un peu comme un grand cheval. J’avais peur, lui aussi, mais pas simplement de nous être perdus dans la montagne et le brouillard. J’avais peur et envie de me perdre avec lui. Les pointes de mes seins frottaient contre la laine. J’avais chaud, j’avais froid, j’avais envie de lui… mais en même temps je craignais qu’il se retourne et m’embrasse ou me gronde, bref qu’il casse ce moment si fort avec des mots ou des gestes à lui, que je ne pourrais pas contrôler.
– Tu étais amoureuse ?
– Pas du tout ma fille ! Je ne le connaissais pas cet homme. C’était juste un instant, lié au brouillard à la montagne à ce corps rassurant, et puis aussi j’étais une très jeune fille… avec le désir de soulager les tensions érotiques qui me travaillaient ?
– Et il s’est retourné ?
– Non, mais il soufflait de plus en plus fort. Il avait compris… Il m’a pris les mains comme pour les réchauffer et il les caressait doucement Et puis très lentement j’ai posé mes mains, avec les siennes par-dessus, sur son engin, tu sais, son truc, enfin… son sexe… que je sentais bandé à fond à travers l’étoffe rugueuse de son jean. C’était animal, un truc que je n’aurais jamais pu faire avec un peu de raison…
– Et après ?
– Oh pas besoin de te faire un dessin ! Les choses se sont enclenchées… Sans se déshabiller, à cause du froid… Je l’ai bien arpenté, tu peux me croire, et quand on s’est rajustés le brouillard commençait à s’effilocher. Il était temps d’ailleurs car les autres étaient arrivés sur la cime et de ce point culminant ils auraient pu nous voir. Alors j’ai ramassé ce galet comme souvenir et je l’ai mis dans ma poche. Nous les avons rejoints, sans rien dire.
Elle est choquée. Je le sens bien. Ma fille ne peut pas croire que j’ai été cette une jeune fille…
– Et tu l’as revu ?
– Jamais. Enfin, si, de loin, à l’enterrement du quatrième, le jeune blond. Il avait été tué en Algérie. Son corps a été ramené à Cauterets. C’était en 60 ou 61. J’étais déjà mariée avec ton père…
– Et leur bande, la quadrature ? Ils n’étaient plus que trois ?
– Il y a des dissensions entre eux. C’est mon frère qui m’a raconté qu’ils se sont disputés, justement par rapport à la guerre d’Algérie. Ils l’ont tous faite, mais en sont revenus très différents. C’était cassé entre eux… Jean s’est marié. Il est monté à Paris… Et moi j’ai gardé ce galet dans mes sous-vêtements.
– Toute ta vie ?
– Et oui ma chérie. C’était un beau souvenir.
Caillou, 13 janvier 2012
Avec les 10 mots de M.C : escalade; rythme; soulager; humeur; nanifier; quadrature; culminant; arpenteur; resécable et dissension.
Merci pour elle… J’en profite pour vous inviter à en m’envoyer aussi.
Sur l’île.
Aujourd’hui maman est morte.
Je l’ai tout de suite enterrée dans un grand trou, derrière la cabane. Il me fallait faire vite. Le soleil montait et il est tellement dur. Je pleurais tout le temps, mais je me dépêchais. J’ai posé son petit corps tout sec entouré dans un drap tout au fond de la fosse puis j’ai poussé le sable. Entre la sueur et les larmes, il en devenait marron. J’ai placé sur la tombe une poêle rouillée dont j’ai enfoncé profondément le manche dans le sol. Je voulais bien marquer l’endroit pour qu’un jour, peut-être, quelqu’un retrouve sa sépulture. Il n’y a pas de pierre sur notre île et le bois pourrit très vite. Avec un os pointu, j’ai longuement gravé « ZOÉ » dans la rouille de la poêle. Zoé, c’est son nom à ma maman.
Je suis arrivé tout petit sur cette île, avec ma mère. J’ai des souvenirs flous, qui ne sont peut-être pas les miens mais qui se sont ancrés dans mon esprit car inlassablement répétés par ma maman, d’une tempête, d’un naufrage, d’un radeau poussé par le courant puis d’un échouage sur la plage du nord-ouest. C’était il y a des années. Maman a construit cette cabane auprès d’une petite source, dans le vallon, au-dessus de la plage. Tout autour les cocotiers bruissent dans le vent. Maman m’a appris à lire, à écrire, à pécher, à chasser parfois, avec des arcs, les oiseaux marins qui viennent se poser sur le rivage.
Aujourd’hui, ou demain, ou plus tard, mais bientôt, je partirais de l’île. J’ai construit, avec des troncs de palmiers et des lianes une sorte de radeau sommaire. Et je sais qu’à cette époque de l’année, le courant marin est très régulier. Il file tout droit vers l’Est, vers le soleil levant. Il me faudra pousser l’esquif dans la mangrove, franchir les récifs, et traverser les premières grandes vagues mais plutôt tout risquer que rester seul sur l’île. Tant que nous étions deux, la vie pouvait être difficile mais supportable. Nous pouvions nous parler, chanter, dormir peau contre peau, se rassurer l’un l’autre. Mais rester maintenant sur cette île déserte, je ne veux même pas l’envisager. Depuis qu’elle est tombée malade, j’ai construit le radeau et fait des provisions, des fruits, quelques bananes, des grenades et des patates douces. La mer est calme et bleue. Si je ne pars pas dans les jours qui viennent , je sais que viendra après le temps des pluies, le temps du vent, quitter l’île deviendra alors, pour plusieurs mois, totalement impossible.
Le soir s’annonce déjà. Ma journée a été dure. J’ai beaucoup travaillé pour enterrer maman et terminer mes préparatifs. Ce soir, pour la dernière fois, j’allume mon feu avec le vieux briquet en amadou. Le coucher de soleil est très beau, très romantique. Je fais comme elle, le soir, je regarde la mer, en silence, tranquille. Elle a toujours cru qu’un jour un bateau remarquerait la fumée de nos feux et se détournerait pour venir nous sauver, mais elle aura passé toutes ces années à attendre pour rien. Nous avons survécu et elle m’a tout appris. Mais maintenant je dois vraiment partir et prendre tous les risques. C’est d’ailleurs maman qui me l’a dit, un peu avant de mourir. Elle était très malade et ne mangeait plus rien. « Robinson, n’attends plus, prends la mer et sauve-toi, toi tu t’en sortiras ». Cette phrase soufflée tout doucement dans mon oreille est mon seul héritage. J’y crois profondément. J’ai toujours cru Zoé.
Caillou, 15 août 2011.
Ce texte est écrit pour mon fils.
Et merci à Christiane G. pour ses 6 mots

