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La lettre de La Paz

Une femme est assise sur le surplomb, là-haut.

Comment est-elle arrivée là ?
Elle a dû enjamber la balustrade d’une des fenêtres de l’appartement de l’angle puis s’agrippant à la cornière, pas à pas, elle est venue s’asseoir sur cet espace nu, au sixième étage, face au soleil. L’immeuble n’a pas de vis-à-vis. De l’autre côté de l’avenue, c’est le parc d’une vielle demeure transformé en école privée catholique. Elle doit, du haut de son perchoir, voir les grands arbres, les marronniers, les ormes et le cèdre magnifique qui les domine tous.

Mais elle ne les voit pas car elle pleure. Elle pleure tout doucement, le regard vers le bas, sur une lettre chiffonnée, qu’elle triture. Elle pleure sans crier, sans démonstration, sans grimaces.

Les pompiers sont en bas, alertés depuis quelques instants, par un voisin revenu de course, un petit vieux moustachu et bedonnant avec un sac à provision, une sorte de filet, qu’il trimballe tous les jours. Il explique, fièrement, et à qui veut l’entendre, qu’il a encore un bon regard un regard de lynx.
La police, également arrivée sur les lieux, accroche autour des réverbères, le long du trottoir, des longs rouleaux de plastique rouge et blanc, délimitant ainsi une frontière que les badauds qui se massent ne peuvent plus franchir. En quelque instant la sirène des pompiers et le blocage de la circulation ont amené sur place beaucoup de voisins et de passants.
– Que se passe t-il, c’est un attentat ?
– Non c’est une femme qui veut sauter dans le vide.
– Et qu’est ce qu’elle attend ?
Murmure le type en bermuda en haussant les épaules et qui repart en maugréant.

Une voiture noire surmontée d’un gyrophare est au milieu de l’avenue, à côté du camion rouge des pompiers. Le commissaire en sort et un de ses collègues lui tend un mégaphone.
– Madame. Nous allons monter ! Surtout ne bougez pas.
Les pompiers ont disposé au sol un matelas pneumatique géant, de couleur beige, qu’ils gonflent très rapidement avec un gros tuyau sortant du ventre du camion.
Les flics pénètrent dans l’immeuble et, après un instant très court on voit le commissaire qui se penche à la fenêtre, à deux mètres de la femme assise. Il tient toujours son mégaphone, mais il ne l’utilise pas. Trop près d’elle. Il ne veut pas non plus qu’on les entende. Il la regarde et tout doucement lui demande si elle a soif.
– Non merci.

Il prend son temps. Surtout, ne pas brusquer les choses. Si elle se raidit, juste un peu, si elle se braque, elle peut plonger et vu de là-haut le matelas des pompiers ne paraît plus si grand.
– Qu’est ce qui vous arrive ?
Elle ne répond pas, ne le regarde pas, ne regarde rien que ses mains qui torturent cette lettre maintenant toute mouillée.
– Vous avez reçu des mauvaises nouvelles ?
Mais la femme assise, en robe légère ne lui répond pas.
– C’est une lettre ?
Enfin, dans ses larmes, elle hoquette tout doucement
– Oui, c’est une lettre de mon fils. Elle vient de La Paz.
– De la Paz ? C’est où ?
– En Amérique du sud !
– Et que dit-il votre fils ? Je vais m’approcher car je ne vous entends pas bien.
Le flic commence à enjamber la balustrade.
– Ne bougez pas. Laissez-moi. Sinon je saute.
Mais elle ne regarde pas en bas, la foule, tous ces visages tournés vers elle, cet énorme rond beige, gonflé, ces hommes en rouge qui le tiennent et ne disent rien, anxieux, tendus.
– Bon, bon, d’accord, mais parlez-moi plus fort. Regardez-moi Madame. Regardez-moi. Ce serait vraiment trop bête.
– Mais vous ne comprenez rien !
dit-elle en lui jetant un regard furieux, c’est de MA FAUTE !

Elle a presque hurlé. Au pied de l’immeuble, tout le monde se tait, essayant de comprendre. Maintenant elle pleure si violemment que le commissaire est presque certain qu’elle va glisser et se tuer. Alors, tout doucement.
– Mais qu’est ce qu’il vous écrit ?
Elle hoquette :
– Qu’il ne reviendra jamais. Qu’il est là-bas pour toujours et qu’il ne regrette rien d’ici et surtout pas moi ! Il ne viendra plus jamais à la fête de notre village, jouer aux quilles et accrocher des guirlandes. Il a trouvé l’amour là-bas. Et moi j’ai tout sacrifié pour mon fils et maintenant je suis seule, il me hait, et je ne le reverrai jamais.
– Mais non madame. Il ne faut pas le croire…

Mais il se précipite et essaie désespérément d’accrocher la main qui se tend encore un peu vers lui tandis qu’elle bascule lentement dans le vide…
Là-bas, tout en bas, sur le matelas beige son corps rebondit comme une balle et le commissaire voit sa culotte blanche sous la robe légère et il voit la vie qui ne veut décidemment pas partir et qui se maintient encore un peu en l’air, le temps de quelques rebonds ridicules.

Caillou, 25 juillet 2008

Sur les 10 mots de Claire:
1-lynx 2-attentat 3-avoir soif 4-faute 5-La Paz 6-trimballer 7-non merci 8-jouer aux quilles 9-fête de village 10-accrocher des guirlandes
lire
addiction
http://entre.nuage.et.pluie.over-blog.org/article-21509453.html
et
fête au village
http://entre.nuage.et.pluie.over-blog.org/article-21449777.html

Jeux d’écriture (suite)

C’est un jeu! (Auquel vous pouvez participer… en envoyant vos propres mots ou en proposant vos textes sur les mots des autres…) Claire, qui a un superbe blog: http://entre.nuage.et.pluie.over-blog.org/, m’envoie ses mots (10) et je lui envoie les miens… Cela donne des textes ou des poèmes.

Sur les 10 derniers mots: diabolo-menthe, lit d’hôpital, travail salarié, être en retard, lacets, manger, détour, aisselles, arbres, se lever

Caillou: Le plus mauvais des tours !

bol2

Mais qu’est ce que j’air con dans ce bol ridicule.
Et dire qu’en mai dernier, suite à une petite annonce, on m’avait proposé un petit boulot salarié, peinard, un été à l’air libre ! Le cravaté derrière son bureau dans la tour de la Défense qui me disait: « Nous vous proposons un voyage en quad pour la période du Tour de France. Vous serez logé nourri blanchi et payé » Et me voilà deux mois plus tard, déguisé en jaune, nageant dans la chicorée, en compagnie d’une petite cuillère ! Et cette connerie va durer trois semaines !
Le plus stupide c’est le rétroviseur qu’ils m’ont collé tout en hauteur… Il me faut faire très attention. Car je roule entre deux haies de spectateurs qui se pressent sur les côtés et qui hurlent en attendant qu’on leur jette des cadeaux publicitaires. La moindre erreur et j’en envoie un sur un lit d’hôpital ! D’autant qu‘à force d’attendre en plein soleil, ils ne boivent pas que des diabolos menthe ! Je te les vois tous avec les cannettes à la main. Cela picole sec sur le bord de la route. Le passage des vrais coureurs c’est dans deux heures ! Dans quel état seront les amateurs de la petite reine au passage du peloton ?

 

pneu

Et merde ! Je suis en retard. Y’a Georges qui va me rattraper et on va encore se faire engueuler ! Georges roule derrière moi, déguisé en pneu. Je le connais bien car c’est le fiancé de ma sœur. C’est moi qui l’ai fait embaucher, et nous partageons la même chambre d’hôtel. Il est bien gentil, mais qu’est ce qu’il fouette. Il a des broussailles, des vrais arbres sous les aisselles et avec tous ces kilomètres à rouler à 50 à l’heure le soir il pue carrément. Et puis, le matin, il a du mal à se lever. À chaque fois il faut que le secoue. Et ensuite, toute la journée, j’ai peur qu’il ne s’endorme et me rentre dans le cul !

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Tout à l’heure on va attaquer la montagne. Il va y avoir plein de lacets et comme mon futur beau-frère mange toujours beaucoup trop à midi, j’espère aussi qu’il ne dégueulera pas. Derrière lui c’est la bagnole jaune de la L.C.L. J’imagine la tronche du coureur qu’ils ont placé dessus maculée de vomi. C’est Le Crédit Lyonnais qui sera content. Oui je sais, ils ne s’appellent plus comme ça depuis leur faillite de 1993, le plus gros scandale financier en France depuis l’affaire du canal de Panama ! La banque a été renfloués par les finances publiques ! Ensuite ils ont changé de nom, je crois que L.C.L. cela signifie « Les Corrompus Libéraux ». Et c’est eux qui nous payent ! Et bien vivement Paris et les Champs-Élysées parce que j’en ai ras le bol de leur Tour de France! Et Ras le bol c’est bien le cas de le dire !

Caillou, 19 juillet 2008.

Claire: Sevrage.

Encore une fois j’allais être en retard, comme si, quand on a un travail salarié on pouvait se le permettre. Au restau, c’est pas moi le patron, pas moyen qu’elle comprenne ça. Alors elle accélère. Elle fait le détour par la route sinueuse, elle sait bien que j’ai horreur de ça, tous ces lacets qui nous balancent un coup trop près du vide, un coup frôlant les arbres. Sur, à ce rythme là, on va finir sur un lit d’hôpital, ou pire…
-Pas si vite!
-Faut savoir ce que tu veux, t’as peur d’être à labour ou de tomber dans le fossé?
-les deux, mon coeur, les deux…
-oui, t’as peur de tout tout’ façon, alors… autant que je fasse c’que je veux!
-oui mon coeur, tu as raison.
-et m’appelle pas mon coeur!! accroche plutôt le tien ça tourne, t’as rien mangé j’espère!!

C’est plus sa rebuffade qui me fait transpirer que la peur, depuis quelques temps elle me rabroue sans cesse, je ne sais plus quoi dire, quoi faire. Je ne la reconnais plus, même son odeur a changée. Si je me fais tout petit, elle me traite de pleutre, mais dès que je l’ouvre… elle me la ferme. Après tout… elle n’a qu’à y foncer dans les arbres, mais pas nous râter alors…

On arrive, sains et saufs, enfin saufs, parce que sains… mon patron va encore me reprocher mon odeur d’aisselles, j’y peux rien, ça ne m’arrivait pas avant, mais maintenant, dès que je suis contrarié, je transpire. C’est vrai que c’est gênant pour les clients. Ils commandent, distingués, un diabolo-menthe et le serveur empeste comme un forçat.

C’est chaque matin plus dur de me lever pour affronter cette vie, ma douce qui s’est muée en furie sans que je comprenne comment.
-Si c’est le trajet votre problème, me dit le patron, j’ai une petite maison au bout du lac, les locataires l’ont laissée récemment, vous pouvez y loger, gratuitement, du moment que vous faites votre boulot correctement… et proprement.

J’ai accepté, elle n’a pas dit non. Peut être que ça l’arrange après tout, peut être qu’elle a un amant? Je la rejoints mes jours de congés, qui sont pour elle travaillés. Seul à la maison, je range le bazar, je fais le ménage qu’elle ne fait plus. Elle apprécie, me regarde autrement, peu à peu se radoucit. Puis un jour, en me reconduisant au travail très calmement elle me dit: « C’était vraiment une très bonne idée que tu as eue, de prendre un peu de large pendant qu’on essayait tous les deux d’arrêter de fumer. »

Claire, 17-18 juillet 2008

Child with a Toy Hand Grenad in Central Park.

Diane Arbus
Le garçon à la grenade factice dans Central Park.
1962

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Cette photographie a été réalisée par Diane Arbus.

Diane (Némérov) Arbus est né en 1923 dans une riche famille juive de New York. Les Russek/Némérov sont des marchands de fourrure et ils ont plusieurs magasins de mode. Ils habitent Park Avenue donc tout près de Central Park.
Elle suit des études d’art plastiques. Son peintre préféré est Georges Grosz.
Pour Diane, la réalité n’était jamais qu’un fantasme.
Contre l’avis de ses parents, elle épouse, dès 18 ans, Allan Arbus, en 1941.
Celui-ci apprend la photographie à l’armée et, à son retour de la guerre, ils ouvrent en 1946, un studio de photo de mode, dans les locaux de ses parents. Les débuts sont difficiles. Le couple Arbus fonctionne en symbiose. Ils ont deux enfants. Leurs photos sont faites à la chambre 20×25. Les Arbus ont le choix des décors, de la pose. Ce ne sont pas que des exécutants. Diane est plutôt la styliste car elle déteste l’utilisation de la chambre photo. Dans cette période, elle rencontre Bérénice Abbott, Irving Peen, Richard Avedon.
En dehors de cette activité de studio, elle prend beaucoup de photos avec un Leica 35 mm dont elle apprécie le grain. Une photo a d’autant plus de réalité qu’elle est composée comme un instantané. Sa démarche est donc proche de celle de Robert Franck et rompt avec celle (dominante à l’époque) de Stieglitz.
Dans les années 55/56 elle est de plus en plus dépressive.
En 1957 le couple se séparent, d’abord professionnellement : Allan reste photographe de mode, Diane sort de plus en plus dans la rue, la nuit (cf. Braissaï), puis, en 1958, en tant que couple.
Diane s’intéresse à l’histoire de la photographie (Niepce, Julia Cameron, Paul Strand, Lewis Hines…) et elle rencontre Lisette Model qui devient son maître, professeur de photographie. Regarder la laideur en face.
Diane s’enfonce dans la bohème new yorkaise (Beat Génération) et découvre le film Freaks (1932) de Tob Browning.
Chaque photo doit être un événement!
À partir de 1962 elle utilise exclusivement un Rolleiflex 6×6. La perspective du Leica aplatissait ses photos et accentuait leur dimension irréelle. Elle ne supportait plus le grain de ses tirages et voulait être capable de rendre la texture des choses, Lisette Model lui ayant dit et répété « Plus grande est la clarté plus profond est le mystère.
Le Rolleiflex avec son format 6×6 et ses négatifs plus nets, offrit donc à Diane la clarté qu’elle recherchait et lui permit d’atteindre le style classique et raffiné, l’impression de sobriété qui firent sa marque de fabrique. Mais elle se heurta au problème de la rigidité du cadre carré.
Elle rencontre également Marvin Israel qui va l’aider beaucoup pour trouver des débouchés à ses images, d’abord dans Bazaar puis dans Esquire.
Elle mène une vie dissolue, drogue, baise, provocations… flirter avec le danger.
Première exposition en 1965 au Muséum Of Modern Art.
Elle donne quelques cours de photographie dans une école d’arts graphiques.
Elle attrape une hépatite en 1966.
En 1967 le MOMA lui offre sa première grande exposition.
Il suffit d’avoir un jour regardé dormir une personne proche pour comprendre qu’on peut déceler sur son visage une étrangeté inattendue. On ne regarde jamais personne impunément. Une fois qu’on a regardé sans détourner les yeux les photos d’Arbus, on s’y trouve nécessairement impliqué. Quand on a croisé le regard d’un nain ou d’un travesti, une transaction s’opère entre le photographe et le spectateur. Dans une sorte de processus d’apaisement nous sommes comme lavé des pulsions criminelles grâce auxquelles nous avons oser regarder. La photo nous absout, dédouane notre regard. Au fond la grande humanité du travail de Diane Arbus consiste à sanctifier une intimité qu’elle avait apparemment commencé par violer. (Marion Magid dans Arts Magazine)
Beaucoup de controverses sur son travail.
Elle sombre de plus en plus dans la dépression puis elle se suicide en 1971, à 48 ans.

Beaucoup de citations extraites de sa biographie
par Patricia Bosworth, paru au Seuil en janvier 2007


Lire « Child with a Toy Hand Grenad in Central Park » sur
http://lucileee.blog.lemonde.fr/2006/11/24/paris-photo-5-diane-arbus-a-la-galerie-robert-miller/


Essai d’analyse

 

enfant-jouant-new-york

masses

lignes-sombres

pdc

focalisation

composition

Sur un fond de formes arrondies, lumineuses et floues, dont la perspective est indiquée par le chemin à droite…
Deux formes verticales sombres coupent le format carré presque par le milieu.
Les ombres de l’arbre désignent dramatiquement le sujet principal: le visage déformé du garçon.
Puis on découvre les deux autres points forts de l’image et le triangle qu’ils forment en donne le sens.
(En général la composition d’un format carré est explosive ou implosive à partir du centre)

diane-arbus-planche-contact
En regardant la planche contact on réalise que cette photographie n’est pas un instantané mais le résultat d’une traque,
ce qui explique peut-être le visage excédé du garçon.

Enfin, je précise qu’analyser une image, essayer d’en décortiquer la composition, ce n’est jamais la résoudre ou lui enlever le plaisir de la regarder. C’est, par contre, en admirer encore plus le talent de l’auteur.

Caillou. 12 juillet 2008

Lella

Au départ il y a une photographie célèbre, mondialement connue : Lella.

On l’a vue en poster, en carte postale, en calendrier… c’est une jeune femme en chemisier blanc, qui regarde vers la droite avec un air résolu tandis que sur un fond très sombre, une autre femme regarde vers la gauche. Le contraste entre ce premier plan très lumineux et ce fond assombri est dramatique. Il est renforcé par ces deux regards de défi et d’orgueil alors que le chemisier transparent laisse voir le soutien-gorge noir témoin de la tendresse féminine. C’est un jour d’été sur le pont d’un bateau, il y a très longtemps.

Si cette photographie a fait le tour du monde, c’est peut-être qu’elle nous pose le problème du mystère de la femme à la fois tendre, lumineuse, transparente et dure, sombre et volontaire.

Mais les photographies uniques nous sont parfois dévoilées comme c’est le cas aujourd’hui pour Lella dans leur continuité. Car il y eut un avant et un après cette prise de vue et Lella n’est pas un modèle passager ou une passante entrevue mais le visage du premier amour du photographe.

L’exposition et le livre qui lui sont consacrés nous font découvrir 50 ans plus tard ce qui fut pour Édouard Boubat et Lella F. une formidable histoire d’amour.
« Aujourd’hui il y a une lumière particulière. Maintenant, elle est frissonnante.…/… nous ne vivons pas une histoire ; nous sommes dans notre propre vie, innocents. Nous ne nous regardons pas vivre. »
Une quarantaine d’images de 1946 à 1950 entre Paris et la Bretagne nous parlent du temps qui est passé, qui ne reviendra plus, de la beauté de l’amour et de la fierté de la jeunesse. Ces images semblent intemporelles. Elles ne nous parlent pas par le décor, comme Doisneau par exemple, du Paris des années cinquante. Superbement tirées, en noir et blanc, elles ne nous parlent que du photographe amoureux, à cette époque encore inconnu, et qui va devenir un des artistes majeurs de la photographie française.
Mais il reste que la confrontation entre cette image unique et les images qui l’entourent demeure pour nous spectateurs une énigme. On fait dire à une image tout ce que le hors-cadre cache. Aussi, la découverte de l’histoire qui l’entourait renforce à la fois sa beauté mais en repousse d’autant le mystère. Pourquoi Lella est-elle devenue un chef-d’œuvre ?

Caillou en voyage

Texte paru dans le Coquelicot N°20 de février 1999

Édouard Boubat : Lella
Paris audiovisuel/Maison européenne de la photographie. 85 F.
J’en profite pour signaler que Boubat a écrit, il ya quelques années, un superbe livre d’initiation à la photographie dans la collection Le livre de poche.

Se faire tirer le portait

– De plus en plus difficile de trouver un photographe compétent pour se faire tirer le portait dans cette ville !
L’homme ronchonnait derrière son volant.
– J’ai juste besoin de photos d’identité et il n’y a plus que des photomatons dans les halls de supermarché ! Ils ont tous disparu. Vous n’en connaissez pas un, vous ?
Je ne disais rien. Que dire ? Que j’avais vu fermer les uns après les autres tous les photographes de quartier pendant toutes ces années où ce gentil conducteur, qui m’avait pris en stop à la sortie de la ville, ne s’en était pas rendu compte, n’ayant plus besoin de leurs services…
– Et vous ? Vous ne vous faites pas prendre en photo ?
Hélas non, et depuis très longtemps, mais je ne voyais pas comment lui en expliquer la raison.
– Je n’en ai pas eu besoin.
– Et bien vous en avez de la chance !
Puis il continua à parler pour ne rien dire tandis que je regardais la route devant nous.

La dernière fois que je m’étais retrouvé devant l’objectif d’un appareil photo ce fut un désastre. C’était au cours d’une fête champêtre et j‘étais assis sur une chaise de jardin, en ferraille, blanche, sous un cerisier. Tout autour de nous nos amis buvaient et discutaient. Un copain essayait son tout nouveau boîtier numérique et il prit beaucoup d’images. Le soir venu il me demanda qui était la personne derrière moi, qui avait les mains posées sur mes épaules. Il ne la connaissait pas. L’image, toute petite sur l’écran de son appareil, j’eus du mal à la comprendre ! Puis je reconnus, dans un léger flou de bougé, un ami très cher perdu depuis quelques jours… Que pouvais-je lui répondre sinon que je voyais souvent des visages dans les miroirs des pièces où je me savais seul ? Que pouvais-lui dire qui ne lui aurait pas immédiatement fait penser que j’étais un fou délirant ?
– Non je ne sais pas qui c’est.
– Mais c’est bizarre ! Regarde comme il pose ses mains ! C’est quand même quelqu’un que tu connais, non ?
– Nous étions très nombreux. Toi-même tu ne connaissais pas tout le monde !
– Oui, c’est vrai mais quand même…
Puis il se perdit dans la contemplation des autres photographies qu’il avait prise.
Dans ces miroirs où ma mère se tient très souvent, bien droite et souriante, tandis que j’essaye une nouvelle chemise, dans ces glaces où, dès fois, ils sont des dizaines à me regarder, venait maintenant de s’ajouter un autre ami aimé et disparu.

Je sortis de ma rêverie. L’automobiliste me parlait et je ne l’avais pas entendu.
– Excusez-moi, vous disiez ?
– Vous partez où comme ça ?

Il ne parlait certainement pas de la destination de mes rêveries intérieures mais, plus prosaïquement du but de mon voyage.
– Je vais passer une semaine au bord de la mer, vers Narbonne. Je reviendrais vers le 30.
– Et bien je vais vous laisser au prochain carrefour car je dois prendre l’autoroute… Alors bonnes vacances !
– Merci monsieur. J’espère que vous trouverez un photographe. Au revoir.

Caillou, 20 juin 2008

À ce moment précis où tu t’en vas déjà

Oh Toni quand on voit
La route derrière toi
on se dit qu’elle est courte
et d’autant que parfois
on l’a faite avec toi.

Qu’est-ce qu’on va faire maintenant
tu n’es plus dans les rangs
bras dessus, bras dessous
comme quand, du même pas
nous refaisions le monde ?

Il s’est bien fait sans nous
et n’est pas beau à voir
mais tu pars et nous laisses
chercher dans nos mémoires
les années sont passées.

Devant la route est longue
si c’est chacun pour soi
et comme ce sera sans toi
j’ai bien peur qu’elle ne monte
ou qu’elle ne disparaisse.

À ce moment précis
où tu t’en vas déjà
c’est une partie de moi
qui s’en va avec toi
une part de jeunesse
une part d’utopie
de confiance en l’avenir
de refus, de colères,
de mépris, de fierté.
Nous étions des milliers.

À ce moment précis
où tu t’en vas déjà
je te serre dans mes bras
Salut mon camarade
(Oh ! pardon, compagnon !)
« Continuons le combat! »

Caillou 23 juin 2008

Pronostics … réalistes !

Très pris dans ma tête et dans mon temps par l’agonie d’un « vieux copain », je n’ai pas le cœur à écrire ici de belles histoires…Par contre j’en reçois! En voici une (merci à Marie-Gé!) et excusez-moi si vous l’avez déjà lu ailleurs…
Alors à bientôt!

Caillou.

La journée d’Enzo
3 septembre 2012

Enzo est assis à sa place, parmi ses 32 camarades de CP. Il porte la vieille blouse de son frère, éculée, tâchée, un peu grande. Celle de Jean-Emilien, au premier rang, est toute neuve et porte le logo d’une grande marque.
La maîtresse parle, mais il a du mal à l’entendre, du fond de la classe. Trop de bruit. La maîtresse est une remplaçante, une dame en retraite qui vient remplacer leur maîtresse en congés maternité. Il ne se souvient pas plus de son nom qu’elle ne se souvient du sien. Sa maîtresse a fait la rentrée, il y a trois semaines, puis est partie en congés. La vieille dame de 65 ans est là depuis lundi, elle est un peu sourde, mais gentille. Plus gentille que l’intérimaire avant elle. Il sentait le vin et criait fort. Puis il expliquait mal.
Du coup Enzo ne comprend pas bien pourquoi B et A font BA, mais pas dans BANC ni dans BAIE ; ni la soustraction ; ni pourquoi il doit connaître toutes les dates des croisades. On l’a mis sur la liste des élèves en difficulté, car il a raté sa première évaluation. Il devra rester de 12 à 12h30 pour le soutien. Sans doute aussi aux vacances.
Hier, il avait du mal à écouter la vieille dame, pendant le soutien ; son ventre gargouillait. Quand il est arrivé à la cantine, il ne restait que du pain. Il l’a mangé sous le préau avec ceux dont les parents ne peuvent déjà plus payer la cantine.
Il a commencé l’école l’an dernier, à 5 ans. L’école maternelle n’est plus obligatoire, c’est un choix des mairies, et la mairie de son village ne pouvait pas payer pour maintenir une école.
Son cousin Brice a eu plus de chance : il est allé à l’école à 3 ans, mais ses parents ont dû payer. La sieste, l’accueil et le goûter n’existent plus, place à la morale, à l’alphabet ; il faut vouvoyer les adultes, obéir, ne pas parler et apprendre à se débrouiller seul pour les habits et les toilettes : pas assez de personnel.
Les enseignants, mal payés par la commune, gèrent leurs quarante élèves chacun comme une garderie.
L’école privée en face a une vraie maternelle, mais seuls les riches y ont accès.
Mais Brice a moins de mal, malgré tout, à comprendre les règles de l’école et ses leçons de CP. En plus, le soir il va à des cours particuliers, car ses parents ne peuvent pas l’aider pour les devoirs, ils font trop d’heures supplémentaires.
Mais Enzo a toujours plus de chance que son voisin Kévin : il doit se lever plus tôt et livrer les journaux avant de venir à l’école, pour aider son grand-père, qui n’a presque pas de retraite.
Enzo est au fond de la classe. La chaise à côté de lui est vide. Son ami Saïd est parti, son père a été expulsé le lendemain du jour où le directeur (un gendarme en retraite choisi par le maire) a rentré le dossier de Saïd dans Base Élèves. Il ne reviendra jamais. Enzo n’oubliera jamais son ami pleurant dans le fourgon de la police, à côté de son père menotté. Il parait qu’il n’avait pas de papiers…
Enzo fait très attention : chaque matin il met du papier dans son cartable, dans le sac de sa maman et dans celui de son frère.
Du fond, Enzo ne voit pas bien le tableau. Il est trop loin, et il a besoin de lunettes. Mais les lunettes ne sont plus remboursées. Il faut payer l’assurance, et ses parents n’ont pas les moyens.
L’an prochain Enzo devra prendre le bus pour aller à l’école. Il devra se lever plus tôt. Et rentrer plus tard. L’EPEP (établissements publics d’enseignement primaire*)* qui gère son école a décidé de regrouper les CP dans le village voisin, pour économiser un poste d’enseignant. Ils seront 36 par classe. Que des garçons. Les filles sont dans une autre école.
Enzo se demande si après le CM2 il ira au collège ou, comme son grand frère Théo, en centre de préformation professionnelle. Peut-être que les cours en atelier seront moins ennuyeux que toutes ces leçons à apprendre par coeur. Mais sa mère dit qu’il n’y a plus de travail, que ça ne sert à rien.
Le père d’Enzo a dû aller travailler en Roumanie, l’usine est partie là-bas. Il ne l’a pas vu depuis des mois. La délocalisation, ça s’appelle, à cause de la mondialisation. Pourtant la vieille dame disait hier que c’est très bien, la mondialisation, que ça apportait la richesse. Ils sont fous, ces Roumains !
Il lui tarde la récréation. Il retrouvera Cathy, la jeune soeur de maman. Elle fait sa deuxième année de stage pour être maîtresse dans l’école, dans la classe de monsieur Luc. Il remplace monsieur Jacques, qui a été renvoyé, car il avait fait grève. On dit que c’était un syndicaliste qui faisait de la pédagogie. Il y avait aussi madame Paulette en CP ; elle apprenait à lire aux enfants avec des vrais livres ; un inspecteur venait régulièrement la gronder ; elle a fini par démissionner.
Cathy a les yeux cernés : le soir elle est serveuse dans un café, car sa formation n’est pas payée. Elle dit : « A 28 ans et un bac +5, servir des bières le soir et faire la classe la journée, c’est épuisant. » Surtout qu’elle dort dans le salon chez Enzo, elle n’a pas assez d’argent pour se payer un loyer. Après la récréation, il y a le cours de religion et de morale, avec l’abbé Georges. Il faut lui réciter la vie de Jeanne d’Arc et les dix commandements par coeur. C’est lui qui organise le voyage scolaire à Lourdes, à Pâques. Sauf pour ceux qui seront convoqués pour le soutien.
Enzo se demande pourquoi il est là.
Pourquoi Saïd a dû partir.
Pourquoi Cathy et sa mère pleurent la nuit.
Pourquoi et comment les usines s’en vont en emportant le travail.
Pourquoi ils sont si nombreux en classe.
Pourquoi il n’a pas une maîtresse toute l’année.
Pourquoi il devra prendre le bus.
Pourquoi il passe ses vacances à faire des stages. Pourquoi on le punit ainsi. Pourquoi il n’a pas de lunettes.
Pourquoi il a faim.

Projection basée sur les textes actuels, les expérimentations en cours et les annonces du gouvernement. Est-ce l’école que nous voulons ? Le gouvernement a-t-il reçu un mandat populaire pour cela ? Qu’attendons nous pour réagir ?

Lettre à un militant algérien

 

Après cette semaine passée, à Toulouse, en compagnie des femmes marocaines et algériennes de la « Caravane pour l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Après cette semaine d’émotions, et de colères, de fraternité et de découvertes, tandis qu’elles repartent, j’avais envie de relire Albert Camus.
Bien m’en a pris. Je vous en fait part…

Caillou, 30 mai 2008

Ce texte date d’octobre 1955 donc juste après le massacre de Philippeville, du 20 août précédent. Dans cette lettre Albert Camus écrit à Aziz Kessous, un socialiste algérien, ex-membre du parti du Manifeste, qui s’était proposé de lancer après que la rébellion eut éclaté, un journal « Communauté Algérienne », qui, « dépassant le double fanatisme dont souffre aujourd’hui l’Algérie, puisse aider à la constitution d’une communauté vraiment libre ». Cette lettre a paru dans le premier numéro du journal, le 1er octobre 1955.

Mon cher Kessous

J’ai trouvé vos lettres à mon retour de vacances et je crains que mon approbation ne vienne bien tard. J’ai pourtant besoin de vous la dire.
Car vous me croirez sans peine si je vous dis que j’ai mal à l’Algérie, en ce moment, comme d’autres ont mal aux poumons. Et depuis le 20 août, je suis prêt à désespérer.
Supposer que les Français d’Algérie puissent maintenant oublier les massacres de Philippeville et d’ailleurs, c’est ne rien connaître au cœur humain. Supposer, inversement, que la répression une fois déclenchée puisse susciter dans les masses arabes la confiance et l’estime envers la France est un autre genre de folie. Nous voilà donc dressés les uns contre les autres, voués à nous faire le plus de mal possible, inexpiablement. Cette idée m’est insupportable et empoisonne aujourd’hui toutes mes journées.
Et pourtant, vous et moi, qui nous ressemblons tant, de même culture, partageant le même espoir, fraternels depuis si longtemps, unis dans l’amour que nous portons à notre terre, nous savons que nous ne sommes pas des ennemis et que nous pourrions vivre heureusement, ensemble, sur cette terre qui est la nôtre. Car elle est la nôtre et je ne peux pas plus l’imaginer sans vous et vos frères que sans doute vous ne pouvez la séparer de moi et de ceux qui me ressemblent.
Vous l’avez très bien dit, mieux que je ne le dirai: nous sommes condamnés à vivre ensemble. Les Français d’Algérie, dont je vous remercie d’avoir rappelé qu’ils n’étaient pas tous des possédants assoiffés de sang, sont en Algérie depuis plus d’un siècle et ils sont plus d’un million. Cela seul suffit à différencier le problème algérien des problèmes posés en Tunisie et au Maroc où l’établissement français est relativement faible et récent. Le « fait français » ne peut être éliminé en Algérie et le rêve d’une disparition subite de la France est puéril. Mais, inversement, il n’y a pas de raisons non plus pour que neuf millions d’Arabes vivent sur leur terre comme des hommes oubliés: le rêve d’une masse arabe annulée à jamais, silencieuse et asservie, est lui aussi délirant. Les Français sont attachés sur la terre d’Algérie par des racines trop anciennes et trop vivaces pour qu’on puisse penser les en arracher. Mais cela ne leur donne pas le droit, selon moi, de couper les racines de la culture et de la vie arabes. J’ai défendu toute ma vie (et vous le savez, cela m’a coûté d’être exilé de mon pays) ‘idée qu’il fallait chez nous de vastes et profondes réformes. On ne l’a pas cru, on a poursuivi le rêve de la puissance qui se croit toujours éternelle et oublie que l’histoire marche toujours et ces réformes, il les faut plus que jamais. Celles que vous indiquez représentent en tout cas un premier effort, indispensable, à entreprendre sans tarder, à la seule condition qu’on ne le rende pas impossible en le noyant d’avance dans le sang français ou dans le sang arabe.
Mais dire cela aujourd’hui, je le sais par expérience, c’est se porter dans le «no man’s land » entre deux armées, et prêcher au milieu des balles que la guerre est une duperie et que le sang, s’il fait parfois avancer l’histoire, la fait avancer vers plus de barbarie et de misère encore. Celui qui, de tout son cœur, de toute sa peine, ose crier ceci, que peut-il espérer entendre en réponse, sinon les rires et le fracas multiplié des armes ? Et pourtant, il faut le crier et puisque vous vous proposez de le faire, je ne puis vous laisser entreprendre cette action folle et nécessaire sans vous dire ma solidarité fraternelle.
Oui, l’essentiel est de maintenir, si restreinte soit-elle, la place du dialogue encore possible; I’essentiel est de ramener si légère, si fugitive qu’elle soit, la détente. Et pour cela, il faut que chacun de nous prêche l’apaisement aux siens. Les massacres inexcusables des civils français entraînent d’autres destructions aussi stupides opérées sur la personne et les biens du peuple arabe. On dirait que des fous, enflammés de fureur, conscients du mariage forcé dont ils ne peuvent se délivrer, ont décidé d’en faire une étreinte mortelle. Forcés de vivre ensemble, et incapables de s’unir, ils décident au moins de mourir ensemble. Et chacun, par ses excès renforçant les raisons, et les excès, de l’autre la tempête de mort qui s’est abattue sur notre pays ne peut que croître jusqu’à la destruction générale. Dans cette surenchère incessante, I’incendie gagne, et demain l’Algérie sera une terre de ruines et de morts que nulle force, nulle puissance au monde, ne sera capable de relever dans ce siècle.
Il faut donc arrêter cette surenchère et là se trouve notre devoir, à nous, Arabes et Français, qui refusons de nous lâcher les mains. Nous Français, devons lutter pour empêcher que la répression ose être collective et pour que la loi française garde un sens généreux et clair dans notre pays; pour rappeler aux nôtres leurs erreurs et les obligations d’une grande nation qui ne peut, sans déchoir, répondre au massacre xénophobe par un déchaînement égal; pour ac-
tiver enfin la venue des réformes nécessaires et décisives qui relanceront la communauté franco-arabe d’Algérie sur la route de l’avenir.
Vous, Arabes, devez de votre côté montrer inlassablement aux vôtres que le terrorisme, lorsqu’il tue des populations civiles, outre qu’il fait douter à juste titre de la maturité politique d’hommes capables de tels actes, ne fait de surcroît que renforcer les éléments anti-arabes, valoriser leurs arguments, et fermer la bouche à l’opinion libérale française qui pourrait trouver et faire adopter la solution de conciliation.
On me répondra, comme on vous répondra, que la conciliation est dépassée, qu’il s’agit de faire la guerre et de la gagner. Mais vous et moi savons que cette guerre sera sans vainqueurs réels et qu’après comme avant elle, il nous faudra encore, et toujours, vivre ensemble, sur la même terre. Nous savons que nos destins sont à ce point liés que toute action de l’un entraîne la riposte de l’autre, le crime entraînant le crime, la folie répondant à la démence, et qu’enfin, et surtout, I’abstention de l’un provoque la stérilité de l’autre. Si vous autres, démocrates arabes, faillissez à votre tâche d’apaisement, notre action à nous, Français libéraux, sera d’avance vouée à l’échec. Et si nous faiblissons devant notre devoir, vos pauvres paroles seront emportées dans le vent et les flam
mes d’une guerre impitoyable.
Voilà pourquoi ce que vous voulez faire me trouve si solidaire, mon cher Kessous. Je vous souhaite, je nous souhaite bonne chance. Je veux croire, à toute force, que la paix se lèvera sur nos champs, sur nos montagnes, nos rivages et qu’alors enfin, Arabes et Français, réconciliés dans la liberté et la justice, feront l’effort d’oublier le sang qui les sépare aujourd’hui. Ce jour-là, nous qui sommes ensemble exilés par la haine et le désespoir, retrouverons ensemble
une patrie.

Albert Camus

Etre et avoir été

C’est une pince à épiler
sur un muret dans un jardin
elle ne sert plus que pour le chien.

Elle a été jeune et brillante
mais sous la pluie elle s’est rouillée
c’est juste un objet oublié.

Chaque chose à une vie, une mort
un temps avant d’être un souvenir
qui s’évanouit dans un soupir.

Caillou, 4 mai 2008.