Archives de catégorie : Poésie

Métamorphose ?

À_Versailles_le_5_octobre_1789

 

Derrière les grilles du palais
L’esplanade laisse planer le doute
D’où viendront ceux que je redoute ?
Le peuple armé de toutes ses plaies.

Ceux dont je perçois les clameurs
se renforcent. Ils doivent hésiter.
La populace est rassemblée
Le lever du jour sera l’heure ?

Je les entends voilà qu’ils chantent !
Mes gardes se sont retranchés
Face à la nuit, face à l’attente
Les bouches des canons sont dressées

Dans les faubourgs ouvriers
Ils tuent, ils pillent, ils incendient
Ils s’arment, ils rêvent et certains prient.
La ville s’est mise à marcher

Ma petite fille arrive en pleurs
Courant dans tous les corridors
Et me dit qu’en fuyant l’aurore
Dans sa berline elle a eu peur

En voyant les éclairs de feu
strier la nuit noire sur les quais.
Le sang rougir le fleuve épais
des vieilles colère des banlieues

Toutes les rues de Saint-Gervais
Sont transpercées de barricades
Les sommiers forment des étais.
Les hommes s’enrôlent en brigades

Du fond d’un hangar une arpète
Revient tenant un chalumeau
« on va faire griller les pourceaux
Ouvrons les portes, c’est la fête »

« L’hiver est trop long, dans les mines
dans les champs et dans les usines
Le peuple meurt de famine
Le roi nous pille, le roi nous tue ! »

Le roi n’est plus la loi divine
Il faut dresser la guillotine
Niveler les riches à notre hauteur
Roulez tambours ! Sonne l’heure ! »

Le matin se lève en hurlant
La mitraille a des soubresauts
On se bat, j’entends les galops
Je fais entrer mon porte-pôt.

Il est tout noir. Salutations.
Je lui murmure tout doucement
Est-ce la une métamorphose ?
Non sire c’est une révolution

Caillou 19 février 2008

La rafle

La rafle

Je tiens le mur, pas loin d’ici
Nous sommes nombreux dans ce pays
J’n’ai pas d’boulot, j’n’ai pas d’argent
et je regarde passer les gens

Le matin maman m’fous dehors
une fois qu’les petits sont partis
Elle fait l’ménage, alors je sors
J’n’ai rien à faire et j’m’ennuie

Le mur est l’abri d’la pluie.
J’ai mes copains, on joue, on rit
face à l’école de mon quartier
On reste là toute la journée

C’matin à l’entrée du ghetto
venu se poster là très tôt
y’avait trois cars de CRS
Le copain m’a dit : Pour qui est-ce ?

Et sur la grille de l’école
était accrochée une banderole :
Ne touchez pas à nos enfants
Et des parents étaient devant

Il n’y a pas eu de sommation
Et sans la moindre hésitation
les flics ont chargés dans la foule
Et leur chef avait bien les boules

Il a désigné l’enseignant
qu’ils ont saisi en le tenant
mains dans le dos et par le cou
Et les enfants hurlaient partout

Ils étaient venus pour chercher
les 2 enfants d’un sans-papier
qui habite juste en bas d’chez moi
Une famille qui n’a pas de droit

Qui vient d’un pays très lointain
et où les gens crèvent de faim
tandis qu‘on envoie du pognon
à tous leurs dirigeants bidon

Les parents se sont allongés
tenant les 2 enfants serrés
Ils criaient pas en notre nom !
Ils sont sous notre protection !

Comment sortir de ce merdier
se demandaient les policiers
Maintenant qu’il y des journalistes
pour sortir il nous faut l’Ministre

Tandis qu’ils le t’nait par les cheveux
Le maître a crié : Heurtefeux !
ministre de l’immigration
tu n’as de français que le nom

Ton gouvernement de Pétain
rafle les enfants clandestins
comme il raflait pour le Vel’d’hiv
les français de religion juive

Mais moi je n’y comprenais rien
J’ai peur des flics ça c’est certain
C’est sur que c’est eux les plus fort
Alors jtiens l’mur et je fais l’mort

Caillou 9 septembre 2007

L’unique et sa propriété

Je ne suis qu’une brindille
petit bout d’espace et de temps
qui virevolte et qui sautille
bousculée par tous les vents
Et pourtant je suis unique
dans ma peau il n’y a que moi
je ne joue pas dans la clique
des nations qui font les lois
Vive le Je, vive le Moi
Je n’ai qu’une vie c’est la mienne
Je suis le chef de mes choix
de mes amours et de mes haines

Si je suis seul, toi aussi
c’est notre lot, c’est notre loi
mais on peut le vivre ainsi
sans avoir peur, sans avoir froid
Si tu sens le monde entier
d’ouvertures et de possibles
dans cet élément que tu es
chante alors cet indicible
Vive le Je, vive le Moi
Je n’ai qu’une vie c’est la mienne
Je suis le chef de mes choix

de mes amours et de mes haines

Je voudrais que l’on s’unisse
cela nous rendra plus fort
sans se perdre dans les délices
de la fusion et de la mort
Nous ne sommes pas des masses
mais des éléments conscients
contre les partis et leurs traces
nous chantons allègrement
Vive le Je, vive le Moi
Je n’ai qu’une vie c’est la mienne
Je suis le chef de mes choix

de mes amours et de mes haines

Caillou. 2007

Modeste hommage à Max Stirner, philosophe allemand 1806-1856.

C’est une chanson du nouveau CD du groupe “la Teigne”, que nous venons de terminer, et qui va bientôt être à la vente. Pour plus d’informations aller voir sur:
http://teigne.musicblog.fr

Découper le monde et choisir l’instant

Avant le photographe se cachait sous un drap
Seul témoin d’une image renversée dans le noir
Il découpait son cadre, il prenait une part
Puis, sortant de là-dessous, il choisissait l’instant.
Il était donc le maître de l’espace et du temps.

Ensuite j’ai eu l’œil droit collé dans le viseur
Comme un trou de serrure dans une large porte
Comme un petit tunnel entre moi et le monde
Qui m’isolait de lui en m’en rendant voyeur.
(Le viseur est une chambre qu’un seul regard pénètre !)
Je pouvais censurer, isoler et choisir
Et puis, au bon moment, enfoncer le bouton
et faire une seule photo, ou deux, mais pas beaucoup
C’est moi qui les créaient car elles étaient mon choix.

Maintenant je nous vois faire et c’est à bout de bras
tout en parlant je crois
qu’on vise et qu’on déclenche.
On en prend des milliers d’images numériques
On veut faire ce qu’on veut. On choisira après
(du moins c’est ce qu’on croit !)
On taillera dedans, on changera les couleurs et on recadrera
On veut tout et tout d’suite
Mais c’est le monde qui prend tout ceux qui croient le prendre
Il n’y a plus de choix.

Caillou 22 juillet 2007

ODALN

Petit soldat dans la prairie
(la houle verte qui ondule)
tirant, poussant dans les ornières
une vielle bagnole ridicule
tes enfants dorment à l’arrière
tu crains la nuit mais la raison
les nuages sombres s’amoncellent
tu souffles en guettant l’horizon
mais enlisée jusqu’aux ridelles
tu vas dormir ici, cette nuit.

Les enfants ne doivent pas savoir
que tout autour dans l’univers
c’est froid et dur, bientôt l’hiver
viendra recouvrir la prairie
d’un blanc très pur, blanc de la mort
que tu repousse en gueulant fort.
Tu ris, tu pleures, tu chantes, écris
certains te croient un peu poseur
mais moi je sais que tu as peur
que tu crie seule dans le noir

Alors c’est ta voix haut perchée
tes mots qui tuent et qui rejettent
tes colères jamais enterrées
qui font fuir les types en chaussettes
Tu prend beaucoup, tu donnes un peu,
mais jamais tu ne t’abandonnes
faudrait pouvoir pour te garder,
aimer et jouir sans dominer
être dur et tendre à la fois
être un homme vrai, mais libéré.

Quand tu es belle comme un camion
chargée d’explosifs et hurlante
lancée dans la plus grande pente
et dont les freins vont se lâcher
moi qui suis roi des savonnettes
vague chanteur de salle de bain
j’aimerais dès fois poser ma main
sur ta joue d’ancienne punkette
et te dire que je t’aime bien
en maîtrisant mon émotion
(pas laisser glisser les violons)

Te dire que je crois te connaître
même si je me trompe peut-être
que je t’aime comme un vieux copain
on peut manger le même pain
je peux pousser ma poésie
derrière la bagnole ridicule
(la houle verte qui ondule)
petit soldat dans la prairie.

Caillou Juin 2007

olympiezeus

Dessin: L’entrée du temple de Zeus à Olympie.

LA TERRE

Dunes immenses aux ciels d’étoiles
Terre d’argile au front buté
Prairies vertes comme des pommes
Jungles aux lanières entortillées.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Steppes sifflantes des chevaux
Marais que tend l’infini
Jardins ouvriers, caillebottis
Rizières en forme de tapis.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Cîmes folles enneigées
Vallées qu’on ne peut atteindre
Pâturages oubliés
Sous des ciels qu’on pourrait toucher.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Déserts crissants des cailloux
Petits sillons sous les dattiers
Avec le bruissement des palmes
Et le gargouillis du ruisseau.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Rivages calmes aux lignes pures
Sous le souffle du vent et des vagues
Survolés des grands oiseaux blancs
Immobiles dans un ciel d’azur.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Il la travaille mais d’autres en vivent
D’autres qui ne viennent jamais
Propriétaires, spéculateurs
Colonialistes et exploiteurs.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Et la terre n’a pas de frontières
Seuls les rois les ont créées
Si les états se font la guerre
C’est leur seule raison d’exister.

L’homme a les deux pieds sur terre
Il la frappe de ses souliers.

Paysans sans terre du Brésil
Du Bangladesh et puis d’ailleurs
Peuple sans terre, Tibétains
Palestiniens, Kurdes, et tant d’autres

Les hommes ont les pieds sur terre
Et ils veulent la liberté.

olivier

  • Caillou, le 20 mars 2002… en Mauritanie,
    L’olivier est lui de Mystra, en Grèce, en juin 2006.

Sur la route de Détroit

De l’aut côté d’la route y’avait les bureaux d’la compta
Sam, le chef d’atelier t’a gueulé : allez l’négro, tu y vas
par dessus l’bruit des machines et des camions sur la route de Détroit

T’as pris ta vieille casquette, tu t’es retourné vers moi
et avec un p’tit sourire tu m’as dit : à la prochaine fois
par dessus l’bruit des machines et des camions sur la route de Détroit

Le premier qui t’a fauché t’a traîné jusqu’au petit bois
Les suivants t’ont écrasé, ils ne te voyaient même pas
J’ai vu qu’il y avait ton sang tout le long de la route de Détroit

Avec un livreur qui partait vers le nord, je m’suis tiré de ce sinistre endroit
Dans sa radio un vieux blues de Mayall me parlait même un peu de toi
Y m’disait que partout où j’irais j’t’emmènerais aussi avec moi.

(Sur le blues : The Death of J.B. Lenoir, de John Mayall)
Caillou. 2005

L’Aïd

10 heures, sur une crête, des hommes alignés
tous en djellabas blanches et les mains grandes ouvertes
les paumes vers le soleil immense et déployé
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Pas un oiseau ne chante, pas un enfant ne rit.
Le temps est suspendu et ces hommes qui prient
au-dessus du hameau lui donnent un peu de vie
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Plus que quelques instants à vivre, le mouton
doit sentir les fumées des feux que l’on allume
rêver aux prairies vertes des paradis posthumes
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Les femmes, bêtes de somme, ont briqué les maisons
habillés les enfants, récuré les chaudrons
tout est prêt pour l’Aïd, maintenant, si Dieu le veut
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

C’est bien ce que j’ai vu assis dans l’autocar
qui filait vers le sud sans jamais s’arrêter
touriste sans contact, bulle d’étrangeté
dans la lumière du monde, minéral, immobile.

Caillou, le 6 mars 2001