Archives de catégorie : Contes et Nouvelles

Steve Montebello

J’ai tenté (et raté) un concours amusant organisé par Radio-France:
http://www.radiofrance.fr/espace-pro/evenements/radio-france-fete-le-livre-2015/concours-radio-france-de-la-micro-nouvelle
La micronouvelle est un récit imaginaire, appartenant au genre narratif, rédigé en un nombre restreint de mots (1 000 signes espaces compris). Le récit doit comporter une chute. On retrouve dans la micro nouvelle un pouvoir évocateur. Les lieux, les personnages et les actions sont fortement suggérés)
Du coup je le livre à “Caillou tendre”. Bonne lecture.

Je me gare sur le parking. Au loin les calicots et les tentes des « troisièmes rencontres du livre d’amour » sont éblouissants.

Une très belle jeune femme rousse est assise sur un banc, juste devant l’entrée. Elle lit un livre et j’en reconnais la couverture puisque c’est le mien: Le livre de ma vie. Son attitude, sa superbe robe rouge échancrée, sa nonchalance, sa chevelure lourde et flamboyante, sont en harmonie avec cette triomphale journée d’été. Je passe le guichet où l’on me remet mon badge et je m’avance vers le stand des auteurs.

A mon passage elle se lève et m’aborde : Mr Montebello ? J’acquiesce. Elle me montre alors d’un geste très rapide sa carte de la police nationale tout en m’annonçant distinctement : Vous êtes en état d’arrestation. Les menottes refermées sur les poignets je suis vite entrainé vers le fourgon. J’entends les haut-parleurs annoncer mon arrivée sur le festival : Et nous vous informons avec un immense plaisir de l’arrivée du lauréat Steve Montebello.

Caillou. Novembre 2015

 

Un futur très proche

Des millions de manifestants dans le monde entier contre l’assassinat d’un blogueur athée au Bangladesh.

Au lendemain du meurtre, à Dacca, le 26 février, d’Avijit Roy, athée, blogueur, pacifiste et libre penseur, une immense colère s’est emparé des foules dans toute l’Europe puis aux Etats Unis, en Australie, en Asie. Il y a eu des scènes d’émeutes qui ont déjà fait plus de 18 morts

Foule athée

Avijit Roy, qui était menacé par des intégristes, a été tué à coups de machette
jeudi soir. Américain d’origine bangladaise, il était athée, blogueur, pacifiste,
libre penseur, et parfois menacé par des extrémistes islamistes. Jeudi soir,
Avijit Roy revenait en pousse-pousse d’un salon du livre à Dacca, la capitale,
quand deux assaillants ont jailli, des machettes à la main.
Sa femme a tenté de s’interposer, elle a été grièvement blessée,
un doigt sectionné. Roy, lui, a succombé lors de son transport à l’hôpital.

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Tout est arrivé par la poste !

Le facteur ne monte plus souvent la côte raide qui grimpe jusque chez moi pour me faire signer un récépissé. La plupart du temps ce sont des factures et la boîte aux lettres, tout au bout du chemin, est largement suffisante. Mais ce matin-là, sous un grand soleil d’hiver j’ai entendu le son de la vieille moto-bécane jaune qui s’époumonait dans le raidillon. J’étais justement en train d’essuyer ma vaisselle du petit déjeuner. Alors j’ai ouvert la porte d’entrée au moment même où la tête du préposé de la poste commençait à apparaître sur le gravier.
Il a ouvert la sacoche et m’a tendu un colis de la taille d’une boîte à chaussures puis un stylet relié à une sorte de machine où je dus poser une griffure électronique.
J’ai posé le colis sur la table devant la fenêtre de la cuisine et je me suis préparé un petit café.
Ma table de bois ciré était éclairée des taches mouvantes du soleil qui jouait dans le vieux voilage bleu. L’odeur du café frais embaumait ma cuisine. Tout indiquait une belle journée de février. Tout à l’heure j’irai faire ma promenade quotidienne de vieux bonhomme solitaire.

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Nécrologie

Un groupe de gens bizarres qui jouent avec les mots, tendance Oulipo, dans une cave en dessous d’un  bar de Toulouse, à St-Cyprien et voilà que je me retrouve avec un thème et des mots imposés:

Nécrologie

Javert (avec l’accent espagnol) repliant son journal dit à Vidocq :
– Tu as lu la nécrologie ?C’est à la page 12.
– Non, mais je sais que c’est juste au-dessus des mots croisés.
– Oui, et bien au lieu de te creuser lé ciboulot tu aurais mieux fait de la lire. C’est bien plus utile pour ton travail de flic.
– Je n’en ai qu’un de boulot. Pourquoi tu veux que j’en creuse six ?
– Oh le jeu de mot pourri ! Lire une nécro c’est comme remonter dans le passé, c’est trouver une résurgence. Lis ceci : La présidence française s’incline devant la dépouille mortelle de l’ancien président italien du conseil de l’Europe » et toi tu fais tes mots croisés !
– En quoi cette annonce intéresse le quai des Orfèvres? Tu ne serais pas en train de m’inciter à aller voter aux européennes ?
– Pas du tout. Mais cette annonce me rappelle une vieille affaire de vinaigre balsamique trafiqué ou cet homme politique avait trempé.
– Pourquoi ? Il se baignait dans du vinaigre ?
– Mais non, imbécile. Il était à la tête d’un réseau financier. Malgré le verrou politique le journal Il Manifesto avait sorti un entrefilet où il était surnommé « la fine aigrette ». Et son droit de réponse était d’une mauvaise foi cocasse. Il en est resté un doute. Téléphone à notre consultant milanais. Il doit y avoir encore un dossier sur lui.

Silence

Dans le grand bureau de Javert une affiche trône au-dessus du canapé : « La Liberté ou la Mort ! » Punaisée dessous une note de service interdit de coller des posters dans les locaux de la police judiciaire. Griffonné par dessus Javert avait écrit un vengeur « Poster o Poder ».

Après plusieurs coups de téléphone Vidocq revient dans le bureau. Il est en sueur :
– faudrait mettre la clim dans mon bureau, quelle touffeur !
– Alors, que dit notre collègue milanais ?
– Je n’ai pas tout compris à cause de l’accent. Il parle très lentement, un peu comme un légume. Ce doit être un zoophite. Et il compte en porain (ce doit être une monnaie à eux). Enfin bref il dit qu’il n’y a même plus de fumerolles dans cette d’affaire. Que c’est trop vieux. D’autant que maintenant il est mort.

Et ils sortent tous les deux du bureau, bien gentiment, bien que Javert ait vraiment une furieuse envie de balancer un coup de pied au cul à cet imbécile de Vidocq.

Caillou, le 19 juin 2014

 

Mots imposés :
contemporain – touffeur- présidence – résurgence – mauvaise foi – cocasse – verrou – consultant – droit de réponse – balsamique – fumerolle – postéropoder (coup de pied au cul) – zoophyte (En histoire naturelle, certains animaux inférieurs qui ressemblent à des plantes sont dits Zoophytes)

 

La mer était vide

Ce matin  François s’est levé de mauvais poil. Une sale nuit à cauchemarder sans pouvoir se souvenir de son rêve. Une mauvaise nuit comme on fait parfois quand la lune est pleine et qu’on s’est couché tard. Mais qu’est-ce qui peut bien me perturber la tête? Se demande t-il en touillant le sucre dans la tasse de café. D’accord c’est l’hiver, et il fait un vent de tous les diables sur les coteaux, d’accord il a plein de trucs à faire qu’il n’a nulle envie de faire. Mais sinon, tout va bien. Pas de raison de se tourner et de se retourner ainsi dans ses draps pendant des heures. Pourquoi ne retrouve t-il pas ce qui l’a ainsi fait cauchemarder. Juste peut-être une image? Un vague souvenir d’un ponton qui ne mène nulle part? Le café n’est même pas bon ce matin. Rien ne va! Et dire qu’il faut descendre en ville, se laver, se vêtir, bref se secouer pour sortir de cet état bizarre et dérangeant. Continuer la lecture de La mer était vide

Congélation

Un groupe de gens bizarres qui jouent avec les mots, tendance Oulipo, dans une cave en dessous d’un  bar de Toulouse, à St-Cyprien et voilà que je me retrouve avec un thème et des mots imposés:
Congélation
Mots imposés :
Barmoultgonzessedominationmorguebonzemektoubhétaïre – frileusementgymnopédieimposteurploutocrate
nonne

Je me lance

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Le miroir

Les persiennes sont fermées, la fenêtre ouverte, les rais de lumière empoussierés éclairent à peine la pénombre de la salle à manger.

Un fauteuil, recouvert d’un drap, fait face à la cheminée surmontée d’un immense miroir, caché derrière un voilage de tulle noir.

Le glas sonne à l’église du village. Il y a dans cette fin de matinée, terrassée par le grand soleil d’été, la résonance monotone des conversations murmurées d’une foule en dessous de la fenêtre. Quelques instants plus tard, c’est un enterrement qui passe. On entend le bruit des sabots du cheval, les roues de bois ferrées sur les pavés, le martèlement des pas, d’abord dans le silence puis, en s’éloignant, jusqu’au coin de la rue, le son continue des voix basses, des chuchotements et des salutations… Le glas continue de résonner dans le village maintenant désert. Lorsqu’il s’arrête enfin, dans le silence retrouvé, apparaît alors le balancement de l’horloge de la cuisine.

Du bruit dans l’escalier et quelques mots dits devant la porte tandis qu’il fait tourner la clef dans la serrure :
– Bon, je reviens après-demain. En attendant tu ne restes pas seul. Promis ?
– Oui, oui.
– Madame Duffau te préparera tes repas. Il te suffit juste de descendre les chercher! C’est d’accord ? Samedi je viens m’installer quelques temps et on va s’organiser. Tu m’appelles si tu as besoin de quelque chose ?
– Mais oui… Ne t’inquiète pas.

Embrassades. Puis il entre tandis que le bruit des pas décroît dans l’escalier. Il pose son manteau noir à la patère derrière la porte, tourne un peu, puis va s’asseoir dans le fauteuil, sans en enlever le drap. C’est un vieux bonhomme très maigre. Il porte un costume noir et une chemise blanche. Il desserre un peu sa cravate.

Au loin, de l’autre côté de la place, un klaxon lui envoie un dernier appel auquel il répond d’un geste las de la main. Il a fermé les yeux. Les petits traits de lumière se déplacent lentement vers le haut du mur puis, disparaissent. Il n’a pas bougé de son fauteuil et n’a pas ouvert les yeux de tout l’après-midi. Le soir venu, il se lève dans le gris de la pièce, et va chercher son dîner chez la voisine du dessous. À son retour il pose le plateau sur la table et ne le touche pas. Il regarde longuement le miroir caché au-dessus de la cheminée et il en retire doucement le voile noir qu’il plie soigneusement. Il se rassoit et attend encore.

Il fait nuit. Dehors les sons s’éteignent les uns après les autres et le village, tout doucement s’endort. Alors le vieil homme se lève et va dans la cuisine chercher des bougies qu’il dispose sur la table, sur le chevet de la cheminée, sur le rebord de la fenêtre. La glace ancienne, au cadre tarabiscoté, est constellée de taches brunes. Son tain maintenant trop vieux, surtout dans les angles, permet de deviner, dans la lumière tremblotante des bougies, les meubles en bois du dix-neuvième sur le mur du fond.

Il se déshabille alors, suspend son costume dans l’armoire et plie proprement ses vêtements sur une étagère. Il est maintenant nu. Son corps est maigre et sec. Il est droit. Sa vieillesse, c’est dans les veines apparentes des bras et des cuisses qu’elle se voit, pas dans sa posture. La peau est tachetée, et ses quelques rares poils blancs ne peuvent cacher son sexe ratatiné.

Il est face au miroir. Tout le monde dort. Il jette un dernier coup d’œil sur le portrait de son épouse puis il ferme les yeux et tend les mains devant lui.

Il n’y a plus que le tic-tac de l’horloge dans le silence de la nuit.

Lentement il entre alors dans son propre reflet comme il entrerait dans l’eau calme d’un lac de montagne. Il n’y a pas une ride sur l’eau du miroir et petit à petit son vieux corps se soulève et disparaît. Son coude et le pied droit semblent hésiter encore un instant puis lentement s’enfoncent également. La pièce est vide et le seul son qui existe encore c’est le lent balancement de l’horloge qui demeure dans l’appartement désert.

Caillou 2007.

Le brouillon, en 1990, c’était pour un scénario de film avec une caméra fixe de bout en bout et un magnifique trucage pour terminer. Mais je ne l’ai jamais tourné.

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Claire L dit :
20 août 2007 à 18 h 31 min
Très beau, je ne sais pas du tout ce que ça donnerait filmé, ni aucune idée des trucages, mais les images se font à la lecture. Je vois le lac sur le miroir, et la détresse du vieillard dans sa nudité émotionnelle.
à bientôt,
Claire

Nanie S. dit :
21 août 2007 à 17 h 23 min
Ce texte me touche profondément. Tu as réussi à décrire parfaitement une atmosphère, on vit l’histoire de l’intérieur, on souffre, on est submergé d’émotions.
Dommage que le projet de film ait avorté..En tout cas bravo, tous tes textes sont magnifiques.
Bises.

 

Ne soyez plus une mouche dans votre vie !

Pour Michel

J’avais trouvé du boulot! Enfin!
Depuis cinq mois que je pointais au chômage et que je me cassais les dents sur des entretiens un peu partout dans la ville. Cinq mois de tristesse d’angoisse, d’ennui…
Enfin, j’étais embauché. Certes ce n’était pas un emploi formidable, rien à voir avec ce que j’avais fait les années précédentes, mais vues mes «inaptitudes», comme disait la jeune femme de l’ANPE et surtout vu le montant de mon allocation, j’étais déjà bien content. Comme mon pécule se raplatissait de semaines en semaines, lorsqu’elle m’avait donné cette adresse en me disant que c’était un emploi ferme et qu’il s’agissait d’être dehors toute la journée, j’avais accepté avec reconnaissance. Continuer la lecture de Ne soyez plus une mouche dans votre vie !

Combien vaut x dans 2(3x-1)2 =18?

Il fait tellement gris dehors que j’ai dû allumer la lampe sur le bureau. C’est un bureau moderne que papa a acheté, il y a 2 ans, dans une grande surface de la route d’Espagne. Pas cher. Pas très solide non plus. Et comme je l’ai déjà taché maman m’engueule à chaque fois qu’elle passe dans ma chambre. Il est dans le coin, avec les étagères au-dessus et l’ordinateur bien rangé, en dessous, à ma droite. Et moi je regarde par la fenêtre, le front collé contre la vitre, le vent et le ciel si bas, avec les nuages plats et sales, qui s’en vont, bordant la crête des coteaux de l’autre côté du fleuve. Sinistre.
J’ai beau essayer de m’accrocher à ce devoir d’algèbre que je veux terminer pour onze heures, rien n’y fait. Je suis collé à combien vaut x dans 2(3x-1)2 =18? Continuer la lecture de Combien vaut x dans 2(3x-1)2 =18?