Tous les articles par Caillou

Merlinette!

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Ta gourmette avec ton matricule gourmette-petit

C’est sur une photographie prise pendant le débarquement en 1944 sur une plage de Provence… un peu ridicules avec le casque de travers et ces énormes sacs à dos, les musettes, les pantalons trop larges… qu’apparaissent les premières femmes dans l’Armée Française. Et tu en étais.
Madeleine, Merlinette! C’était ta fierté mais tu n’en parlais pas, très peu. Juste l’œil un peu brillant, en 64, pour le vingtième anniversaire de la libération de Paris. J’ai retrouvé tes insignes, ton carnet de chants, quelques lettres, des photos, des cartes postales. J’ai reconstitué un peu de cette histoire oubliée : La France libérée par une armée d’arabes, de noirs, de métèques, de pieds-noirs, et… de femmes !

L’Armée d’Afrique ?
Si vous savez déjà tout sur l’Armée
d’Afrique, le C.E.F.I, la Première Armée Française, puis Rhin et Danube… vous pouvez sauter l’article suivant, en rouge, et passer tout de suite à l’article sur les Merlinettes, en vert.

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Le miroir

Les volets sont fermés devant la fenêtre ouverte.

Des volets en fer, qui se plient, avec, tout en haut 4 fentes, de chaque côté, qui laissent passer des rayons de lumière empoussiérés dans la pénombre de la salle à manger. Un haut fauteuil recouvert d’un drap fait face à la cheminée surmontée d’un immense miroir, caché derrière un voilage de tulle noir, montant jusqu’au plafond.

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Les casinos sont d’étranges cathédrales hors du temps, sans pendules ni fenêtres…

À Toulouse, en amont de la ville, de part et d’autre de la Garonne, deux bâtiments en construction vont bientôt être mis au service du public.
Du côté Empalot, une mosquée. Bonjour aux enfants que l’on dresse à apprendre des inepties par cœur en oscillant du tronc, des heures durant, les yeux fermés. Qu’ils soient musulmans, juifs, chrétiens ou bouddhistes ne changent rien à l’affaire… C’est le mouvement des autistes, les TICS, qui fait se ressembler les apprentis de toutes les religions!
Curieuse coïncidence, de l’autre côté de ce bras du fleuve, sur un terrain dévasté par l’explosion d’AZF, se termine aussi la construction d’un gigantesque casino. Le jeu d’argent est interdit en France sauf dérogations, aussi nombreuses que variées et dont « le groupe Lucien Barrière » (un ami de notre Président qui n’a que des amis) profite allègrement.
On apprend à y faire les mêmes mouvements répétés…

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Orly

 

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Je me souviens.

À la mi-février 1962 nous sommes partis avec Denise, une de tes amies, dans sa voiture, pour aller chercher ta grand-mère maternelle à l’aéroport d’Orly. Elle était veuve depuis longtemps et avait vécu, dans un minuscule appartement au coin de la place du gouvernement, à Alger, juste en dessous de la casbah. Elle t’écrivait depuis 1952, et presque tous les jours, des lettres de plus en plus difficiles à déchiffrer, et aussi de plus en plus terrorisées par la guerre civile, les attentats, les meurtres. Ta grand-mère que tu appelais Mamichka. Continuer la lecture de Orly

Découper le monde et choisir l’instant

Avant le photographe se cachait sous un drap
Seul témoin d’une image renversée dans le noir
Il découpait son cadre, il prenait une part
Puis, sortant de là-dessous, il choisissait l’instant.
Il était donc le maître de l’espace et du temps.

Ensuite j’ai eu l’œil droit collé dans le viseur
Comme un trou de serrure dans une large porte
Comme un petit tunnel entre moi et le monde
Qui m’isolait de lui en m’en rendant voyeur.
(Le viseur est une chambre qu’un seul regard pénètre !)
Je pouvais censurer, isoler et choisir
Et puis, au bon moment, enfoncer le bouton
et faire une seule photo, ou deux, mais pas beaucoup
C’est moi qui les créaient car elles étaient mon choix.

Maintenant je nous vois faire et c’est à bout de bras
tout en parlant je crois
qu’on vise et qu’on déclenche.
On en prend des milliers d’images numériques
On veut faire ce qu’on veut. On choisira après
(du moins c’est ce qu’on croit !)
On taillera dedans, on changera les couleurs et on recadrera
On veut tout et tout d’suite
Mais c’est le monde qui prend tout ceux qui croient le prendre
Il n’y a plus de choix.

Caillou 22 juillet 2007

BLUES

D’abord, dans un profond silence, les 3 chuintements glissés sur la cymbale et le claquement dur sur le rebord de la caisse claire, une fois, deux fois, trois fois, c’est Jean qui tape, tout seul.

Vient le baoum-bam-baoum, la grosse corde de basse qui donne juste l’écart, l’espace évident entre les tac tac tac et le gros son épais et mat de la caisse, et la basse c’est Pierre.

Enfin, la vibration de la locomotive qui petit à petit mais sans changer de rythme se charge de notes glissées sur les manches des 2 guitares d’Hafid et de Jacques, qui entrent dans la danse.

Puis le premier cri de Marie, les yeux fermées, le corps tendu dans le fourreau noir et sobre, le premier cri de désespoir de celle qui s’est réveillée un matin de déprime, sans boulot, sans drogue, sans espoir, dans un lit de draps sales, dans un lit déserté.

Elle souffle et geint et pleure, elle n’est plus que cette voix portée sur les lignes de son qui montent et montent encore, de plus en plus aigues, qui ne sont pas des notes mais des plaintes accordées. Elle roule dans des éboulis de tristesse ou elle se casse tandis que derrière elle…

Les voix de Claudie et de Jacques, les voix qui l’accompagnent, reprennent les derniers mots, les répètent et les scandent, en font un martèlement, comme un trottoir de plaques noires sous la pluie maintenant évidente des notes qui s’affolent de plus en plus nombreuses. Mais il y a toujours, derrière, le claquement noir et froid de la caisse métallique et des coups de cymbale.

Elle regarde alors le moment clair et net ou la vie va partir, elle a froid dans le dos de l’angoisse éternelle que donne le blues, le vrai, celui de la peur de mourir et de tout voir finir un soir au coin du ghetto des junkies. Elle laisse sur ce temps le solo de guitare, qui donne à cet instant le peu de retenue, les quelques moments juste avant, ce qu’il faudrait pouvoir encore, juste un instant saisir.

Le chœur est là, tout près, il la caresse, la tient, l’accompagne et la laisse partir vers un long monologue de voix brisée, de secret, de soupirs. Elle donne pour ce moment de pure grâce, tout ce qui reste en elle des temps anciens, des temps de soleil et de rires, où elle faisait l’amour où elle avait à ses côtés la vie.

Mais derrière, dans le fond, il y aussi le bruit du métro aérien et les sirènes des voitures de polices. Il y a l’horreur du chômage généralisé et des vieux qui cherchent leur nourriture dans les cageots de légumes pourris à la fin du marché. Elle pleure sur les paumés, elle crie pour les ratés.

Et puis toujours le roulement de la basse, les claques de la batterie, les battements des pieds sur le plancher, les cris, les mains qui battent l’air, les cordes qui se tendent, le bruit noir des amplis. Le son tourne, autonome, sans plus de précision, qu’un vautour dans le ciel. Y’a pas d’oiseaux la nuit.

Tout cela qui la tient, ne la laisse plus partir, enfermée dans une histoire à douze mesures, répétées, relancées, mais qui montent douloureusement vers une fin qui se termine mal. Elle ne domine rien, elle se laisse aller. Les deux voix derrière elle la portent jusqu’au bout.

Marie, maintenant debout sur la pointe des pieds, le doigt qui montre enfin l’ultime, le destin, et pour la dernière fois elle chante, immensément, une dernière note qu’elle tient à bout de souffle tandis que un à un les instruments se taisent et que l’on entend plus que les 3 chuintements glissés sur la cymbale et le claquement dur sur le rebord de la caisse claire.

Caillou. 2007

  • (Texte écrit en pensant beaucoup à Camille chantant La vie la nuit dans le film Les morsures de l’aube. Film de Antoine de Caunes sortie en mars 2001.)

ODALN

Petit soldat dans la prairie
(la houle verte qui ondule)
tirant, poussant dans les ornières
une vielle bagnole ridicule
tes enfants dorment à l’arrière
tu crains la nuit mais la raison
les nuages sombres s’amoncellent
tu souffles en guettant l’horizon
mais enlisée jusqu’aux ridelles
tu vas dormir ici, cette nuit.

Les enfants ne doivent pas savoir
que tout autour dans l’univers
c’est froid et dur, bientôt l’hiver
viendra recouvrir la prairie
d’un blanc très pur, blanc de la mort
que tu repousse en gueulant fort.
Tu ris, tu pleures, tu chantes, écris
certains te croient un peu poseur
mais moi je sais que tu as peur
que tu crie seule dans le noir

Alors c’est ta voix haut perchée
tes mots qui tuent et qui rejettent
tes colères jamais enterrées
qui font fuir les types en chaussettes
Tu prend beaucoup, tu donnes un peu,
mais jamais tu ne t’abandonnes
faudrait pouvoir pour te garder,
aimer et jouir sans dominer
être dur et tendre à la fois
être un homme vrai, mais libéré.

Quand tu es belle comme un camion
chargée d’explosifs et hurlante
lancée dans la plus grande pente
et dont les freins vont se lâcher
moi qui suis roi des savonnettes
vague chanteur de salle de bain
j’aimerais dès fois poser ma main
sur ta joue d’ancienne punkette
et te dire que je t’aime bien
en maîtrisant mon émotion
(pas laisser glisser les violons)

Te dire que je crois te connaître
même si je me trompe peut-être
que je t’aime comme un vieux copain
on peut manger le même pain
je peux pousser ma poésie
derrière la bagnole ridicule
(la houle verte qui ondule)
petit soldat dans la prairie.

Caillou Juin 2007

olympiezeus

Dessin: L’entrée du temple de Zeus à Olympie.

LE PORTABLE

– Où ais-je encore foutu mon portable ? À chaque fois que je me barre je passe une heure à le chercher partout ! Comme si je ne pouvais pas le ranger à chaque fois sur la commode… Mais quel con je suis!
Il tournait en rond dans le salon, cherchant du regard sur les étagères, sur la tablette, puis fit tout le tour de l’appartement, mais rien ! Le boitier était introuvable.
– Si je ne l’avais pas éteint je vais me téléphoner pour l’entendre sonner et je saurais où il est!

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