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Spectre à Cette

Henry Peach Robinson – She never Told her Love

Vendredi 23 février 1872.
Hier, j’ai emménagé dans la maison du quartier haut.
Nouvelle vie, nouvelle ville… Pour fêter ce déménagement et ce qu’il représente pour moi, je me suis offert un nouveau carnet. Le dernier était rempli jusqu’à la gorge, et de mauvais souvenirs. Échecs professionnels, échecs financiers, je ne veux plus y revenir. En m’offrant ce poste de gestionnaire à la Société Civile et Coloniale, mon oncle me permet de repartir du bon pied, et dans une maison, de location, très agréable. Adossée à la colline, elle domine une grande partie de la ville et, du salon du premier étage, où je suis, ce matin, en train d’écrire, je peux voir la mer, le port et les grands bateaux qui font la fortune de la ville et, plus modestement, mon emploi.
La gouvernante, Madame N, une femme de pêcheur d’origine italienne, m’a aidé à investir cette grande baraque. Les meubles et les tableaux laissés par le propriétaire ne sont pas de mon goût, provinciaux, sombres. Mais je n’ai pour l’instant pas les moyens de me meubler. Les armoires en tout cas me seront bien utiles. Oh je n’avais pas grand-chose à y ranger, n’ayant emporté de Paris que ma vieille malle et une valise, mes affaires ont vite trouvé leurs places. Je commence ce jour avec gourmandise.

Dimanche 25 février 1872
Il fait très beau ce matin et la vue sur la mer est splendide. C’est une belle journée de printemps pure et froide, au ciel immense. Je suis monté sur la terrasse. Cette maison, décidément, me plaît beaucoup. Hier j’en ai fait le tour du propriétaire, comme dit Mme N., et j’en ai découvert tous les charmes et les quelques inconvénients. Il n’y a certes pas de jardin et la ruelle en contrebas est très bruyante, les jours de semaine, mais elle dispose de grandes pièces lambrissées, hautes, et pourvues de baies lumineuses. Ma chambre, au deuxième étage, est spacieuse. Je vais ce matin rédiger mon courrier aux amis parisiens, du haut de cette sympathique petite ville maritime et commerçante, tournée vers le grand large de la Méditerranée.

Vendredi 1er mars 1872
Quelle bonne journée. Mon emploi, dans les bureaux de la SCC, à quelques rues d’ici, dans la ville basse, n’est ni monotone ni fatiguant. Pour l’instant je fais connaissance de mes charges et de mes équipiers. J’ai, sous mes ordres une équipe de gens compétents, qui pourrait éventuellement me juger rapidement, me rendre le travail plus difficile, mais je ne m’en fais pas car ma réputation de cadre parisien m’ayant précédé, tout le monde ici me donne plus de pouvoir que je n’en possède en réalité.

Mercredi 6 mars 1872
Cette nuit, j’ai été réveillé par l’orage qui a éclaté sur la mer. D’immenses nuages noirs s’étaient accumulés hier, en fin de journée, et c’est en plein sommeil qu’un coup de tonnerre brutal m’a sorti du sommeil. Je me suis résolu à me lever pour voir le spectacle que m’offrait la vue sur la ville et je suis resté là, longuement, à rêver devant les éléments déchaînés de la nature. La ville et le port étaient plongés dans la nuit. Ici, l’éclairage urbain n’a rien à voir avec la capitale. Il n’y a que quelques lampadaires à gaz, pour éclairer le travail des  marins pêcheurs, vers la criée et sur le quai. Mais de brusques éclairs m’éblouissaient, détachant pendant quelques instants des ombres formidables sur la ville et dans la chambre puis tout retombait dans une obscurité par contraste d’autant plus dense. Je pensais qu’il me fallait aller me recoucher. J’étais dans une profonde rêverie, une somnolence. Et c’est juste dans le mouvement que je fis pour me retourner, que je vis une forme blanche traverser le cadre de la fenêtre. Comme un drap qui tombait de la terrasse, sans aucun bruit, à la fois rapidement mais aussi en voletant… Une forme informe, évanescente, rapide et silencieuse.
Très surpris, je me précipitais à la fenêtre, mais je ne vis rien dans le noir de la ruelle en dessous et n’avais aucune envie d’ouvrir les carreaux, vue la violence de la tourmente au-dehors. Recouché dans mon lit, je me dis que je devrais réprimander la gouvernante d’avoir laissé ses draps sécher, toute la nuit, sur la terrasse, en plein orage. Mais ce matin, Mme N. me soutient, tout en me servant mon café, qu’elle n’avait pas de linge sur la terrasse, qu’elle l’étend dans la courette, sur le côté de la maison et que jamais elle ne ferait une telle bêtise. Curieux ! Je viens de terminer mon petit-déjeuner lorsque je remplis mon journal. Une nouvelle journée m’attend.

Jeudi 7 mars 1872
J’ai été voir, en fin d’après-midi, sur la terrasse. Il n’y a effectivement aucun étendage et pas de fil pour y mettre du linge à sécher. Peut-être que ce drap aperçu venait d’une autre maison ? Il n’y a d’ailleurs rien sur cette terrasse, rien d’autre que la cahute de l’escalier et sa porte grinçante, en fer. Pas de parapet non plus. J’ai toujours eu un peu le vertige. Je me suis quand même approché pour voir la ruelle en contrebas. Elle est à cet instant de la fin du jour remplie de monde, de bruit, de cris. Mais cette peur du vide m’a fait reculer très vite et revenir vers l’escalier. Je me suis adossé. Après la nuit d’orage d’hier le ciel est maintenant lavé et la ville, qui tout entière tournée vers la mer, plonge petit à petit dans l’obscurité. Si je dois m’installer ici définitivement, j’aimerais beaucoup faire quelques travaux dans cette maison et en particulier que l’on installe ici une rambarde, pour pouvoir y admirer le paysage sans en avoir peur. Je vais le faire. Et avant cet été.

Mercredi 13 mars
Ce matin, je suis retourné sur la terrasse. Que c’est beau le jour qui se lève sur la mer avec ce ciel tourmenté par les nuages qui filaient droit vers le Sud. J’avais apporté ma tasse de café. Debout, j’ai fait le tour de l’horizon. En quelques minutes, tout le paysage s’était transformé. Très haut dans le ciel il y avait les traces, des nuages, et en symétrie, les vagues, vues de loin comme des parallèles  blanches, qui s’avançaient doucement vers la ville à droite de la digue fermée par le phare. Elles renvoyaient toutes la lueur du soleil qui apparaissait. J’avais encore un peu de temps avant de partir travailler. Mon petit carnet noir était dans ma poche. J’ai essayé de décrire ce que je voyais. C’était comme un lever de rideau, avec les flaques d’eau luisantes sur les quais déserts. Pas un seul passant sur le port. Et voilà ! Le soleil apparaissait. Toute cette mise en scène était juste pour moi qui étais là, en train de prendre mon café.
Mais il me fallait redescendre.

Mardi 19 mars
J’ai eu peur cette nuit. Je me suis réveillé et les rideaux n’étaient pas tirés. De l’autre côté des vitres, le spectre blanc était de retour. Il ne tombait pas, il bougeait lentement dans l’air comme suspendu, voletant doucement. J’ai eu peur. Ce n’était pas un drap volant dans le vent. Mais une forme qui semblait me regarder du dehors. J’aurais dû me lever et en avoir le cœur net, mais je n’en ai pas eu le courage. J’ai juste fermé les yeux et quelques instants plus tard lorsque j’ai de nouveau regardé la fenêtre, il n’y avait plus rien. Je me suis levé et j’ai tiré brutalement les lourds rideaux de percale. Il ne m’a pas été possible de me rendormir et j’ai lu, jusqu’à l’aube mon livre de chevet, un recueil de nouvelles de Chateaureynaud.
Ce matin, ma gouvernante m’a annoncé une bonne journée en tirant les rideaux. Elle m’a dit « bonjour Monsieur Rueff, il n’y a pas eu de vent cette nuit. La pêche sera bonne ! ». Le jour a envahi ma chambre. …
Ce soir, je remonterais là-haut. Je veux en avoir le cœur net !

La nuit s’annonce calme. Tout à l’heure, je viendrai ici m’étendre sur une chaise longue et je verrai bien ce qui ici se trame et vient la nuit voleter derrière mes fenêtres.

Vendredi 22 mars
Cela fait deux nuits que je dors sur la terrasse dans cette chaise longue, un transatlantique de toile bleue. Et je n’ai rien vu ! J’essayerais encore ce soir et puis, je redescendrais dormir dans mon lit. Je n’ai aucun ami dans cette ville, aucune relation. Peut-être devrais-je essayer de sortir un peu, aller au restaurant, au spectacle… mais l’envie ne me vient pas. Être étranger, dans une si petite ville, cela veut dire supporter les regards des autres.

Mercredi 27 mars
Elle est venue ! Je m’étais assoupi et l’heure se mit à sonner au clocher de la cathédrale. Je l’ai vue. Le martèlement lent des heures, toujours sur la même note grave, dominait notre rencontre. C’est une très jeune femme, presque une enfant. Elle est enveloppée d’un voile immense et blanc qui luit sous la lune qui, entre temps, s’était levé. Ses mains jointes sur sa poitrine, son très beau visage allongé et pâle, avec la longue, longue, chevelure brune qui l’encadre, elle me regardait, là, debout, juste au rebord de la terrasse.
Je n’ai rien dit, bien sûr, et je n’ai pas bougé. Comme j’étais dans l’ombre de la cabine de l’escalier, elle n’a  peut-être pas vu que je m’étais réveillé, que je la regardais. Au bout, tout au bout, de ce croisement de nos regards, un temps qui me parut très long mais aussi trop court, elle s’est retournée et s’est agenouillée, scrutant l’ombre dans la ruelle en dessous.
Je l’ai vu tendre les bras, implorante, vers la ville et doucement, sans aucun bruit, elle a basculé dans le vide. Le temps que je me lève et me précipite au bord de la terrasse, elle avait disparu. J’ai fouillé chaque recoin de la rue. Il n’y avait plus personne.
Je suis retourné dans ma chambre et j’ai longtemps rêvé, les yeux ouverts dans la fraîcheur de la nuit. Je venais de voir une Loreleï, princesse du Rhin, chantant silencieusement les plaintes des noyés, comme sur cette gravure ancienne, romantique et invraisemblable que j’avais oubliée à Paris ! Et pourtant la jeune femme implorante était vivante et là, sur cette terrasse, je la revoyais encore et encore. L’heure a de nouveau sonné au clocher du quartier haut. Il était minuit.
Bien sûr minuit ! Comme dans les contes d’Hoffman !

Jeudi 28 mars
Je suis remonté là-haut mais ne l’ai pas revue.
J’ai interrogé Madame N. Elle a eu l’air étonné. « Je n’ai pris cet emploi que depuis la disparition de  l’ancien propriétaire. Il y a deux ans. Vous êtes mon deuxième client et je ne comprends rien à cette histoire de jeune femme ! Vous avez dû faire un rêve ! À force de monter la nuit sur cette terrasse. »
Et mon prédécesseur ? Pourquoi est-il parti ?
« Il travaillait chez un notaire du quartier haut, mais il a obtenu un poste à la préfecture, à Montpellier, et il a déménagé cet hiver. »

Vendredi 29 mars 1872
Je ne suis pas allé travailler ce matin. Je me sentais si fatigué, si languissant. Mon oncle a envoyé un commis prendre de mes nouvelles. J’ai promis que je retournerais au bureau lundi prochain. Mais ce soir, j’irai de nouveau sur la terrasse revoir la jeune femme silencieuse et furtive qui se penche et se jette, sans un mot, sans un cri.

Jeudi 4 avril 1872
Cher Monsieur
Je me permets de vous faire parvenir ce billet de toute urgence. Je vous prie de venir au plus vite. Le jeune homme, le locataire, votre neveu je crois, a fait une chute depuis la maison, et son corps a été retrouvé ce matin dans la ruelle en contrebas. Que dois-je faire et qui dois-je prévenir ?
Comptez-vous relouer à nouveau cette maison ? En tout cas, je vous prierais alors de me donner mon congé car je ne veux plus m’en occuper ! C’est quand même le second locataire qui disparaît en trois mois et l’on commence à croire que j’ai le mauvais œil dans le quartier.
Salutations. Mme N.

Caillou, le 6 août 2011

La mort sûre

« Elle est là », s’écria l’apprenti en désignant du doigt le bas côté de la route que nous ne pouvions voir. J’étais avec le médecin du village et le gendarme. Depuis l’aube , nous cherchions aux alentours et le gamin courant devant nous venait de la trouver !  Nous nous sommes approchés. Il montrait du doigt une forme mouillée, délavée et sale recroquevillée dans le fossé, le bras accroché à la barrière du champ. « En chien de fusil » dit le garde. « En position fœtale » corrigea le toubib. Moi je pensais « en boule ». Et cela correspond bien à son état d’esprit de ces dernières années. Ses yeux grands ouverts ne regardaient plus les épis ondoyants de la prairie, ne verraient plus jamais les nuages pressés galopant dans le ciel de juillet. « Égorgé, d’un seul coup ! »  constata le toubib, sans même la toucher. Le sang déjà bruni éclaboussait les mauvaises herbes du talus. « J’en suis déjà certain, ce n’est pas un couteau qui peut faire cette horreur, ce sont des crocs ! Un chien ! Messieurs c’est une morsure »

Je la connaissais bien cette femme meurtrie.

De ce constat terrible, nous parlâmes entre nous, en attendant qu’arrivent les pompiers de la ville. Morsure de chien, sans aucun doute possible. Dans la région, les clébs sont partout. Le médecin affirmait qu’il ne pouvait rien faire pour protéger les gens de ce terrible fléau, le gendarme approuvait, mais les excusait en disant que les hommes, voulant garder leurs biens des voleurs innombrables, avaient tous pris des pitbulls pour garder les maisons. «  Les chiens ne sont dangereux que quand ils sont errants »

Depuis des années que je marche, je connais tous les environs. Le long des grillages de chaque maison du canton , les cabots courent et aboient. Il en est des petits, des roquets soi disants inoffensifs, mais qui vous mordent aux talons s’ils parviennent à passer dans un entrebâillement de porte. Il en est des grands silencieux et furtifs qui vous assailleraient à la nuque et vous renverseraient d’un seul geste gracieux. Du molosse noir au pelage ras, muscles saillants, épais, avec une gueule énorme et un regard de haine se fixant dans les yeux des promeneurs solitaires, au teckel « toutou à sa mémère » hargneux comme une teigne, alertant tout le quartier, les chiens vociférants sont partout et toujours les gardiens des enfers.

Parfois de pauvres types, qui n’avaient rien demandé, sont retrouvés dans les fossés des routes aux alentours, égorgés dans le meilleur des cas, mais le plus souvent totalement méconnaissables, défigurés par des morsures multiples. Personne d’ailleurs ne se soucie de connaître leurs noms ou leurs provenances, ce ne sont que des cheminots, des vagabonds, sans toit ni loi, voleurs de poules… Les chiens errants en meute, dressés à la chasse aux mendiants, auront bien fait d’en débarrasser le pays. Les braves gens se croient ainsi protégés… mais personne n’ose plus se risquer à sortir la nuit dans la campagne. Ou alors en bande, armés de gros bâtons et de lanternes tendus au bout de longs piquets. Les chiens des maîtres rodent, ils ont faim, mal nourris, attaquant celles et ceux qui suivent les chemins creux aux bordures des champs et des bois. Revenir de la fête du chef-lieu de canton, bras dessus, bras dessous, ne se fait qu’en chantant très fort pour donner du courage aux plus faibles du groupe, et en fait à soi-même. Les chansons sont grivoises, on rit souvent très fort, mais le cœur n’y est pas car on a peur des chiens.

On en rêve la nuit ! On se réveille en sueur en hurlant de terreur de s’être bien fait mordre. On a les mains au cou, les yeux exorbités. Il faut plusieurs minutes pour se rendre mieux compte que l’on est dans son lit et même toujours vivant. L’autre en rit, homme ou femme, de ces terreurs nocturnes, même s’il sait bien qu’un jour il leur succombera. Et c’est toujours ces fauves qui viennent dans la nuit dévorer les enfants, les vieux, les épouses, les maris. Les chiens hurlent, se répondant au loin, de fermes en fermes, dans les cours, les jardins. Certains ont des chenils pour la chasse aux sangliers, ce droit républicain que l’on assume fièrement, entre hommes, exclusivement entre hommes. Les enfants portent au cou des médailles de Lourdes comme des amulettes pour les protéger.

« Ce sont les chiens des propriétaires… », murmurait le médecin.
«  … Mais nous y passerons tous, petits ou gros, notaire, propriétaire, tout petits paysans, servantes, flics ou voleurs… », fit observer le gendarme.

Moi je ne disais rien.

La seule différence pour moi était de voir que cette femme morte, oui, je la connaissais.
Et qu’elle se battait depuis toujours contre les chasseurs, les gendarmes, les propriétaires et leurs chiens.

Caillou, le 20 juillet 2011

La mort fine

Assis sur un tabouret à l’entrée de la salle, avec une casquette sur la tête, j’attends. J’attends quoi ? Je n’en sais rien. Et comment je suis arrivé là je n’en sais rien non plus. Et depuis quand ? Pas davantage. J’attends.
Sans  montre, je ne sais pas plus si c’est le soir, le matin ou la nuit, dans cette pièce sans fenêtre, mais j’entends régulièrement les heures qui s’égrènent dans une horloge quelque part, lointain écho dans une autre salle. Et c’est lent. Dès fois, je m’assoupis. La tête qui dodeline et s’avachit, menton dans la cravate. Mais je ne somnole pas longtemps. Juste quelques instants. Je me réveille d’un coup les yeux fixes, étonnés d’être encore devant ces murs blancs. J’essuie mes lèvres au cas où j’aurais un peu bavé, louchant sur ma chemise pour voir si des traces suspectes… Je me sens pris en faute. Par qui ? Je n’en sais rien. Je ne veux pas dormir. Pas encore…
Le bruit des talons hauts sur le parquet ciré me tire de cette rêverie. C’est un pas lent et très irrégulier avec de longues pauses. J’entends une femme faire le tour de la salle voisine. Puis elle entre et passe devant moi. Je ne vois que ces jambes des escarpins, des bas noirs et le bord d’un tailleur sombre et j’attends qu’elle soit au milieu de la pièce pour la voir vraiment, de dos, admirant sur le mur les traces plus claires des tableaux enlevés. La salle est vide, en me penchant je vois que la salle précédente l’est également. Il n’y a rien d’accroché sur les murs, pas une œuvre artistique, pas une esquisse, pas un brouillon d’enfant, juste des rectangles petits ou grands régulièrement plus clairs sur le gris des parois.
La visiteuse prend tout son temps, allant de place en place, avec cet air concentré qu’ils ont tous, ceux qui passent par ici. Ce qui me trouble, moi, qui ne veux pas la voir, c’est son pas sur les lattes du parquet. Je peux dire exactement, avec l’oreille, avec l’écho, dans quelle partie de mon secteur elle est maintenant située. Elle est parvenue de place en place à l’autre bout de la galerie. Et puis son pas décroît et, de salle en salle, je l’entends disparaître de mon domaine. Musée du vide, gardien de rien, je peux maintenant reprendre mon attente.
Mais j’entends tout. J’entends même, des fois, le bruissement feutré des trains qui traverse une ville dont je ne me souviens plus.

Caillou, 8 juillet 2011

Le rat

Le couple de rats est entré dans la maison vers la fin novembre. Il est passé par le tout-à-l’égout, l’évacuation de la remise dont la grille était restée ouverte, puis ils se sont installés dans la cave abandonnée, derrière la chaudière, dans un recoin où personne ne va jamais mais où il fait toujours chaud et humide. Dans la nuit noire ils se sont pelotonnés, enroulés l’un dans l’autre, et ont dormi, longtemps, pour se remettre de la fatigue du voyage. Il leur avait fallu quitter l’usine désaffectée des quartiers nord, devenue invivable à cause de la surpopulation et autour de laquelle il n’y avait plus rien à manger depuis longtemps.

Le lendemain matin, après avoir copulé avec sa femelle pendant quelques secondes, le rat a commencé l’exploration systématique de la cave. Les patates germées dans un sac de jute oublié ont fait l’affaire. Certes certaines sont totalement pourries, mais le couple de rongeurs s’est bien repli la panse. Après ce premier bon repas la femelle, ayant tiré des cartons d’emballage vers l’arrière de la chaudière, en a réduit une partie en charpie et s’est aménagé un nid douillet où elle s’est endormie.

Le rat observait lui, pendant ce moment d’inaction, le fin rayon de soleil qui passait entre les deux battants de fer, juste au-dessus de la rampe d’accès d’alimentation du charbon. Dans la pénombre, cette seule faible source de lumière lui permettait de découvrir et d’analyser tout ce qui maintenant allait leur permettre de vivre et de prospérer. Petit regard de ses yeux rouges, moustache frémissante au moindre souffle, au plus petit déplacement d’air, une intelligence inouïe totalement vouée à la survie de l’espèce, du courage, de la force et de l’agilité… rien ne pourra plus désormais l’arrêter.

À la nuit tombée, il a grimpé sur le tas de cageots, il s’est posé sur le rebord de ciment et a bien observé à travers la fente. La poubelle est placée à côté de la porte d’entrée. Cela fait peut-être 8 mètres à parcourir à découvert dans l’herbe mal rasée du jardin. S’il n’y a pas de saloperie féline ou de connard canin ce sera bon, sinon il en sera quitte pour courir se mettre à l’abri. Il est plus rapide et intelligent qu’eux et il le sait. Éventrés, les sacs poubelles se sont éparpillés sur le trottoir. Ils regorgeaient de restes de poulets et de tranches de jambons périmés. Ce fut un régal dont il a rapporté une bonne part dans la cave.

Dans la matinée, les rats ont entendu le chien des voisins se faire battre pour la poubelle renversée sur le trottoir. On l’a entendu couiner dans tout le lotissement. Le rat a bien ri si tant est que les rats rient !

La nuit suivante, il a trouvé le vieux compost au fond du jardin. C’est donc là qu’ils entassent leurs épluchures ! Ce fut une autre occasion de festin avec la femelle déjà bien pleine qui ne bougeait plus trop de leur abri chauffé, humide.

24 jours  d’attente puis elle accoucha de 12 adorables petits rats bien roses. Entre temps leur père était rentré dans la cuisine puis dans les chambres tandis que les humains partaient travailler ou à l’école. Il y fit des découvertes sensationnelles.

Ils éventrèrent les paquets de céréales, les morceaux de pain qui traînaient sur la table, les goûters des enfants abandonnés sous les lits et dans les tiroirs, tout ce qui se mangeait et qu’ils rapportaient en traînant jusqu’à la cave désormais remplie des cris et des couinements des jeunes rats en pleine croissance.

Les humains après avoir essayé des pièges idiots et des poisons naïfs finirent par demander l’aide des services  de dératisation, mais ceux-ci, privatisés, chers et employant des sous-traitants intérimaires inefficaces, tardèrent à venir. Puis ils annoncèrent qu’ils devaient revenir avec d’autres produits, d’autres protocoles et d’autres spécialistes… Pendant ce temps, l’invasion continuait. Et lorsqu’un des bébés hurla, une nuit, l’oreille en sang dans son berceau, les occupants des lieux partirent précipitamment en abandonnant la maison devenue territoire de l’infâme. Vers la fin du mois de mai, plusieurs maisons de la rue furent ainsi abandonnées.

Enfin tranquilles, beaucoup d’autres rats les rejoignirent et prospérant dans tout le quartier investirent en quelques semaines toutes les maisons. La nuit, les rues grouillaient de ces centaines d’intelligences destructrices. Leurs fines queues luisantes  et  leurs yeux rouges faisaient peur. Plus aucun humain n’osait s’aventurer dans le territoire des rats. La police municipale enserra le quartier de barrières métalliques aussi laides qu’inutiles. La vermine passait par les égouts, creusait les murs des caves mitoyennes, sautait de toits en toits.

La mairie organisa le départ des enfants. Il fallut les emmener avec leurs petits sacs de toile sur la place du marché. Les autobus s’ébranlèrent avec les gamins pleurant derrière les vitres closes, les parents envoyaient des baisers de la main en retenant encore quelques minutes l’angoisse immense qui les tenait déjà.

La honte et la bêtise des humains devenaient générale. Avoir ainsi laissé toute une partie de la ville aux mains des rats proliférants faisait taire les plus bavards. Les hommes ne prononçaient jamais le nom de l’ennemi croyant en cela se protéger de l’invasion*. Lorsqu’un réfugié d’un des quartiers envahis passait sur un trottoir, les commères se taisaient et leurs regards soupçonneux le suivaient jusqu’au coin de la rue.

Puis les hommes disparurent, en quelques années, victimes des maladies que les rats véhiculaient. Et leurs maisons aux charpentes rongées doucement s’effondrèrent, une à une, dans la poussière blanche des gravats.

Caillou, 6 juillet 2011

* Je fais d’ailleurs de même dans cette métaphore en ne nommant pas le rat du vrai nom de Cancer .

Vers l’infini, personne ne répond.

Pas à l’infini, car là je ne sais pas, peut être des voix se croisent et répondent aux questions, non pas à l’infini, ces territoires dont personne ne peut dire quoi que ce soit puisque personne n’en revient.
Non, je parle de ces chemins qui mènent vers les confins immenses, ces purgatoires, ces no man’s land que l’on traverse tous, et là, j’en suis certain, on est totalement seul. Si l’on aime, on se demande si l’autre vous aime autant que vous l’aimez vous-même, si vous aimez l’amour ou l’autre qui vous aime, si vous vous aimez aimant… Si l’on se déteste et que l’on s’apitoie, les questions tournent en boucle et personne n’y répond. Pas de mots pour consoler sur les regrets, les pertes, les occasions perdues, les rêves évanouis.

Sur les bords du canal, sur cette voie rapide où filent les voitures, lorsque la nuit tombe et que les bleus deviennent violets, cette heure entre chien et loup, une baraque à pizzas s’ouvre et, par contraste, s’illumine. Elle donne une lumière vive, chaude, accueillante. Un rectangle doré qui se détache sur le froid, et la solitude environnante. Dans ce quartier à putes, un peu avant la gare, quartier de passage, quartier sans âme, elle attire les passants qui viennent s’y réchauffer quelques instants, en attendant leur part de pizzas. Ils sont debout, ombres noires, en contrebas car le rectangle lumineux les domine, l’étal étant situé à plus d’un mètre cinquante. Un homme, en blouse  de coton blanc officie près du four, enfournant avec sa longue spatule de bois les différentes margheritas, napolitaines ou quatre-saisons … préparées sur le comptoir à l’arrière.

Et puis, devant, face au client, la mort est là qui les toise. Elle aussi est habillée de blanc avec, sur son chignon, une toque ridicule en papier. Elle est d’une propreté éblouissante, pas une tache de sauce pas un soupçon de farine sur le plastron immaculé. La mort a soixante ans, dont dix dans ce camion immobile . Elle n’a pas un sourire, pas un mot commerçant, elle officie, renseigne, conseille, encaisse et tend les cartons mous, huileux et chauds qu’ils prennent à deux mains.

La mort ne dit rien d’autre que ce qui est utile. Combien ? En combien de temps ? Avec ou sans anchois ? La grande ou la moyenne ? Dans ses yeux, le passant lit très vite qu’il ne doit pas essayer, ne serait-ce qu’un instant, d’entamer une conversation sur le froid, sur la pluie, sur le printemps qui n’arrive pas. Elle ne répondrait pas.
Bien sûr, des avinés, des clochards attitrés, des types ayant perdu de vue le poids des autres et qui soliloquent seuls à force d’être à la rue, lui tiennent des discours mais elle n’entend rien. Ils parlent, seuls à moitié dans l’ombre, seuls, leurs faces éclairées tournées vers la mort qui les voit sans les voir et ne concède parfois que des hochements de tête, des mouvements d’épaules, voir même des yeux au ciel, mais qui ne leur dit rien.

La mort a été jeune et belle, il y a longtemps. Elle a donné et pris et rendu au centuple à des hommes qui ont pris, sont partis sans payer. Elle a ce beau regard sévère et triste de ceux qui ont tout vu et ne croit plus à rien. Son histoire est commune, celle d’une vie enfuie à force de courir après des papillons, sans vouloir se construire, sans poser de questions, juste prendre tout, perdre tout, saisir du sable et être, au bout du compte perdue, sans illusions.

Elle pourrait bien partir, quitter son étalage, poser cette blouse blanche enfiler son manteau en disant « je m’en vais » et traversant la rue, aller vers le halage, regarder l’eau qui coule si noire, si froide, un peu huileuse et d’un seul coup, d’un seul s’y jeter brusquement.

Mais elle ne le fait pas. Elle reste sur le chemin. Elle va de jour en nuit vers le néant qui dort et se pose des questions auxquelles personne, jamais ne peut répondre, car vers l’infini du monde plus personne ne répond.

 

Caillou, le 15 avril 2011

La conférence de Compiègne.

Compiègne. 9 février 2011.

Le ballet des grandes voitures noires a commencé vers 18 heures.

À l’entrée du parc, les journalistes, les photographes, les caméramans des grandes chaînes de télévision mondiales, essayent de deviner, derrière les vitres teintées, les visages des officiels. Certains fanions le permettent, mais la plupart des voitures blindées sont discrètes. On murmure « Là c’est le président des Etats-Unis qui vient de passer». « Obama est déjà arrivé ? ». Une autre voix demande : «  Vous avez vu Medvedev ? »

De ce côté de l’avenue, la foule est compacte, silencieuse, recueillie, maintenue par une rangée noire de gardes mobiles. Il fait très froid. Sous la lumière dure d’un projecteur, tenu à bout de bras par un assistant, l’envoyé de CBS annonce, d’une voix dramatique, l’ouverture de la première conférence mondiale MetInvPol. Le message, transmis par satellite, est destiné au journal permanent de la grande chaîne américaine. Un enfant, au premier rang, demande à son père : C’est quoi metzinvpaul ? Le jeune chômeur qui le tient par la main lui répond « c’est un truc sur la météo, je crois… ».

À l’entrée du château, le petit président reçoit les différentes délégations. Débarrassés de leurs manteaux par les préposés des vestiaires, les invités sont ensuite dirigés par des laquais en costumes, vers la grande salle de réception, immense galerie qui occupe toute l’aile droite du château. Les rideaux de velours en cachent la double rangée de fenêtres. Les conférenciers sont placés à chaque table, les micros et les casques distribués, les boissons chaudes et froides servies et, petit à petit le silence se fait. Les huissiers passent de table en table, pour faire éteindre les téléphones portables et ils referment les lourdes portes. Les lumières baissent. Tout au bout de la salle le petit président, juché sur une estrade, tapote sur le micro. Tout fonctionne bien. Il salue tous les conférenciers, les remercie de leur présence, puis, très rapidement, d’une seule tirade, annonce le début de la conférence. «  Chers amis, comme vous le savez l’heure elle est grave, très très grave » (Le petit président ne parle pas très bien le français…) « Notre temps est compté ! Je passe donc immédiatement la parole au professeur Takaferduski qui va introduire le débat »

Une demi-heure plus tard, le spécialiste de la météorologie, repose la dernière feuille de son allocution. Le silence est total. Il vient d’annoncer au monde que le réchauffement climatique mondial, entamé depuis plusieurs années, constaté, étudié par tous les spécialistes, a entraîné l’arrêt rapide, évident, du Gulf Stream, ce courant marin irriguant tout l’Atlantique nord. Ces mouvements marins sont influencés par une force due à la rotation de la Terre, la force de Coriolis. Et il se trouve que de nombreux relevés et des calculs, vérifiés scientifiquement par des équipes pluridisciplinaires de plusieurs grandes nations ont détecté que le Pôle nord magnétique se déplace de plus en plus rapidement vers la Sibérie. « Messieurs, nous sommes devant l’évidence d’une inversion des pôles terrestres dans les mois à venir ».

Réfléchissant que, si cette inversion pouvait permettre à des pays de l’hémisphère sud, dont certains désertiques comme le sien, de reprendre un peu de vie, d’eau et d’espoir, le délégué du Botswana se lève et demande timidement au grand scientifique : « Une inversion des pôles ? Et alors ? Quelles conséquences ? »

« La probable disparition d’un grand nombre d’espèces, dont la nôtre ! » lui répond le professeur Takaferduski. « La terre évitera, lors de l’inversion du champ magnétique, une absence totale de champ. Ceci est impossible en vertu du premier principe de la thermodynamique. En effet, dans un tel cas, la quantité d’énergie jusqu’alors évacuée par le champ magnétique produirait une chaleur telle à la surface de la Terre que la majorité des espèces vivantes ne survivrait pas. Mais une modélisation de la NASA montre que pendant cette période, l’axe du champ magnétique tourne rapidement jusqu’à l’inversion totale. Et quand le pôle magnétique se situera au niveau de l’équateur, il ne permettra plus la protection des particules solaires à haute énergie, destructrices pour la vie. Ce bombardement créera inévitablement des mutations et destructions génétiques d’ampleurs variables ».

Au journal télévisé de 20 heures, cette nouvelle est abondamment commentée. Un journaliste, en pardessus, très bien coiffé, fait l’ouverture depuis la conférence de Compiègne, « Météo et Inversion des Pôles ».
Dans la petite pièce au canapé défoncé qui leur sert de salon, le jeune chômeur prend son enfant sur ses genoux et le serre contre lui. « Je crois que c’est bientôt la fin du monde ».
La télévision montre les nuées jaunes et grises des cheminées d’usines chinoises. Le brouillard sur Pékin empêche de voir la roue avant d’une bicyclette. Le gamin voit que son père est malheureux et, pour le consoler, il lui dit, tout doucement : «Heureusement qu’on va vers l’été».

Caillou, 9 février 2011.
(Avec les 6 mots de Francine, merci pour elle!)

Attention, ce texte n’est qu’un jeu littéraire.
Il ne faut pas lui accorder d’intérêt scientifique. En effet, depuis 2005,
nombre de sites web brodent sur ce phénomène. Mais beaucoup avancent des
hypothèses propres à un esprit sectaire, mystique, ou de l’ordre de la conspiration. On peut lire :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Courant_marin
http://fr.wikipedia.org/wiki/Inversion_du_champ_magnétique_terrestre

Etre et avoir été

La maison de mes grands parents se voit déjà au loin sur la colline.
Mon père, dans son costume noir, est au volant de son automobile.
Arrêté, au feu rouge, au coin de la rue de la Martinière, il la désigne du menton  et me demande :
– Depuis combien de temps n’es-tu pas venu jusqu’ici ?
Je réfléchis. Nous sommes partis en Australie où mon père avait été nommé, lorsque j’avais 12 ans et depuis notre retour, il y a 4 ans, je ne suis pas retourné voir le Papy, donc cela doit faire 8 ans.
– Un bon bout de temps, quand j’étais gosse et que je venais passer les vacances.
Georges hausse les épaules et s’adressant à ma mère, il lance, d’un air désolé :
– Heureusement que mon père venait souvent nous voir. Dire, que nous revenons à Palaiseau, avec le gosse, juste pour son enterrement, t’avoueras que c’est triste.
Et maman, elle, ne dit rien.
Papy venait souvent chez nous, surtout ces derniers temps. Après la mort de ma grand-mère, deux ans auparavant, il venait passer quelques jours à notre appartement, souvent le samedi et le dimanche, ou pour des fêtes, anniversaire ou fin d’année. Il apparaissait, avec sa petite valise en cuir et sa canne, sortant tranquillement du RER. Soucieux de son indépendance, il repartait discrètement, laissant souvent un petit mot sur la table de la cuisine. Dans la chambre du fond du couloir, moitié chambre d’amis et moitié débarras, son lit était toujours disponible. Il se posait dans un fauteuil et regardait tranquillement la télévision tandis que toute notre famille s’agitait autour de lui. Enfin, famille, c’est vite dit puisque nous ne sommes que trois. Papy aimait le bon vin et mon père lui débouchait souvent une bonne bouteille de St. Joseph. Il souriait en tirant le bouchon et nous nous asseyions autour de la table. Maman plaçait la cocotte fumante sur le dessous-de-plat. Mon père était content d’avoir le Papy avec lui.
Et puis voilà qu’en quelques jours, mon grand père, entre la visite du médecin, l’ambulance, l’hospitalisation à Orsay, le temps de le revoir une dernière fois, tout gris, dans ce grand lit tout blanc, avait tout aussi discrètement, sans une plainte, pas un mot plus haut que l’autre, tiré sa révérence. Le papy était mort et ce matin, à l’arrière de la voiture familiale, avec mes parents devant, je regrettais tellement de ne pas avoir plus parlé avec lui, de ne pas avoir pu mieux le comprendre. Une occasion ratée qui ne reviendrait plus !
– Tu viens ?
Ah oui, nous sommes arrivés. Papa a ouvert le portail et nous sortons de l’automobile, maman et moi. Déjà quelques voisins se sont réunis à l’entrée du chemin. Il fait froid et le silence général est pesant juste entrecoupé par les murmures des condoléances que les femmes en noir viennent chuchoter à l’oreille de mes parents.
Le fourgon des pompes funèbres va arriver d’un moment à l’autre.
Je rentre dans la maison de mes grands parents. Que va t-elle devenir ? Avec son travail, mon père ne peut envisager de venir nous y installer ! Il ne se l’avoue pas, mais devra certainement la vendre. D’autant que le prix des terrains attire ici les promoteurs. L’époque n’est plus à ces petites bicoques vieillottes avec des grands jardins. D’autant que je vais bientôt quitter le domicile familial. À la rentrée universitaire, je vais déménager à Toulouse pour entrer à l’ENAC, l’école des ingénieurs de l’aviation avec le concours d’entrée en poche. La maison est déserte et glacée. Je rentre dans la cuisine et en regardant tout autour de moi je me rends compte que rien n’a changé ici depuis mon enfance. Ah, si, la cage posée sur le rebord intérieur de la fenêtre est vide et ouverte. J’y ai, dans mon souvenir, passé des heures à contempler le couple d’oiseaux, des becs de corail, qui y voletaient à mon approche, affolés puis qui se posaient sur la petite balançoire en me guettant de l’œil. J’étais ici, chaque été, pour les grandes vacances et je courais les bois avec les autres gamins du quartier, hurlant des cris d’indiens pourchassés par les cavaliers bleus et c’est au retour de ces grands aventures que ce couple d’oiseaux fascinait l’enfant que j’étais et que je ne suis plus. Ma grand’mère, revenant du jardin, le panier sous le bras, éclatait de rire lorsque elle me retrouvait silencieux et suant à genoux sur cette chaise paillée, devant la cage, et cet éclat de rire affolait les oiseaux qui battaient frénétiquement des ailes, perdant même quelques petites plumes.
Mamie faisaient des confitures de mures, parfois d’oranges amères. Papy me montrait les coins de pêche sur les bords de l’Yvette, c’était il y 8 ans et cela me semble loin.
Dehors le fourgon arrivé de l’hôpital s’est garé sur le chemin et j’entends les claquements de portes et le brouhaha de la foule qui s’approche. Il me faut revenir près de mon père et reprendre ma place dans le monde réel. Je fais un petit tour dans le salon du rez-de-chaussée puis je reprends le couloir de l’entrée, et là, je me retourne et me regarde, surpris dans le miroir toujours fixé à droite de la porte d’entrée.
Je ne suis plus ce que j’étais, la porte s’est refermée, cette gueule de jeune homme sérieux prêt à affronter la vie n’a plus rien à voir à l’enfant qui courait dans cette maison, qui bientôt va, elle aussi, disparaître.
J’étais et suis maintenant autre chose, et cette épreuve brutale est comme une chrysalide.

Caillou, 30 janvier 2010.
(Avec les mots de Christiane: cage / chrysalide / éclat / chemin / enfant /miroir
.
Merci pour elle !).

Dehors, il pleut.

Sur le parking vide à cette heure de la nuit, les flaques d’eau luisent dans la lumière jaune des projecteurs. La voiture est garée, le moteur arrêté. Il est peut-être onze heures. L’endroit est totalement désert. Le son régulier et doux de la pluie sur la carrosserie de l’automobile fait un bruit blanc, un ronronnement, une sorte de murmure qui se mêle à la discussion des deux hommes assis à l’avant. Le plus grand au volant, à la place du conducteur, a le regard perdu dans la nuit noire massée à l’avant du capot. Il a plus de cinquante ans. Appelons le Jean. L’autre, sur le côté, doit avoir le même âge. Le torse à moitié tourné vers son interlocuteur, il le regarde en parlant doucement. C’est peut-être Pierre. Ce qu’il dit exactement ? Cela ne nous regarde pas. Enfin, pas dans les détails. Mais il parle de l’amour, des femmes, de la fidélité à des idées, celles qu’il se faisait plus jeune, il y a des années, sur le mariage, la vie de couple… Sur le refus de vivre la vie de ses parents. Leurs adultères, leurs mépris communs l’un pour l’autre, leur cohabitation réduite aux acquêts… Il raconte la mort de son père et le  sentiment amer que celui-ci s’était jusqu’au bout menti à lui-même. Il parle de tout ce qui le bouscule et l’empêche de dormir…

L’autre, Jean, le silencieux, l’écoute gravement. Il n’est pas de ceux qui ne font qu’attendre une pause dans le discours des autres pour poser leurs propres réflexions, reprenant ainsi leur fil interrompu. Mais il sait que bientôt viendra dans le discours de Pierre l’inévitable bilan de comparaison entre la vie rêvée et la vie réelle, entre les espérances et les constats, le cours des jours tel qu’il est devenu après les grandes décisions. Il compare ce que lui dit Pierre avec ses propres désillusions. Il se coule dans le fleuve des soucis évoqués par son ami, non pas par compassion mais parce qu’il a traversé et traverse encore les mêmes écueils, les mêmes tempêtes. Tout à l’heure il lui racontera aussi ce qui est advenu du temps des espérances, comment il a reconstruit sa vie après l’échec, comment il a bien peur maintenant, avec le départ de son épouse, de retomber dans la solitude et le désespoir.

Jean est le compagnon de lutte des années militantes. Le seul qui reste après le tri impitoyable que la politique et les trahisons de la vie quotidienne a fait dans toutes ces amitiés qui paraissaient inébranlables. Il est l’ami, le seul, le dernier, celui qui sait écouter mais aussi parler sans se lasser. Ils se connaissent depuis longtemps, depuis l’adolescence. Ils ont pu se perdre de vue au gré des déménagements et des changements de cap, mais ils ne se sont jamais trahis, et n’ont jamais oublié les grandes discussions qui les avaient, il y a des années, fait grandir. Et ces grandes discussions, ils continuent tous les deux à les tenir, isolés du monde, pour quelques heures, dans cet habitacle, cette bulle, sous la pluie, en compagnie du jazz cool des années 50 qui en sourdine provient de l’auto-radio.

Cette amitié entre eux, on peut la retrouver un peu partout, entre 2 femmes écossant des haricots sous la treille au fond d’un jardin, entre des ouvriers à la sortie de l’usine sur le zinc d’un bistrot, entre des gamins préparant des bêtises, entre un homme et une femme dans une cuisine au milieu de la nuit, dans une salle où des gens inconnus lisent des textes à d’autres, autour d’une table dans un restaurant ou sur un établi, un banc de fac, dans un couloir de métro… Dans les lettres qu’on écrit encore et qui ne seront lues et comprises que par de vrais amis. L’important dans l’amitié, c’est d’y croire encore. Elle se nourrit, elle s’entretient, et elle permet, dès fois, de supporter le monde. Car, dehors… il pleut.

Caillou, 12 mars 2010

La douleur

J’ai le caddie devant moi qui roule. Comme tous les mercredi matin, je fais les courses, ma liste à la main. Je viens de bonne heure avant qu’il n’y ait foule. Dehors il fait beau. J’en ai pour deux petites heures. J’aime ce hors du temps, ce moment de solitude affairée, ces gestes de fourmis au milieu de la fourmilière. J’aime ce jeu de piste, trouver l’article en faisant le moins de chemin possible, jeter un coup d’œil discret sur les promotions, cocher sur mon papier, revenir quand même sur mes pas… Contourner les palettes encombrant les rayons, dire bonjour aux quelques employés que je connais encore, prendre mon temps avant que trop de clients ne se bousculent…
Un peu plus tard, il y a déjà un peu plus de clients, je traverse le rayon des fruits et des légumes.
J’ai besoin de quelques tomates, de carottes, d’une salade, d’une dizaine de petites pêches. Au milieu du rayon, entourée d’une demi-douzaine de balances, une femme que je connais un peu pèse les légumes que les clients posent sur les plateaux. C’est une petite femme ronde, qui parle fort, qui rit souvent. D’origine portugaise, elle en a gardé l’accent chantant. Elle travaille ici depuis très longtemps, ne doit plus être très loin de la retraite. Nous nous sommes côtoyés dans des manifestations syndicales. On se connaît.
Comme à chaque fois que je passe dans le rayon des fruits et des légumes, je la salue et lui demande si elle va bien. Elle me sourit et me répond immédiatement, tout en appuyant sur la touche correspondante à mes carottes, oui, elle va bien… Elle pose l’autocollant sur mon sac en plastique… Mais que c’est son mari… petit coup d’œil sur la balance à droite… qui est très malade… elle appuie sur la touche des pêches en promotion… on lui a découvert… l’autocollant sur le sachet… la maladie d’Alzheimer… la balance à sa gauche… je m’en doutais déjà… le ticket pour les abricots… depuis trois ans, mais je me disais que c’était… à droite… des conneries
Je pose mes tomates sur le plateau. Au moins quatre pèse légumes sont occupés. Les clients ont préparé leurs emplettes sur le devant de leurs caddies et les posent au fur et à mesure que mon ancienne collègue les leur pèse. Ses gestes sont déliés rapides, précis. Elle fonce tout en me parlant vite, elle jette un regard sur le sachet transparent, d’une main tapote la touche correspondante, tout en regardant un autre sac sur une autre balance, elle sort le ticket… C’est un ballet précis… En faisant du vélo… Les pommes… Il a regardé des travaux des ouvriers de la voirie… l’autocollant… Il n’est pas descendu de son vélo… les artichauts… il est tombé dans la tranchée… coup d’œil… Ils l’ont emmené à l’hôpital… des courgettes… m’ont appelé ici
Moi, je suis là, comme un imbécile, je ne sais pas quoi dire. Je lui demande quel est l’âge de son mari… 67 ans… Je le vois bien qu’elle a les larmes aux yeux mais qu’elle continue à peser les légumes, à toute vitesse, par habitude, sans réfléchir, dissociée entre ce qu’elle fait et ce qu’elle dit… Et comme pour me raccrocher au plus petit réconfort possible je lui demande bêtement si cette maladie évolue lentement. Elle hausse les épaules… Ils n’en savent rien… Je bredouille quelques mots d’encouragements… Et je m’en vais.

Quelque instant plus tard devant un grand écran de télévision, dans les rayons des DVD musicaux, je vois Céline Dion qui chante, en duo, sur une scène immense, à Québec, un rock que j’aimais beaucoup. Elle est un peu bouffie, dans une très courte robe moulante. Ses gestes sont calculés aux millimètres près. Elle arpente la scène, le doigt tendu, d’un pas décidé. Elle relance l’autre chanteuse, tout aussi vieille et laide, puis fait des clins d’œil à la caméra. Et pourtant, derrière cette façade un peu vulgaire, fanée, il y a toujours ce rock de Jean-Jacques Goldman : J’irai où tu iras, si beau, si plein d‘énergie, si plein de bonheur.
Et là, comme un con, je retiens mes larmes. Moi j’ai 60 ans… Que le temps passe vite !
Allez ! Je sors de là. Les surgelés vont se perdre.

Caillou, 4 juin 2009

Une version ancienne de rock sur http://video.muzika.fr/clip/16405

La vie rêvée est bien plus belle !

Il pleuvait.

Les rues du centre ville luisaient, désertes en cette fin d’après-midi dominicale. Sorti de la gare et de ses quelques bars ouverts dans la rue lui faisant face, je n’avais rencontré personne et je me demandais bien où je pourrais perdre les 3 heures qui me séparaient de ma correspondance. C’est alors que je vis, au carrefour, luire les étoiles de l’Alphabet. Un cinéma de quartier, pas encore excentré, pas encore vendu. On y projetait un vieux film en noir et blanc qui devait, d’après le titre, parler d’assassinats et d’évasion. « C’est déjà commencé depuis 10 minutes » me dit la caissière en me tendant ma monnaie. « C’est pas grave, merci mademoiselle ». Dans le hall un monsieur plus très jeune, dans un vieux costume fripé, m’attendait et a déchiré mon ticket et m’indiquant d’un coup de menton le couloir tapissé de moquette rouge qui menait à la salle.

Celle-ci était plongée dans le noir et l’absence d’ouvreuses (elles ont disparu depuis des années me semble t-il) ne me facilita pas la tâche. J’enlevais mon imperméable trempé et en tâtonnant j’ouvris un siège et m’assis. L’écran était presque noir. On était au fond d’une forêt de sapins (noirs) et le jour (blanc) ne se devinait qu’entre les troncs serrés. Je mis quelques instants à comprendre le lieu et l’action. Deux hommes, vêtus d’uniformes gris, avançaient rapidement et sans faire de bruit en se suivant. On les voyait surtout de dos. Au loin des chiens aboyaient furieusement et leurs cris se répercutaient en écho dans les frondaisons. L’orée du bois se rapprochait et l’on entrevoyait des prés puis, au loin, des sommets enneigés. L’un des deux hommes, le plus jeune, se retournait de temps à autre, l’air inquiet. On sentait qu’il aurait aimé questionner l’autre mais qu’il n’osait plus le faire. Le premier marchait, sans arrêt, et l’on entendait sa respiration essoufflée. « Robert ! Magnes toi ! On va longer le bois. Au bout du pré, il y a un gué sur le torrent. Si on se grouille on y sera avant eux sinon… on est cuits ». À ces quelques mots murmurés, Robert accéléra encore le pas et paru plus résolu. Ils disparurent derrière une crête et la caméra erra lentement dans la forêt tandis que le raffut de la meute se rapprochait.

La fatigue de ce long voyage en train se fit sentir et j’eus de plus en plus de mal à concentrer mon attention devant cet écran sombre et ces larges plans presque immobiles. Qui étaient ces gens ? Pourquoi fuyaient-ils ? À quelle époque cela se passait-il ?

J’ai du m’assoupir quelques instants car je ne me souviens pas de ce qui s’est passé jusqu’au moment où j’ai retrouvé les deux hommes en uniformes gris seuls dans un compartiment de train. L’aîné regardait l’autre en train de dormir, la tête inclinée sur le côté. Par la fenêtre on voyait un paysage de bord de fleuve qui filait. Il se pencha et tapa légèrement sur le genou de son compagnon : « Robert, réveilles-toi, on arrive ». Le train ralentissait en traversant maintenant des quartiers ouvriers. Puis il entra dans une grande gare à verrière. Je m’étonnais de voir que le film avait été tourné exactement dans la gare où je faisais cette courte escale. Je reconnus immédiatement les mêmes quais, la même horloge, le même buffet au bout à droite du quai n° 1 et la même sortie des voyageurs que les deux hommes empruntaient maintenant, presque en courant.

J’avais aperçu tout à l’heure, à droite de la sortie, les vitres sales d’un commissariat de police. Je le reconnus immédiatement dans le filé de la course des deux fuyards. La porte en claqua en s’ouvrant et un flic hurla « Rrêtez vous ! ou j ‘tire » en dégainant un énorme pétard noir. Robert et son compagnon étaient déjà à l’autre bout du parking et fonçaient vers la gare routière. Les flics déboulaient de partout. Une voiture freina à mort sur la chaussée mouillée et cacha l’espace de quelques instants la vue des deux treillis gris. Un gros plan sur le visage de Robert, en sueur, le regard traqué et on entendit le premier coup de feu siffler un peu au-dessus de lui tandis qu’il se jetait sous une balustrade et roulait sur lui-même dans l’herbe sale des bords du canal. Son compagnon courait plus haut et son soufle court envahissait toute la bande son, par dessus les hululements des sirènes et les sifflets de la police.

La nuit tombait avec la pluie et ils longèrent un mur lépreux interminable couvert de tags et de signatures incompréhensibles. Ils avaient semé les flics mais pour combien de temps ? Ils n’iraient pas loin s’ils ne trouvaient pas un abri et d’autres vêtements que ces vareuses grises qui manifestement les désignaient aux regards des forces de l’ordre.

Ils arrivèrent à un carrefour que je reconnus là aussi immédiatement. Au bout de l’avenue on voyait le gyrophare des flics qui arrivait. Les deux hommes cherchaient une échappatoire et, sans se concerter, se précipitèrent vers le cinéma. Je les vis entrer précipitamment et reconnus le même visage de la caissière. Décidement les réalisateurs de ce film avaient tourné dans des décors naturels. Quelle coïncidence !

L’écran devint brutalement très sombre et je ne distinguais plus grand chose mais je compris que nous étions dans une salle du cinéma. Un film en noir et blanc était projeté et les deux hommes tâtonnaient dans le noir pour trouver les fauteuils. Je me dis que ce n’était vraiment pas une bonne idée pour des évadés de se cacher dans un cinéma, que les flics allaient arriver d’une minute à l’autre, et c’est alors que je réalisais qu’une respiration très forte était apparue juste derrière moi. Je n’osais pas me retourner.

Je me suis forcé à regarder l’écran pour ne pas leur donner l’impression que j’avais remarqué leur présence dans mon dos. Ils chuchotaient. Sur le film, je voyais le carrefour se remplir de voitures de police et leurs vives lumières tournoyer. Les flics couraient dans tous les sens. Il y eut un gros plan sur le visage de la caissière qui hoquetait « Dans la salle, là à droite ! » Les gros godillots écrasaient la moquette. Il y eut alors un bruit de cavalcade. J’ai senti une main m’arracher mon imperméable et deux silhouettes dévaler l’allée pour foncer vers la petite porte en-dessous de l’écran, celle sur le côté, toujours surmontée d’une petite lumière bleue avec «sortie de secours» marqué dessus. L’écran s’est éteint d’un seul coup et la lumière s’est allumée brusquement. J’ai regardé autour de moi et ce qui m’a semblé vraiment curieux c’est que j’étais seul dans cette salle de cinéma. C’est alors que les portes ont littéralement éclaté et j’ai été entouré d’une nuée de flics qui me braquaient leur flingue dessus. Terrorisé, je n’ai pas bougé d’un poil. Ils m’ont soulevé du fauteuil et porté d’une seul jet dans l’entrée du cinéma. « C’est lui ! C’est lui ! » hurlait la bonne femme derrière sa vitre. « Il est entré quelques minutes avant eux et leur a donné l’imperméable. »

La masse d’uniformes bleus s’est un peu écartée et j’ai vu arriver un gros type moustachu en complet veston. « C’est toi le Lyonnais. On a coffré tes deux complices. Alors tu vas être sage et nous dire qui de vous trois a tué la logeuse de Robert. T’as compris ». Puis se retournant vers ses hommes il a ordonné : « Allez embarquez-moi ça et que ça saute ! »

Et c’est juste à ce moment que le petit monsieur au costume fripé a levé le doigt et a dit au commissaire qui repartait déjà : « Mais non, mais non, l’assassin de la logeuse de Robert, c’est le docteur. Cela fait dix fois que je le vois ce film et je le sais bien. C’est le docteur parce que la concierge avait réalisé qu’il entretenait la voisine du troisième, et qu’elle était bien décidé à le dire à tout l’immeuble».

Après, tout est devenu très embrouillé et finalement… j’ai loupé ma correspondance.

Caillou, texte paru en février 1999 dans Le Coquelicot