Archives de catégorie : Contes et Nouvelles

Dans un western virtuel.

Un vent très chaud sur la sierra fait rouler les buissons de foin.
Whooo whooo whooo
Une poule s’échappe en caquetant, sur la rue endormie du bourg. 
Cattt Cattt Cattt 
Arrive alors le beau Pedro, armé de colts et sombrero.
Il marche au milieu de la rue et ses éperons font Cling Cling
Les volets claquent : Bing Blang, Bling Bling.
C’est le retour du grand lourd. Ils se terrent les habitants.
Et lorsqu’il ouvre les battants du saloon rouge de Claudine 
Chlank, Chlank
Les 2 habitués le regardent. Les chaises raclent sur le plancher.
Reeee, Reeee
La patron moustachu se baisse pour attraper sa winchester 
Les deux vieux filent à l’arrière.
Mais Claudine souveraine descend le grand escalier de fer
Elle est belle comme un ouragan.
Pedro demande un verre de bière
Silence et soulagement ! 
Sous l’effet de la brise sèche, on entend le lustre qui vibre
C’est du cristal. Diling Diling. Le patron pose son calibre.
Le beau Pedro qui a 8 ans embrasse la chanteuse aux rubans.
Dans ce jeu, c’est un vieux pépère qui s’embête et joue à l’écran.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Claudine:
Chaud, brise, cristal, dormir, poule et lourd.
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou, le 21 avril 2020.

Et le texte d’Annick, en réponse, avec les mêmes mots:

DORMIR comme une poule sur une patte 
d’un sommeil lourd et accablant
des nuits agitées peuplées de 
spectres verts et rouges aux reflets de cristal
tailladent chaque rêve en une multitude de tessons 
qui finiront à la poubelle
ramassée dans la douce brise du matin
par des mains gantées de plastique
et des visages voilés plein de solitude et de colère.

Voyage voyage

Le poste radio dans la cuisine chante à pleins poumons.
Mais les transistors n’ont pas de poumons ! Pourquoi suis-je si préoccupé par les poumons ce matin tandis que je beurre, solitaire, ma biscotte.

Voyage voyage 
Plus loin que la nuit et le jour (voyage voyage) 
Dans l´espace inouï de l´amour 

J’ai l’air fin avec ma biscotte beurrée dans l’espace inouï de l’amour à onze heures du matin dans ma robe de chambre pleine de cheveux ! Plus de pain, presque plus de beurre et plus du tout de confiture. Mon confinement, c’est l’hibernation de l’ours des montagnes ! Avec l’odeur…

Voyage voyage 
Plus loin que la nuit et le jour (voyage voyage) 

Ah oui, là c’est sûr ! La nuit et le jour ? Je ne vois même plus la différence entre l’un et l’autre, entre séries télévisées et chaînes d’infos en continu… Elle continue :

Voyage voyage 
Ne t’arrête pas 
Au d´ssus des barbelés 
Des cœurs bombardés 
Regarde l´océan 

Desireless, chantait ça dans les années 80.  Sans désir elle était ! Elle en avait de la chance ! Moi j’en ai des désirs ! Je veux des fleurs, du parfum, un jardin et du vin…

J’ai juste un tire-bouchon inutile qui traîne sur la toile cirée entre biscottes et beurrier.

Lire ? J’ai un bouquin que ma sœur m’a offert à Noël, où l’ai-je mis ?
Ah le voilà, c’est Le parfum de l’Hellébore de Cathy Bonidan.
J’irai faire des courses plus tard…
Là, je me recouche !

https://www.babelio.com/livres/Bonidan-Le-parfum-de-lhellebore/900530
(Je précise que je ne l’ai pas lu
et que ce sont les mots imposés qui me l’ont… imposé)
Ce texte est écrit avec une contrainte de 4 mots, donnés par Bernadette:
Parfum, hellébore, tire-bouchon, et voyage. . 
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou, le 20 avril 2020

Et un autre texte envoyé par Annick

Hellébore quand il pleut
a les cheveux en tire-bouchon
Il voyage dans sa tête pleine de trous
où ventent les parfums funestes 
de la désespérance et les bruits du silence
qui s’insinuent fatalement 
cherchant ses pensées salies par les odeurs fétides
du bitume.

Dans le jardin… la suite!

Un autre texte, avec les mêmes mots, envoyé par Françoise: 
On n’était pas bien loin ... Avec mes 6 mots, j’ai écrit ça ...


Aïe ! Une douleur dans les reins au bout d’un bon moment de travail dans le jardin.

Elle se redresse doucement, plante la bêche dans la terre, pose ses deux mains en coque sur le haut du manche, et son menton par dessus.
Un instant reposer le dos, un instant laisser le regard voguer au devant de soi.

Regarder avec bonheur et gratitude les oiseaux, ceux qui s’abreuvent dans le lac tout proche . Ils se laissent porter par le vent, puis se jettent vers la surface de l’eau où ils viennent prendre un peu de quoi continuer le chemin, et d’un coup d’aile, repartent vers le ciel, légers et déterminés.

Ça ressemble à un poème, parfois à un mirage: c’est si rapide, si simple, si merveilleux...c’est déjà fini ?

Les yeux reposés reviennent vers le jardin. La main reprend la bêche, les jambes se replacent et le travail reprend . Il a tout son sens . Dans la fermeture de la terre, il y a toute l’ouverture de la vie .

Francoise

Et un autre texte envoyé par Annick

Depuis quelques jours les oiseaux s’en donnent à coeur joie 
Au milieu des aiguilles de pin qui jonchent mon balcon
Le vent, violent, s’est levé et tourne en bourrasque 
et bourrisque les têtes échevelées et décérébrées
Au loin, un mirage. Covid ne vois-tu rien venir ?
Tandis que la bêche de bois attendrit le sol asséché
La douleur et la perte avancent à grand pas vers le ciel
Avant qu’une voix de stentor annonce la fermeture de Carrefour City plus tôt que prévu.

Dans le jardin

Le vent secoue les arbres, disperse un peu partout les fleurs des cerisiers. Le jardin est si blanc. Elle pourrait croirait qu’il neige. 
Demain il va pleuvoir, le vent va se calmer.
Alors elle prend sa bêche.
Pour préparer des lignes où elle ira planter ses semis de tomates.
Les merles vont se cacher.
Sous la haie. Ils attendent. 
La bonne terre tendre est un garde manger.
Les oiseaux sont comme ça, ils mangent au bon moment ce qu’il y a à prendre et n’ont même pas idée d’en mettre de côté.
 (Depuis la Préhistoire les hommes prévoient, engrangent,  les récoltes s’entassent, pour enrichir les uns, pour nourrir des armées !)

 La ligne d’horizon au dessus de l’Ariège est fermée par la crête du premier grand coteau, dominée par un arbre très beau, comme un gardien, à l’entrée de Goyrans, en dessous des nuages.
Ce n’est pas un mirage. C’est une vraie position. 
Un guetteur magnifique dominant la région.
Si un jour ils le scient et l’abattent pour construire,
la superbe villa d’un riche toulousain, (un docteur, un notaire, ou bien un PDG)
elle vivra cette douleur si dure à oublier.
Le temps des assassins se nomme immobilier.
En attendant, elle est, toute seule, dans son jardin.
C’est un matin d’avril et c’est autorisé. 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par Françoise:
Oiseau, vent, bêche, mirage, douleur et fermeture.
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou, le 19 avril 2020

Hubris* en 35 m2

Le canapé est un château, si j’en tombe c’est les crocodiles, qui me mangeront en ratatouille.
Déjà des heures que ma Juliette, qui a 6 ans, chante en criant cette scie qui m’arrache la tête.
Sœur Anne ne vois tu rien venir ?  Je lui réponds de plus en plus faiblement : Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe… 

Depuis déjà plusieurs semaines nous avons les enfants dans le studio.  
Mais c’est quoi cette magouille ? Je lève les yeux de mon clavier. Elle me réclame de nouveau des chatouilles ? 
Son frère Arnaud attaque les murs, avec des feutres. Il gribouille. J’ai beau crier qu’il ne faut pas le faire, même avec des feutres lavables, il me faudra bien retapisser plus tard. Je ferais venir un artisan, à moins que je les pose moi-même tous ces rouleaux de papiers peints. Il faudra que je patouille dans la colle. Rendre le studio en état. 

Leur mère s’isole sous la douche, le seul endroit où l’on est seul, avec les toilettes bien sûr. Je repense au journal d’Anne Franck*où l’adolescente se moque de ce monsieur qui y passe des heures. 
Et moi j’essaie bien de bosser sur mon ordinateur rebelle mais le wifi se met en veille. 
Je n’en peux plus ! Des heures pour télécharger 2 feuilles A4 ! Le télétravail, facile à décider dans l’Olympe des dieux et leurs bureaux ministériels et bien plus difficile à mettre en place dans mon studio de 35 m2
Alors vivement qu’on sorte, tous les quatre, hurler dans la rue. 

* Hubris : Orgueil et démesure
* https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Journal_d’Anne_Frank#Personnages

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par Yves:
Chatouille, gribouille, patouille, ratatouille, magouille et rebelle
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou le 18 avril 2020

Et un autre texte envoyé par Annick

Pour la énième fois Gribouille grésille sur le disque usé
tandis que d’une main nonchalante, Elle gratouille le cou du chat
qui n’apprécie plus du tout les chatouilles depuis qu’Elle lui a interdit de sortir
De patouilles en ratatouilles, elle se dit qu’elle pourrait bien 
s’énerver, se révolter, s’anarchiser, mais ce n’est pas une rebelle 
et reprend d’une main nonchalante les gratouilles et les papouilles.

Derrière la fenêtre

Elle a le front posé sur le frais de la vitre. Elle observe la rue qui descend vers le fleuve. Il fait encore bien froid dehors et le soleil qui peine à percer les nuages n’a pas encore chauffé la ville qui s’éveille. Mais voilà les enfants qui partent pour l’école. Après ces longues semaines d’enfermement enfin pouvoir se retrouver. Elle entend les rires et les portes qui claquent. Elle suit de son regard les mamans qui les mènent, qui se saluent, heureuses, de pouvoir se revoir, échanger sur le temps, se donner des nouvelles… 
Une radio, derrière elle, lui parle de Christophe, celui qui vient de disparaître, ce chanteur marqué par les années d’excès. Il l’avait fait rêver, il l’avait fait danser, bien des années plus tôt quand elle dansait encore. Et on entend son chant qui prend bien tout l’espace, dans la chambre peut-être, surtout dans ses souvenirs.
Les enfants à l’école, la rue se met au calme. Les fenêtres ouvertes se parent de tous les draps. On aère. On secoue. Le printemps est partout. Les murs vêtus de brique se colorent en rouge sous la caresse chaude de ce très beau matin. Elle y voit un chemin. 
Comme un message, juste un moment de grâce. Sentir l’instant présent, en jouir pour ce qu’il est, sans chercher à le retenir. Tourner le dos, définitivement aux regrets qui la hantent. Ne plus se souvenir et ce matin, choisir enfin la vie. 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par Josette:
Soleil, chant, rouge, chemin, regrets, vie.
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou, le 17 avril 2020

Première sortie

Le chemin sentait la noisette. Nous étions en octobre 2020 et pour la première fois l’homme sortait se promener, seul, dans ce bois, le long du fleuve. Âgé, grand, mince, il marchait un peu vouté, d’un pas lent, comme exténué par ces quelques huit mois d’immobilisation forcée. Sa marche était celle d’un grand convalescent faisant ses premiers pas dans les couloirs des hôpitaux. Les cheveux, très longs, cachaient son front et on ne pouvait voir que ses yeux puisqu’un masque en tissu lui mangeait littéralement le visage. 

Dans sa maison, pour fêter cette libération, ils avaient bu un peu de champagne en grignotant quelques toasts aux crevettes. La veille au soir, le président avait annoncé la levée partielle du confinement sanitaire au journal télévisé. Et ils avaient préparé cet apéritif pour en fêter le premier jour. Allait-on retrouver le sentiment de faire partie de la société ? D’être utile ? D’être fort ? Il ne le croyait pas. Presque certain que cette assignation à résidence avait cassé en lui bien plus que sa vitalité musculaire, il avait voulu sortir seul, pour la première fois. 

L’homme qui marchait dans le sous bois retrouvait cette sensation ancienne : la liberté, celle d’aller où il voulait. Mais il avait compris que cette liberté ne serait plus jamais, pour lui, associée à l’innocence et à l’inconscience de sa propre faiblesse. Il n’y aurait plus jamais de nudité face au soleil. 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnée par ma compagne: noisette, masque, champagne, crevette, nudité, soleil.
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres.

Caillou, le 16 avril 2020

Sourate 33 verset 52

Sur le haut de la colline qui domine le village, la grande maison aux volets bleus est comme un promontoire. De la terrasse, une vue panoramique donne sur toute la région qui, après le petit cimetière aux deux cyprès, s’étend, de dunes en oasis, à perte de vue puis se noie dans la tremblante lumière du matin. Il fait encore un peu frais. Bientôt le village aux petites maisons chaulées sera écrasé de soleil.

Juste au milieu du triangle carrelé de ce belvédère, une vasque d’eau claire et pure avec un petit jet fait un joli bruit permanent, un gazouillis humide et doux.

La jeune femme, accoudée à la rambarde, a peut-être vingt ans. Appelons la Sofia.
La veille, ils sont venus la prévenir qu’ils partaient. Le maire, deux voisines, les domestiques, il y avait même l’instituteur. Partir pour où ? Ils n’en savaient rien. Mais partir pour fuir, sauver leurs peaux et leurs quelques valises. Mais elle ne veut pas s’en aller. Elle ne laissera pas la maison de sa famille, de son père surtout qui vit à l’étranger et ne revient ici que quelques semaines par an. C’est sa maison. Elle y est née. Cette villa est immuable et ce n’est pas une vague de plus ou de moins qui la détruira.

Alors elle s’éloigne de la balustrade et, à l’abri des regards enlève d’un mouvement des épaules sa djellaba blanche et fine. Elle n’est plus habillée que d’un maillot de bain rose et la serviette éponge posée sur la chaise longue est d’un très joli vert. La jeune femme s’allonge et reprend la lecture de son livre. C’est une romance anglaise, un truc à l’eau de rose, où l’on ne sait pas encore si James a promis de retrouver Janice et enfin lui dire la vérité…

La matinée s’écoule dans le petit bruit de l’eau qui doucement l’endort.

La porte de la maison explose sous les coups des rangers, une dizaine de soldats en battle-dress pénètre en courant sur la terrasse. Ils viennent se positionner derrière les piliers de la balustrade. Ils crient. Leurs visages sont rayés de trainées noires. Leur jeune chef la désigne, stupéfaite, encore assise: « Enfermez-moi ça dans la cave ! » Et il fait tomber la chaise longue d’un coup de botte

Plusieurs jours passent. On entend parfois les bombes larguées par les avions de la coalition qui survolent le village et ébranlent les fondations de la maison. Elle survit, pelotonnée dans la serviette éponge verte, dans un demi-sommeil entrecoupé de cris. De temps à autre les brutes la réveillent à coups de seaux d’eau et elle les sent ensuite s’épuiser en ahanant sur son corps, étrangement indifférente, ramassée dans son seul désir de survie. Tenir encore un jour…
Une fois elle entend vaguement le jeune capitaine qui, comme les autres, vient de la violer. Il remonte sa braguette, les jambes écartées au dessus de son corps nu et dévasté. L’air un peu triste il murmure : « sourate 33 verset 52 : mais la fréquentation de tes femmes esclaves t’est toujours permise. »
Et puis ils s’en vont, après avoir pissé dans la vasque.
Plus tard, l’armée régulière reprend le contrôle de la région. Ils retrouvent son corps au fond de la cave, sous la maison. Et c’est le maire et l’instituteur revenus quelques jours plus tard qui l’enterrent dans le cœur du cimetière du village, celui aux deux cyprès

Dans les gravats, une autre jeune femme a retrouvé le livre de Sofia. Elle y lira que Janice a retrouvé James et qu’ils se sont mariés. Ils vivent maintenant dans leur très joli cottage et attendent leur premier enfant…

Caillou, le 2 novembre 2016

Les 6 mots de Sofia : Bleu – Eau – Livre – Stupéfait – Cœur – Promis

Une histoire avec des mots imposés

Nuit noire, nuit de tempête, nuit d’automne venteuse pluvieuse et froide. 5 heures du matin. Sur la route qui monte au col de Peyresourde les premières maisons du lugubre village de Garin apparaissent dans les phares de la de la camionnette poussive. Le laitier, un vieil homme fatigué, silencieux, pas bien réveillé, est à moitié couché sur le volant. Il devine à peine la route, qu’il connaît pourtant très bien, à peine visible dans la nuit et les rafales de pluie. Le mégot tombant coincé dans l’angle de la bouche, le béret enfoncé sur le sourcil brouillasseux, la gabardine marron, le cache-col entouré deux fois juste en dessous du menton, il n’a pas prononcé un mot depuis la gare de Luchon. Il fait sa tournée nocturne pour aller chercher le lait dans les fermes vers Portet, Jurvielle, Gouaux…
– Z’êtes arrivé. C’est la grande maison grise à droite…
Une seule vague ampoule accrochée à un réverbère rouillé oscille sous les assauts du vent.
– Vous repassez dans combien de temps ?
Le vieux hésite un peu, regarde sa montre et dit :
– Avec c’temps d’merde pas avant sept heures. Je klaxonnerai.
Le passager ouvre la portière, immédiatement assailli par la pluie glacée, remonte son col et s’engouffre dans le chemin qui monte, à droite de la bâtisse, tandis que décroît le bruit du moteur de la Juva4 qui peine à repartir dans la montée.
Une lumière jaune filtre dans la croisée des volets de la maison en haut du raidillon. Il est attendu.
Il tape à la porte, sans être sûr d’être entendu dans le bruit incessant du vent.
– Archie ? C’est vous ?
– Oui, ouvrez. Il fait vraiment mauvais dans votre bled.
Elle le fait entrer et le vacarme du dehors s’estompe sitôt la porte refermée.
– Je vous guettais. Quand j’ai vu la lueur des phares, j’ai pensé que c’était vous. Il n’y a que le laitier qui passe sur la route à cette heure-ci.
La jeune femme aux grands yeux noisettes, très belle, grande, blonde aux cheveux longs rejetés en arrière, dans un sublime déshabillé rose qui moule parfaitement son corps l’aide à se débarrasser de l’imperméable mouillé. Elle est pâle et, sur son front perlent des gouttes de sueur.
Il lui jette un coup d’œil.
– Nous n’avons pas beaucoup de temps. La voiture repasse dans deux heures. Où est-t-il ?
Elle désigne d’un doigt la chambre à l’étage.
– Archie c’est tellement chic de votre part d’être venu à mon secours.
– Je ne l’ai pas fait pour vous, Ava, mais pour mon vieux copain Toni. Que s’est-il passé au juste ?
La jeune femme dont la lèvre tremble un peu lui répond que la veille au soir après avoir mangé Toni s’est plaint, disant qu’il avait mal au ventre.
– Il est monté dans la chambre, s’est allongé. Comme il semblait souffrir j’ai cru bon de vous appeler.
– Vous avez bien fait.
– Puis il a sombré dans un sommeil agité. Il avait de la fièvre, j’ai essayé de le réveiller. Mais rien à faire. Il était inconscient.
Il relève son chapeau sur la nuque et sort son paquet de Chesterfield. En allumant une cigarette, avec la flamme entre ses mains, Archie lui jette un regard, dubitatif.
– Nous ne nous sommes jamais vus, je crois ? Quand je vous ai planqué ici tous les deux pour échapper à la bande d’Eddy Neuman, je ne me doutais pas que vous étiez aussi belle. Toni a bien de la chance.
Puis il monte à l’étage. Son pas lourd fait vibrer l’escalier de bois.
Elle n’a pas bougé de la pièce. Elle entend ses pas dans la chambre au-dessus puis, après un silence, le bruit des meubles qu’il déplace, peut-être le lit. Des sons sourds… Sa voix résonne dans l’escalier :
– Qu’a t’il mangé hier soir ?
– Comme moi. Des aumônières de saumon aux épinards achetées à Toulouse, avant notre fuite, dans l’épicerie cacher de l’avenue Pompidou.
– Sous vide ?
– Oui, surgelées.
Quand il redescend elle le scrute, anxieuse, immobile, les mains serrées sur le rebord de la chaise. Elle sue à grosse goutte.
– Toni est mort. Empoisonné.
Elle s’assoit brutalement, défaite.
– Mais ce n’est pas possible, nous avons mangé le même plat.
– Quand vous m’avez appelé hier, il était encore conscient ?
– Pas vraiment. Il souffrait beaucoup. Il se plaignait du ventre. J’avais très peur et c’est pour cela que je vous ai appelé. Ce n’est qu’après avoir téléphoné que je suis remonté dans la chambre mais il avait déjà sombré dans une sorte de sommeil agité.
– Où est votre téléphone ?
– Ici, dit-elle en désignant l’appareil en bakélite noire sur le buffet de la cuisine.
Archie sort alors un petit bout d’étiquette froissé.
– Il a profité de ce petit moment où vous l’avez laissé seul pour arracher un bout de l’étiquette de la bouteille de vodka qu’il devait avoir à côté du lit et qui est maintenant sur cette table. J’ai trouvé ce bout de papier sous l’oreiller. Le voici ! Et là j’ai la bouteille, à peine entamée. L’arsenic n’était pas dans les aumônières. Il était dans la vodka ! Et l’analyse le démontrera…
Il s’empare du téléphone.
Elle se jette brusquement à ses pieds et le supplie de ne pas appeler la police. Ce faisant elle découvre habilement sa poitrine.
– Ne me laissez pas tomber Archie. Je sais que Toni était votre ami, mais si vous croyez qu’il était un chic type, vous vous trompez lourdement. Il me méprisait. Il me traitait comme une pute. Depuis 4 mois, depuis que nous nous cachons dans ce village il m’en a fait voir de toutes les couleurs. Si vous me sauvez la mise, je ferais tout ce que vous voudrez, je serais toute à vous.
– N’y compte pas ma toute belle. Tu me flingueras au premier tournant.
Archie prend le combiné et fait le numéro 17 sur le cadran. Il lui tourne dos. Il est lourd, calme et imposant. On entend la petite voix métallique et lointaine qui lui demande de patienter.
Dans le tiroir du buffet elle agrippe silencieusement le petit 5 mm, en murmurant :
– Mon Dieu, vous ne devriez pas faire cela Monsieur Mandrite !
Et quand son grands corps est affalé sur le parquet, avec la flaque de sang qui s’élargit elle raccroche le combiné sur son socle puis, se ravisant compose un autre numéro et dit très calmement :
– Neuman ? C’est fait. Vous pouvez m’envoyer une voiture à la gare de Luchon ?
A sept heures, au lever du soleil, la pluie s’est arrêtée et le vent s’est calmé.
Le laitier redescend vers Luchon dans sa guimbarde pleine de bidons et, comme convenu, il fait halte à Garin, près de la grande maison grise. Une jeune femme blonde monte à l’avant, à côté de lui et avec un grand sourire, à peine visible dans la pénombre elle dit :
– Vous pouvez me déposer à la gare à fin de votre tournée. Le Monsieur reste ici quelques jours…

 

Les mots imposés par Maryse : une histoire policière avec
archimandrite, vodka, Garin, casher et Dieu.
Caillou, le 7 septembre 2016