Ni Dieu ni Maître

Cette proclamation révolutionnaire des Anarchistes est universelle.
Elle s’adresse à toutes les religions, à tous les dieux, à tous les rabbins, les imams, les curés, les déistes de tout poils qui promettent le bonheur après la mort pour mieux supporter la souffrance présente. Elle crie sa révolte à tous les chefs, à tous les militaires, aux patrons et aux gouvernants, aux politiciens qui y aspirent et qui vivent tous sur le travail des autres. Cette proclamation est universelle.
Elle ne s’arrête pas à une frontière culturelle où ce qui insupportable ici serait toléré là-bas au nom d’un respect pour des traditions étrangères. Ce cri universel s’adresse à toutes et tous. Il est souvent repris y compris dans les pays où sévissent les dictatures déistes ou militaires.
La haine des femmes, la haine de l’autre (croyant d’un autre dieu ou mécréant), la séparation en communautés antagonistes au nom de ces croyances anciennes ce n’est pas négociable.
Un enseignant a été décapité à Conflans Saint-Honorine par un jeune de 18 ans, islamiste.
Il avait montré des dessins « blasphématoires » représentant Mahomet à des enfants de 4ème

.
L’islamisme est un totalitarisme, un courant politique fasciste, qui est le fait d’une poignée de musulmans dans le monde. Mais ce qui est apparent est minoritaire. Réactionnaire, au sens littéral, l’islam politique veut imposer une vision délirante, à la fois archaïque et ultra-moderne, à des millions de musulmans qui entrent dans la sécularisation. À bas bruit les femmes s’émancipent, font des études, refusent de plus en plus les mariages forcés avec les cousins, et ont moins d’enfants. Et les musulmans du monde entier sont les premières victimes de la terreur islamiste.
Ici, l’islamophobie, qui n’est qu’un racisme déguisé, se nourrit des attentats.
Les musulmans, ou présumés tels, pour beaucoup enfermés dans des ghettos sociaux, sont coincés entre la haine raciale et la terreur islamiste.
C’est une profonde erreur d’une partie de la gauche que de croire qu’en se taisant sur l’islamisme ils s’en font des alliés.
Être anarchiste c’est être solidaires des victimes, des excluEs, de celles et ceux qui sont dénoncés par les islamophobes. Mais c’est aussi  ne pas se taire sur l’Islam politique. Être anarchiste c’est vouloir pour tout le monde: Ni Dieu ni Maitre !

Caillou, le 18 octobre 2020

 

 

Liberté de la presse et enseignement de la liberté


Le 16 octobre à Conflans Sainte Honorine, Samuel Paty, un homme, un professeur en collège, a été mis à mort d’une façon effroyable pour avoir fait son métier, c’est à dire apprendre aux enfants ce que sont les libertés gagnées tout au long de luttes menées depuis des générations.
L’intolérance, la barbarie relayées sur les réseaux sociaux par quelques uns ont abouti à ce drame.
Coup de soleil qui depuis des années lutte pour une meilleure compréhension du Maghreb et de la France est particulièrement touché par ces échecs de la laïcité et se joint aux manifestations en souvenir de Samuel Paty et en soutien à un enseignement attaché à la liberté de croire et de ne pas croire, de penser, d’écrire, de dessiner.

15h Place du Capitole à Toulouse le dimanche 18 octobre 2020

Une mémoire perdue

Comment expliquer que l’histoire des Merlinettes soit si peu connue ?

Que d’efforts pour arriver à une commémoration discrète, à une inauguration… Et ce alors que les derniers témoins disparaissent.

J’ai trouvé dans le livre de Dominique Camusso et Marie Antoinette Arrio une belle explication que le parcours très particulier d’Eugénie Djendi illustre parfaitement. Avec l’autorisation des auteurs, je me permets de citer totalement les
4 pages suivantes.
En les remerciant

Caillou le 20 Juillet 202

inauguration du square Eugénie Djendi à Paris en 2015. Photo Geneviève Zamansky-Bonin.

Une mémoire perdue

Nous venons de parcourir la vie d’Eugénie Djendi. Une vie exceptionnelle au sens premier du terme. Il n’y a sans doute pas plus d’une vingtaine de femmes qui ont accompli les mêmes choses pour en définitive connaître le même sort. Mais, une fois sa famille disparue, le témoin n’a pas été transmis pour que se poursuive le parcours de mémoire. Cela tient à ce que la personne d’Eugénie Djendi avec ses actes et ses engagements n’est pas entrée en résonance avec les catégories mémorielles qui ont émergé après guerre.
Les premières catégories auxquelles on peut penser sont des catégories renvoyant à ses origines. Célébrer une Corse héroïque du fait de sa famille maternelle ? Difficile à imaginer d’autant plus qu’elle n’a pas dû séjourner dans l’île au-delà de périodes de congés. Sa grand-mère s’est occupée discrètement du souvenir de sa petite-fille tant qu’elle a vécu, mais ensuite sa mère a liquidé tous ses biens en Corse. Une Arabe valeureuse ? Comme cela a été tenté en juillet 1958, mais on a préféré mobiliser la religion musulmane à laquelle elle n’appartenait pas. Une actuelle identité algérienne ne ferait guère de sens Pour une personne qui ne connut que l’Algérie colonisée. Le concept méditerranéen, s’il avait été en vigueur à l’époque, aurait pu être mobilisé pour faire ressortir son métissage. Mais à ce moment la mer était perçue comme une frontière qui sépare en renvoie l’autre à ses origines, plutôt que comme un point commun autour duquel on se rassemble. Là encore, les événements de juillet 1958 sont symptomatiques. Quand « la Dépêche de Constantine » parle de la communauté franco-musulmane, les autorités n’envisagent pas la population marchant ensemble, mélangée, sur un chemin allant dans une même direction, mais chacun sur son trottoir, Eugénie et sa famille paternelle étant renvoyée sur le trottoir «musulman».
Si Eugénie Djendi n’a pas d’origines familiales suffisamment tranchées auxquelles la rattacher, son engagement au service de la nation pourrait la renvoyer à une mémoire militaire.
Malheureusement, son statut de personnel «féminin» de l’armée introduit immédiatement une ambiguïté voire une exclusion. Femme, elle n’a pas signé un engagement comme les hommes. Quand on lit les courriers du général Merlin pour défendre ses ouailles lors de la création du corps des AFAT on perçoit bien que les femmes restent des militaires d’un ordre subalterne. Et cette position tient beaucoup plus aux autorités responsables, y compris féminines, de ce nouveau corps de personnel, qu’aux officiers qui ont eu à commander des femmes. Cette prévention s’est certainement propagée dans certaines instances d’anciens combattants dont on pourrait pourtant penser qu’ils étaient sensibles à la mémoire et à la commémoration de leurs anciens. Aucune inscription du nom d’Eugénie Djendi n’a été faite sur un monument aux morts. Pourtant un projet avait été initié à Ucciani dans son village d’origine. Il semble que les groupes d’anciens combattants locaux n’aient, pour le moins, pas donné suite, laissant même le soin de l’entretien de la tombe où est apposée la plaque mémorielle au bon vouloir des voisins une fois la grand-mère décédée. Toutes les institutions militaires ne sont pas identiques. L’arme des Transmissions a fait un geste à usage interne en inscrivant son nom sur la plaque .de la caserne du Mont-Valérien. Mais seuls ceux qui y ont accès le savent et ils ne sont pas nombreux. En fait, parmi les organisations militaires seuls les Services Spéciaux ont fait. preuve de fidélité et de reconnaissance en inscrivant son nom sur le monument de Ramatuelle. On peut certainement voir en cela la volonté personnelle de Paul Paillole comme celle de Lucien Merlin qui n’a jamais manqué de rappeler le souvenir de ses quatre merlinettes dans tous ces textes et conférences tenues après guerre. Malheureusement, les services secrets ne sont pas les meilleurs vecteurs pour faire connaître au grand public des parcours individuels souvent atypiques.
Puisque la mémoire d’Eugénie Djendi n’arrive pas à trouver place dans les catégories précédentes peut-être la trouverait-elle mieux dans celles issues de la Résistance. Si l’on prend pour guide la structuration du « mythe de Résistance » que propose Gildea, il semble normal qu’elle ne s’insère pas mieux dans le récit gaulliste, national, militaire et masculin qui prédomine dès la sortie de la Guerre. « La résistance s ‘est mise en place dès le début de la guerre derrière le général de Gaulle à Londres, tandis qu’une poignée d’égarés collaboraient avec l’ennemi, une minorité de résistants actifs soutenue par la majorité des Français libéraient la France soutenus militairement par quelques étrangers ». Elle ne peut trouver sa place dans ce récit, elle n’appartient à aucune de ces catégories. En juin 1940, elle n’a que 17 ans et elle vit en Afrique du Nord. Elle ne croisera la route gaulliste que quand le général viendra à Alger. Mais à ce moment, ses engagements sont pris. La Résistance de l’intérieur qui libère son pays ne peut la concerner non plus à moins de donner au concept d’intérieur une dimension purement patriotique. Dans ce récit appartiendrait-elle à l’aide minoritaire venue de l’étranger ? Sûrement pas à la majorité passive e encore moins aux égarés. Non, elle n’est pas un personnage de ce récit. Elle ne l’est pas non plus de la geste communiste qui prend corps en opposition à la précédente lorsque le parti quitte les sphères du pouvoir.
Venant d’Algérie son souvenir collectif ne pouvait pas non plus résister aux fractures qu’occasionnera la Guerre d’Algérie et à la mise à mal du mythe résistant par le comportement d’ancien héros, de militaires en particulier. On se limitera, pour rester avec des noms que l’on a croisés, à penser au général Juin placé entre deux chaises et au général de Larminat qui préfère le suicide au choix entre les loyautés qui lui sera imposé.
A partir des années 80, la mémoire militaire nationale et masculine de la Résistance bascule vers celle du génocide des juifs et d’autres minorités et à la commémoration de leurs sauveteurs. Eugénie Djendi n’a aucune place à prendre dans cette partie de l’Histoire.
Le souvenir et l’entretien de la mémoire des déportés et des exactions dans les camps de concentration auraient aussi pu être une occasion pour que la figure d’Eugénie Djendi soit maintenue vivante. Il n’en a rien été ou si peu. Militaires dans un camp de déportées politiques Marie-Louise Cloarec, Eugénie Djendi, Pierrette Louin et Suzanne Mertzisen n’étaient, comme elles le pensaient d’ailleurs, pas à leur place. Au-delà du partage des souffrances et du martyr, leurs codétenues savaient-elles vraiment qui elles étaient et ce qui les avait conduites à Ravensbrück. Il est révélateur de noter à ce sujet qu’il n’est jamais fait référence à leur statut militaire, et encore moins d’agent du contre-espionnage. Elles sont les « quatre petites parachutistes » dans le texte de Germaine Tillion de 1946 et sont encore « les parachutistes » dans la revue « Voix et visages » de janvier 1986. Quarante ans plus tard, leur identité de déportées se résume à leur mode de transport pour venir en France.
Dans tous ces méandres, accaparements, récits et mythes, le souvenir d’Eugénie Djendi n’a pas trouvé sa place ni son chemin. Ceci d’autant plus qu’il n’y avait pas, ou peu, de famille qui connaisse suffisamment bien les faits pour s’en préoccuper. Si nous souhaitons que le souvenir d’Eugénie Djendi, son parcours, son engagement et son martyr restent présents dans les mémoires il ne faut pas compter sur son inscription dans une mémoire collective. La solitude inhérente à son engagement dans les services spéciaux nous oblige à nous souvenir d’elle uniquement comme la personne qu’elle fut dans sa singularité indépendamment des identités multiples et successives qui la constituent, mais ne la résument pas

 

La vie brisée d’une Merlinette

Un livre, qui vient d’être publié, retrace la vie d’une de ces volontaires féminines des transmissions, les Merlinettes, dont ce blog a longtemps recherché les traces.
L’histoire de la Seconde Guerre mondiale évoque très peu les femmes.
Ma mère, Madeleine, s’était engagée à Alger en 1943
pour libérer la France et contre le nazisme.  Elle en est revenue, vivante.
Mais c’est avec beaucoup d’émotion que je découvre ce livre
qui évoque une Merlinette massacrée à Ravensbrück.
Merci aux auteurs.
Caillou, le 13 juin 2020

ISBN: 978-2-343-19952-8

 

Ce livre est le récit d’un destin singulier et d’un engagement particulier dans la Seconde Guerre mondiale et la Résistance.
Eugénie Djendi est née à Bône (Algérie) en 1923. Engagée parmi les premières dans le Corps Féminin des Transmissions à Alger en janvier 1943, elle participe à la Campagne de Tunisie.
Repérée par les Services de la Sécurité Militaire, ils la recrutent en septembre 1943 comme agent du contre-espionnage au sein du réseau des « Travaux Ruraux ». Transférée en Angleterre après avoir été formée en Algérie, elle est parachutée en France en avril 1944. Son opération de parachutage ayant été trahie, elle est immédiatement arrêtée par les Allemands. Déportée vers Ravensbrück le 11 août 1944, elle y est assassinée d’une balle dans la nuque le 18 janvier 1945.
Elle n’avait pas 22 ans.

Un destin singulier qui n’a pas, ou si peu, laissé de traces. Un bel exemple de ces parcours discrets pourtant au cœur de l’Histoire.

Dominique CAMUSSO est titulaire d’un DEA de sciences humaines. Il se consacre actuellement  à la rédaction de parcours biographiques au cours des conflits du XXe siècle.
Marie-Antoinette ARRIO, titulaire d’une maîtrise d’histoire moderne. Elle cherche à conserver  vivante la mémoire  des combattants corses de la Seconde Guerre mondiale.

Matthieu

Demain 11 mai c’est le jour du déconfinement.
et la fin du défi d’un texte par jour démarré le 16 avril 2020 .
Merci à toutes et tous pour vos contraintes de 6 mots,
pour vos encouragements et vos commentaires
et merci en particulier à Maryse et Annick.

Matthieu se présenta au juge cette année-la
pour réclamer justice contre un bonimenteur
Ce Jean avait vendu un shampoing protecteur
Censé lui redonner les cheveux de Shiva.

Le juge mâchonna ce nom en zozotant
(il avait le pauvre homme un cheveu sur la langue)
Je vois que vous avez la tête d’une mangue
Ce Jean est un menteur. Arrachons-lui les dents.

Matthieu le remercia.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Annick
Année, juge, nom, remercier, Matthieu, mâchonner.

Caillou le 10 mai 2020

Et le texte d’Annick

Année Matthieu

Ah monsieur le juge, je ne vous parle pas de tous les noms d’oiseaux que l’on m’a donnés, de toutes les railleries, moqueries que j’ai dû subir toutes ces années.  Vous voyez, Monsieur le Juge, comme je suis embêtée pour vous expliquer l’inconfort que m’a procuré ce prénom ridicule. ANNEE ! ANNEE ! Quelle idée est  passée par la tête de mes parents pour me prénommer ainsi ? Je vous le demande, monsieur le juge. On m’a appelé bissextile, sextile, et je ne vous parle pas des jeux de mots. Je ne suis pas prude mais tout de même.  Et puis Mois, Semaine, Jours enfin toute l’année déclinée rien que pour moi. Et puis, monsieur le juge, mon nom de famille, celui là m’a bien pesé aussi.

MATTHIEU. Matthieu alors là, j’ai eu droit à Y’a qu’un ch’veux sur la tête à Matthieu, Y’a qu’une dent, Y’a qu’une dent, heureusement, à l’époque, monsieur le juge, ma dentition était complète, bien sûr maintenant c’est autre chose et je suis obligée de mâchonner tout ce que je mange. Je peux vous dire que la soupe j’en ai par dessus la tête. Un enfer. Martyrisée que j’étais par mes camarades. En plus comme mon père était douanier, les petits pics fusaient continuellement (les grandes montagnes ne tardaient pas). Ste Martyr, ne vois tu rien venir ?

(Le juge intervient) Madame, vous allez avoir 90 ans, pensez-vous que cela va changer quelque chose à votre vie ?

(Année outrée) Mais monsieur le juge, on voit bien que ce n’est pas vous qui avez enduré toutes ces années ce prénom si mal porté ! Si je ne m’étais appelée qu’Année mais Année Matthieu, (elle s’exclame) le bouquet !. Combien de fois ai-je entendu Selon St Matthieu ceci Selon St Matthieu cela. Alors je vous le demande tout de go, faites quelque chose et vous en serez remercié. Voyez-vous monsieur le juge, vous l’aurez compris, j’ai un intérêt légitime à changer de prénom. J’ai décidé de reprendre des études mais l’idée d’être prénommée et nommée publiquement Année Matthieu me terrifie.

(Le juge intervient une 2eme fois) : et quel prénom avez-vous choisi ?

J’ai pensé que Clitorine pourrait m’aller mieux. Ca sonne bien Clitorine. Je me suis entraînée à m’appeler. Ma petite voisine, plus jeune que moi de quelques années, m’appelle maintenant comme ça. Elle me dit que ça me va bien. Et je la crois. Je me regarde devant la glace, je vois une autre femme. Un avenir s’ouvre à moi. Je ris, je chante et même l’épicier, qui a souvent la main lourde, rajoute quelques légumes à mon panier.

(Le juge légèrement cynique) : pensez-vous que ce prénom si féminin ne vous causera pas d’ennuis ?

Monsieur le juge, j’ai beaucoup réfléchi. Vous comprenez bien que 90 ans à porter le prénom d’Année, j’ai eu le temps d’y penser. Je n’ai pas fait ça à la légère. Et s’il vous plaît, j’ai commencé à m’inscrire à l’université. Il n’y a plus grand-chose à faire. C’est décidé, si vous ne me l’accordez pas je le changerai quand même.
 Le juge dans sa grande clémence, prend son marteau, frappe son bureau de trois coups et dit : « c’est accordé ».

Et un texte de Maryse

Panne sèche

Ces mots, tout droit tombés de ma bibliothèque ont tourné et retourné dans ma tête. Aucun n’a trouvé âme soeur pour raconter. Et tel le corbeau de La Fontaine, je me sens honteuse et confuse d’avoir séché cette épreuve finale. Mais rassurez vous, d’autres ont su les mettre en scène, alors je vous les livre.

“Le grand pêché du monde c’est le refus de l’invisible”. julien GREEN.
“Chaque vie se fait son destin”. Henri-Frédéric AMIEL
“J’aime un amour fondé sur un bon coffre-fort”. Le Joueur -JF REGNARD
“Les anges révoltés volent en rangs”. Henri PETIT

Aujourd’hui, le confinement a muselé mon imagination. Demain une fenêtre s’ouvre…. Espérons qu’elle ne restera pas entrebâillée, sinon autre solution “faire le mur”.

Avec les mots : invisible, destin, coffre, corbeau, ange, mur.

La visio-conférence

Je voudrais faire une remarque sur un phénomène curieux lié à l’utilisation des outils informatiques en période de confinement. Ceci est observable aussi bien dans la plupart des journaux télévisés de la période que dans nos expériences familiales et amicales de visio-conférences.

Dans la vie courante, lorsque nous nous parlons nous sommes face à face. Il y a bien évidemment des exceptions, chez le patron et les supérieurs – ils sont assis, je suis debout, chez les flics – je suis assis, ils sont debout, à l’hôpital je suis couché, l’infirmière, l’aide soignante et même parfois tout un aréopage de médecins et d’étudiants sont debout, mais tous ces cas particuliers renforcent d’autant la normalité égalitaire d’un habituel rapport de conversation. Nous sommes à peu près à la même hauteur et donc face à face. Il n’en est pas de même avec la visio-conférence. La caméra utilisée étant celle de l’ordinateur, nous voyons nos interlocuteurs du bas vers le haut, menton proéminent, front fuyant et vue, en arrière plan sur le plafond. Et si on se rappelle (oui je sais c‘est difficile), c’est comme cela qu’on voyait nos parents. Nous sommes petits et ils sont grands!

Dans la vie quotidienne, lorsque nous nous parlons nos regards se croisent. Nous sommes, comme beaucoup de mammifères, dans la reconnaissance constante du est-ce que j’existe pour toi comme tu es pour moi même? Ce jeu des regards est très important car il nous donne ou pas une place dans la vie de l’autre. Il y a là aussi des exceptions: derrière les guichets où l’autre regarde très souvent ailleurs, dans la rue où l’on ne regarde jamais un mendiant dans les yeux et surtout dans les transport en commun où tout regard croisé trop prolongé est considéré comme une impolitesse, une provocation ou une drague lourde. Mais ce ne sont là que des cas particuliers qui en disent long sur les rapports de domination. Et bien il me semble qu’il en de même sur nos bureaux d’ordinateurs où nos écrans de télévision. Les regards se croisent, certes, mais avec un décalage épouvantable. L’interlocuteur nous regarde mais nous ne le voyons pas nous regarder, la vision en est décalée. Ce regard fuyant ? C’est exactement comme cela que l’on nous ment! On ne nous regarde pas pendant qu’on nous affirme un croyez-moi ! péremptoire. Nous sommes petits et ils sont grands.

Enfin, le son des visio-conférences est très souvent haché, lointain, à la limite même du compréhensible. Contrairement au téléphone qui, de la bouche à l’oreille, nous met dans un rapport d’intimité, le son pourri d’hygiaphone électronique nous éloigne irrémédiablement des êtres qui nous parlent dans ces étranges lucarnes*. Serions-nous redevenus les bébés qui cherchent à comprendre les étranges sons des babillages qui se penchent sur eux? Serons-nous bientôt les vieillards sourds qui ne comprennent plus du tout ce qu’on leur dit et s’isolent alors dans le silence? Nous sommes petits et ils sont grands.

Peut-ête jucher l’ordinateur portable, ou du moins sa caméra, sur un escabeau ? Peut-être s’éloigner pour être en plan large et utiliser le téléphone pour s’entendre avant d’inviter ses amis à boire virtuellement l’apéro ? Je préfererais  revoir les gens que j’aime ou qui m’informent me parler face à face, le regard bien droit et d’une voix pure.

(* Citation empruntée au Canard enchaîné des années 60)

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par… moi-même:
menton, plafond, bureau, lointain, escabeau, boire.
J’avoue d’ailleurs avoir triché puisque imposé ses mots
en fonction de ce que je voulais écrire.

Caillou le 9 mai 2020

 Et le texte de Maryse

Mots d’enfants

Le lieu : appartement avec balcon – quartier calme
Les protagonistes : Igor, le père prof (télé travaille)
Capucine, la mère infirmière
Lulu, le fils 10 ans
Sidonie, la fille 8 ans
Pilou, le chat.
La mère, déjà partie à l’hôpital après avoir embrassé les enfants.

9 H du matin: 
Les enfants sautent de leurs lits tels des diables sortant de leur boîte et se jettent sur le petit déjeuner que le père a préparé.
Le père – ” bonjour les enfants. Ce matin, j’ai une visio-conférence. Je vous demande de jouer gentiment dans votre chambre”
Les enfants – ” oui, papa”. Le confinement les avait rapprochés, ils étaient plus que jamais complices et créatifs. Ils inventaient des jeux, parfois bruyants, mais bon, le
principal était qu’ils ne se disputaient plus.

9H30 du matin :
 Igor part au bureau allumer l’ordinateur. Il avait changé le fond d’écran. Au premier plan, un balcon, au lointain la mer. Confiné, Il avait éprouvé le besoin de s’inventer un horizon. Parfois il restait quelques minutes devant en se grattant le menton, songeur.
Lulu et Sidonie regagnent leur chambre.
Igor rejoint les conférenciers.
Calme plat.

11 h du matin : Igor éteint l’ordinateur et gagne la chambre des enfants, il ouvre la porte et là ….. Il voit Lulu et Sidonie assis sur l’escabeau qu’il a oublié de ranger (la veille, il avait repeint la chambre). Ils contemplent leur œuvre. Sur les murs des dessins. Des mots : confinement, virus, chouette pas d’école, marre du télétravail, on s’amuse bien, câlin, bisous, vacances, papa, maman on vous aime, ennui, les copains nous manquent…..Seul le plafond vierge. Il ne dit mot, se retourne, referme la porte et part à la cuisine boire un coup pour désamorcer sa colère.
Tout doucement, Lulu et Sidonie le rejoignent et, lui tendant un pot de feutres “toi aussi papa tu peux écrire tes émotions”.

Et aussi celui d’Annick

7 rue Emile Zola

Elle est au 36ème dessous.  Ca fait 22 heures qu’elle n’a pas dormi. Les yeux au plafond, les pieds sur le bureau, le regard fixe, elle pense encore à cet immeuble grisâtre, abandonné depuis qu’on a détruit une grande partie de la cité.  A moitié assommée par le manque de sommeil, elle enfile son blouson, celui que sa mère a brodé d’oiseaux de couleurs et de fleurs. 

Marcher lui fera du bien et ses pas sans même s’en rendre compte la mène jusqu’au pied du bâtiment haut de quatre étages. Les quelques volets qui restent bringuebalent sous l’effet du vent violent qui vient de se lever. Elle est passée plusieurs fois devant, intriguée par le rebord de la fenêtre toujours fleurie, lointain, lointain souvenir de son enfance. 

Elle voudrait monter. Hésite et finalement se décide à pousser la porte d’entrée du hall de l’immeuble. Métal rouillé, vitrage renforcé par un treillis métallique défoncé. Quelque chose coince derrière, elle insiste et se rend compte qu’un escabeau aux marches vermoulues bloque le passage.  Elle parvient à entrer et  grimpe les marches, le pas lourd et le corps fatigué. Quelle porte ? Son sens de l’orientation lui a toujours fait défaut, elle ne sait s’il faut se diriger sur la gauche ou la droite dans le couloir étroit. La moquette marron, usée par les talons fait la grimace à maints endroits. Des lambeaux  rongés par les mites dégagent une odeur poussièreuse, légèrement âcre. Elle n’est plus très sûre de ce qu’elle veut.

Boire. Elle a soif. Ni épicerie, ni bar. Le silence et de l’herbe folle. Elle se souvient des jours heureux aux HLM lorsqu’avec ses sœurs, une boîte d’allumettes trouée dans la main , elle courait dans les friches autour pour capturer les sauterelles. Le dimanche, les enfants  partaient avec les mères se baigner au Poupenot, près du moulin sur la Brenne.

Le passé est loin. Les parents sont morts. Elle reste là un peu sonnée, étourdie par ce temps qui revient sans prévenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce texte

 

ANNICK: DIMANCHE: Année, juge, nom, remercier, Mathieu, mâchonner

 

et Maryse, si tu veux pour Lundi matin

 

 

 

Rugby

Vendredi 8 mai 2020.
Ce jour férié en l’honneur de la victoire du 8 mai 1945 n’en est pas vraiment un… C’est pour lui un jour comme les autres. À 10 heures du matin, quand il sort de la ville, déjà presque vide, avec ses grandes avenues désertes et ses parcs abandonnés ou la nature a repris tous ses droits, et qu’il traverse la banlieue nord, entre usines à l’arrêt, puanteur de l’incinérateur, barres d’immeubles et terrains vagues, il est empreint d’un terrible sentiment de solitude et d’angoisse. Il n’a pas croisé plus de 6 voitures et vu très peu de passants. Le ciel est bas, terne et gris. Aucun souffle.
Devant les hauts murs du stade où il gare son scooter, dans le silence, il n’entend plus que les oiseaux qui s’appellent et se chamaillent. Il se fait ouvrir la porte électrique par le jeune gardien à casquette sorti un instant de son bureau. La pluie arrive. Par un des passages, il pénètre sur les gradins. C’est un lieu mythique que le stade Ernest Wallon.Ila vu s’affronter les plus grandes équipes de rugbydu monde.
Il y est venu souvent, au milieu de foules incroyables, vociférantes, vibrantes, réagissant comme un seul homme – et oui, c’est un milieu très peu féminin – lors des montées offensives, retenant son soufle, dans un impressionnant silence, quand le butteur s’élancait pour une tranformation et hurlante de joie ou de déception lorsque le ballon ovale passait entre les poteaux. Il était au milieu de ces supporters répétant avec eux les mille et une conneries savantes qu’ils s’échangeaient à l’infini, manière de dire pour ne rien dire d’autre que le profond plaisir d’être ensemble.
Mais ce matin-là, c’est tout autre chose. La rédaction lui a demandé un reportage, pour illustrer le confinement, sur un ancien champion du stade toulousain. Il a choisi de le rencontrer et de le photographier sur les lieux mêmes de ses anciens exploits. Et d’ailleurs, le voilà. Il est accompagné du jeune gardien à casquette qui gardait l’entrée.
C’est un vieil homme fatigué avec une canne et bien sûr un béret. Il doit sourire mais son masque de papier lui cache la moitié du visage. Un très beau regard. Ce vieux monsieur ne paie pas de mine mais son nom est célèbre et mêmes les enfants nés bien après ses combats le connaissent encore. Sans se serrer les mains, ils s’assoient à quelques fauteuils l’un de l’autre. Il enlève doucement les élastiques de son masque. “Voilà, c’est moi.”
Le reporter est un peu ému. On le serait à moins. Il prépare son appareil. Se concentre…
Et c’est à ce moment-là, que le jeune gardien qui allait repartir vers son bureau se ravise et leur demande, timidement, s’ils ne voudraient pas, après l’interview, venir le rejoindre pour partager avec lui un peu d’omelette aux champignonsavec une bonne bouteille. Ce serait pour lui un grand honneur de recevoir Monsieur …

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Jacques:
Rugby, poteau, supporters, conneries, vociférations, omelette aux champignons

Caillou le 8 mai 2020

Et le texte d’Annick

16 ans

Les supporters étaient entrés dans l’arène
et portaient les frères Moulines avec orgueil
la Vierge rouge avait gagné cette année-là
Point de vociférations, point de vacarmes point de conneries
Des rires des larmes de la joie. Le rugby
les unissaient dans un même élan
Omelette, c’est ce qu’il préférait
et tous l’appelaient Omelette aux champignons
parce que les jours d’automne il disparaissait
Il venait d’avoir seize ans
Comme il était le plus jeune
le coup d’envoi était pour lui
Une faveur qu’on lui faisait
et il savait en être reconnaissant

Rien ne laissait supposer les catastrophes à venir
Qu’à seize le roulement de tambour peut être pour toi
Qu’à seize ans tu peux mourir
Qu’à seize ans alors que tu n’es qu’un enfant
Personne ne peut t’entendre pleurer et gémir .

Puis la noirceur du ciel et de la terre s’en est allée
Les battements d’ailes des oiseaux chanteurs
ont sifflé le retour du printemps
Tu regardes le terrain, les poteaux en forme de H
Des camarades ne reviendront pas
mais toi tu es en vie, tu es en vie, le cœur brûlant.

Et le texte de Maryse

Ah le sport !
Ce soir, Marcel part au stade avec les copains voir le match de rugby France/All Blacks.
Je me suis dit “pour une fois je vais l’accompagner devant la télé”. Pas de femmes avec eux! Ils feront leur troisième mi-temps en bons machos. Pour tout vous dire je n’ai aucune envie de partager leurs beuveries, leurs blagues salaces et leurs conneries d’adolescents attardés.
 Avant le spectacle je me prépare une omelette aux champignons, un verre de corbières et je m’installe devant le poste.
Ça commence. 30 bonshommes, deux équipes : les Français et les All Blacks. Les spectateurs se lèvent et j’entends la Marseillaise. C’est au tour des Néozélandais qui se lancent alors dans un aka diabolique. Deux chants guerriers pour une rencontre sportive…
Dans les tribunes, les supporters commencent à s’agiter, déploient des banderoles, sifflent dans des trompettes un vrai bordel !
 Sur la pelouse, c’est l’attente du coup de sifflet de l’arbitre. C’est parti !
J’ai du mal à repérer les équipes. Ah ça y est France en blanc, All Blacks en noir (Hi ! Hi! C’est original).
 Je vois des types qui courent dans tous les sens, se faisant des croche pieds, se bousculant. Et tout à coup ils s’attrapent, se positionnent telle une tortue (ça doit être ça la mêlée) et ils poussent, poussent … Jusqu’à ce que le ballon soit expulsé. Et ça repart, courent, se plaquent, se disputent le ballon….
Tout à coup j’entends “essai”. Mais essaie quoi ? J’y comprends rien. Je vois un All Black à plat ventre sur le ballon derrière une ligne jaune. Je me dis “il a dû trébucher”. L’arbitre siffle ” transformation”. Alors là c’est le summum ! Pour moi, la transformation c’est quand pépé tue le cochon et qu’il le transforme en saucisses. 
Et là, je vois un type, un grand noir, bien bâti, debout le ballon à ses pieds. Je suis bouche bée et laisse tomber une pleurote. Ils ne sont pas tous comme les mastodontes qui faisaient la tortue tout à l’heure !
La caméra: gros plan sur l’homme concentré, le pied sur le ballon puis zoom sur deux poteaux. Faut suivre ! Je ne vois pas bien le rapport entre les deux plans. Et tout à coup, il tire, travelling de la caméra, le ballon vole et pile entre les deux poteaux ! Des vociférations s’échappent des tribunes.
Ainsi de suite jusqu’à la fin, sifflets, tortue, essai, transformations, slogans des aficionados.
 Score : 30 a 15 pour les All Blacks qui se lancent dans un aka déchaîné. Côté Français la défaite est amère, ils regagnent les vestiaires tête baissée.
J’éteins la télé, j’attends son retour.
Pas de troisième mi-temps, il va rentrer dépité et je vais devoir le consoler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La foire aux clichés

Dans une sombre impasse d’un vieux quartier parisien, au fond du 13ème, entre La butte aux cailles et la porte de Gentilly se terrait la boutique du docteur Créhange. Sous l’enseigne défraîchie l’ANARCHIVISTE au graphisme désuet, la vitrine en était poussiéreuse et j’avais le plus grand mal, ce soir-là, à discerner au travers si un employé ou le docteur lui-même y officiait encore. En tout cas je n’y voyais aucune lumière.
Le réverbère encore allumé à une dizaine de mètres n’éclairait lui-même pas beaucoup. Juste un vague espace sur le trottoir mouillé. Je devais prendre une décision car un type, manifestement saoul, un énorme mastard en duffle coat, traînait vers le coin de l’impasse déserte et s’approchait de moi. Je me résolus à ouvrir la porte qui, curieusement ne me résista pas, et une petite clochette tintinnabula.
Un chien aboya dans une pièce à l’arrière. Je ne le voyais pas mais je savais intuitivement qu’il s’agissait d’un petit chien car son jappement était aigu, comme celui d’un teckel. J’entendis alors un bruit de pantoufles raclant le vieux carrelage et vis apparaître le docteur en blouse grise qui, onctueux, me demanda ce que je désirais. On aurait dit une caricature antisémite du début du siècle, l’autre bien sûr. Voûté, coiffé d’un calot hors d’âge, il se frottait les mains en me dévisageant. Peut-être avait-il froid? Peut-être flairait-il la bonne affaire?
Que puis-je pour vous, jeune homme?Sa voix était chevrotante…
Bonjour monsieur. Je cherche un livre rare et j’ai vu sur votre site Internet que vous en possédiez un exemplaire.
Oui, c’est possible. Quel en est le titre ?
“De la misère en milieu étudiant”, mais dans l’édition de 1966.

Ah, je vois, je vois…
Il prit un gros livre noir sur le comptoir, en tourna quelques pages… Je me demandais bien comment il pouvait y voir dans cette pénombre… Puis, pointant du doigt une ligne s’écria: Maaaaaaryse. Et une superbe blonde aux formes ahurissantes surgit elle aussi d’un recoin.
Pouvez-vous s’il vous plaît aller chercher cet ouvrage qui doit être sur l’étagère du haut de la quatrième travée? Elle se jucha sur un escabeau et nous la regardions, le docteur et moi-même, en gravir les marches, dans sa robe légère, jaune canari, qui froufroutait.
Ce doit être à côté dans les P, entre Ploutocratie et Proutotype… Vous le voyez?
Elle ne répondait pas mais je ne pouvais pas la quitter des yeux. Le blond platine de sa chevelure éclairait cette boutique obscure. Après quelques minutes, sur son escabeau, la très belle Maryse murmura que le bouquin que je cherchais n’y était pas mais qu’il était peut-être en réserve, ce qui demanderait plus de temps.
Le docteur me regarda, un peu déçu:Je peux vous le reserver? Vous savez cher monsieur, vous auriez du nous contacter d’abord. Nous aurions chercher votre ouvrage et vous l’aurions fait parvenir dans les plus brefs délais. Nous travaillons surtout avec Internet. Surtout depuis cette malheureuse épidémie de 2020.
Je lui laissai ma carte et des arrhes et tandis que je repartai, j’entendis le docteur dire à son employée:
Nous allons fermer. Vous pouvez lâcher Biblioteckel.
Dans la ruelle, l’énorme type émêché cherchait ses clefs sous la lumière du réverbère, du moins c’est ce qu’il me dit quand je le lui demandai.
Mais, c’est là que vous les avez perdues?
Non, mais c’est là, qu’il y a de la lumière.

  

 

 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Maryse:
Anarchiviste, escabeau, biblioteckel, proutotype, réverbère et poussiéreux

Caillou le 7 mai 2020

Le texte de Maryse

Un mot peut en cacher un autre

Alfred, anarchiviste de profession, politiquement vêtu : pantalon noir, chemise blanche col Mao et blazer jaune arriva à l’entrée du bâtiment spécialisé en Histoire. Sur le trottoir, il repéra un réverbère et en profita pour laisser Léon, son biblioteckel , lever la patte après avoir longuement reniflé la canisette. Il avait l’habitude de l’emmener avec lui car il s’assurait ainsi que personne ne viendrait interrompre ses recherches. Léon possédait un flair exercé à repérer tous les rats de bibliothèque et il lui suffisait de montrer les crocs pour que les intrus s’éloignent sur le champ. Il entra dans la grande salle. Juste devant le rayonnage qui l’intéressait, un individu était installé sur un escabeau poussiéreux et feuilletait le dernier numéro de Butagazette (journal dont le papier offre une excellente qualité de combustion). Nul besoin de faire appel à Léon pour évincer le dit lecteur, un discret proutotype de son maître et la place fut libérée.
Il passa en revue les titres des ouvrages alignés : capital, oeuvres complètes de Lénine, Boukharine. Trotsky…..et, tout à coup Beurreka ! Il tenait sa bible, celle qui allait l’aider à fomenter sa révolution “traité de cassoulèvement” co écrit par L. Spanghero et O Besanc….”. Il s’assit à une table, Léon couché à ses pieds et commença sa lecture.

N.B Pour ceux qui se poseraient des questions linguistiques à la lecture de certains mots, se référer à “Dictionnaire des mots valises” – Alain Grehange.
Pour ceux qui partagent les mêmes intérêts livresques qu’Alfred, site www.castelnaudary/revol.com

 

Ainsi que celui d’Annick

Irèné

Chaque matin avant de partir à la bibilothèque de St Gall, Irèné confie son teckel à la voisine qui adore la bête et la gave de sucreries aussitôt que l’archiviste tourne le dos. Elle l’a surnommé  Anarchiviste parce qu’elle voue une grande affection à la bibliothécaire qu’elle voit régulièrement manifester.
La spécialité d’Iréné c’est classer les chartes, les manuscrits enluminés enfin tout ce qui se rapporte à l’époque médiévale. Pas une mince affaire. Ils se trouvent dans les travées du haut alors elle passe sa vie les bras tendus juchée sur un escabeau de bois vieilli qui couine dangereusement . Son collègue, un  Albanais de Tirana, a tendance à être très approximatif lorsqu’il parle de ces documents anciens, qu’il appelle des « proutotypes » parce qu’ils sont uniques au monde. Les rayonnages en épis, souvent poussiereux, forment des fleurs qu’elle aime regarder lorsqu’elle est au sommet de l’échelle, toute proche du plafond qui lui donne le vertige.
Le soir lorsqu’elle rentre fatiguée, pour oublier les motifs rococos, les enluminures dorées et tarabiscotées des textes sacrés encore incrustés au fond de ses yeux, elle fait un détour chez l’épicier  du coin et prend quelques rostïs, un  Älplermagronen et bien sûr de la compote de pommes pour accompagner le tout. Quelqu’un vient dîner qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Elle passe rapidement chez la voisine intriguée par tant de victuailles. Mais elle ne dira rien.
Anarchiviste ou Biblioteckel l’attend avec impatience.  elle a mis du temps à lui trouver un nom mais tout naturellement Biblioteckel s’est imposé à elle parce qu’elle lui lit des histoires tous les soirs et que le dimanche, ils regardent ensemble des documentaires animaliers. De ses deux noms, le chien ne s’en formalise pas puisqu’il a compris qu’il pouvait en  tirer profit.
Après dîner, la balade chargée de faire baisser la glycémie, consiste à descendre et à monter dix fois la rue des Illustres jusqu’au réverbère rouillé où des milliers de petits insectes viennent se brûler les ailes. Elle a  lu quelque part que les sept millions de réverbères en Allemagne font plus d’un milliard d’insectes tués. Elle est inquiète. Il faut dire que la période est difficile.  Alors Iréné a accroché à son balcon le slogan du moment Pas de retour à l’anormal. Ce qui lui vaut quelques ennuis dans la copropriété puisque la charte des COPROPRIETAIRES pas coco du tout mentionne pas de politique. Ce soir, le chien fait la tête. Il ne sortira pas.
Bientôt 20 heures. Un petit tour à la salle de bain, lui rappelle qu’elle a dépassé la quarantaine et qu’il faudra  beaucoup d’efforts pour faire oublier toutes les rides qui petit à petit se sont installées au coin des yeux, au coin des lèvres, au coin de tout. Fermer la lumière. Elle chantonne tout en préparant la table.  Elle ne l’a pas vue depuis longtemps et a oublié que tout ça s’était bien mal fini il y a 10 ans déjà…

 

11 mai

Cet habit neuf dans le placard
je ne l’ai pas utilisé
depuis la fête l’été dernier.
Mais lundi 11 je vais le mettre
pour fêter la levée d’écrou.
Non, je ne mettrai pas ce masque !
Avec une belle chemise blanche
et ton foulard autour du cou.
La soie en souvenir de nous.
Je cueillerai le matin même
les iris du jardin, si beaux.
Avec mon bouquet de lumière
j’irai à notre rendez-vous.
Et quand enfin je te verrai
Après ces 6 semaines d’absence
nos regards seront si profonds.
Trempé de larmes je serai.

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Annick:
Neuf – soie – iris – lumière – profond – trempé

Caillou le 6 mai 2020

Et le texte de Maryse

La vie

人生

La lumière du soleil faisait scintiller les ardoises de la cour trempée de rosée. Satoko se réveilla, courbatue par les travaux de jardin de la veille, peina à se déplier hors du lit. Pourtant, il fallait qu’elle se presse. La veille, elle avait reçu un télégramme “j’arriverai par le bus de midi” signé Yukio. Elle voulait l’accueillir comme au temps de leur première jeunesse. Les années n’avaient pas épargné son visage et il faudrait quelques artifices pour qu’il retrouve son teint de porcelaine. Elle sortit dans la cour respirer l’air pur du matin, fit quelques exercices d’assouplissement, puis rentra préparer le thé. Elle pensait “neuf ans qu’il est parti”, elle ne l’avait pas retenu. Il voulait se mettre à l’écart du monde, seul pour écrire sa vie. Pendant toutes ces années, aucune nouvelles. Mais elle le savait, il était vivant. Elle relisait le télégramme. Elle l’imaginait vieilli, heureux d’avoir atteint son but. Et tout ce qu’il lui raconterait ! Elle était née à Tokuri et à part quelques visites à la ville, son univers c’était Tokuri.

Elle s’affaira dans la maison, vérifia le moindre détail. Rien n’avait changé depuis son départ. Elle alla au jardin cueillir quelques iris qu’elle mit dans un vase sur la balustrade du perron. De retour dans sa chambre, elle sortit de l’armoire le kimono en soie qu’il lui avait offert avant son départ et l’étala sur le lit. Elle ne l’avait jamais porté, le gardait religieusement pour son retour. Elle remplit d’eau le grand baquet en bois, y jeta une poignée de sels parfumés et s’allongea. Elle ferma les yeux et s’assoupit un bref instant. 10h déjà ! Vite elle sortit, se sécha vigoureusement, s’assit devant sa coiffeuse, brossa sa chevelure qui n’avait rien perdu de sa vigueur et fit deux tresses qu’elle fixa sur le dessus avec un peigne de nacre. Elle poudra son visage, une touche de rose sur les joues, teinta ses lèvres. Elle resta un instant à se regarder dans le miroir, sourit. Elle avait oublié qu’elle était encore belle. Elle enfila le kimono, noua la ceinture, mit ses chaussons noirs et alla l’attendre sur le perron. Elle le vit au bout de l’allée qui s’avançait, voûté. Il s’arrêta, se redressa et d’un regard embrassa tout l’espace. Il s’avancèrent l’un vers l’autre, il lui tendit les bras.
” j’ai brûlé tout ce que j’ai écrit” dit-il. “Il m’a fallu toutes ces années pour comprendre que ma vie est inscrite ici, dans la maison que j’ai bâtie, la terre que j’ai travaillée, les arbres que j’ai plantés. Il me suffit de regarder, ma vie est écrite ici. ” Il poussa un profond soupir, l’enlaça et dit “continuons à vivre notre vie, ici, ensemble.”

Wagner

5 mai 2020


Lettre à Monsieur le rédacteur de l’articulet paru en page 6
et sur le site internet du bulletin municipal de T.


Vous n’êtes qu’un folliculaire plein d’affèteries ridicules. Et anonyme en plus.
Votre passion journalistique est de bas étage ! Et très proche, malgré vos formules alambiquées, de la délation de pissotières. Vous avez cru pouvoir me dénoncer et m’insulter en livrant à vos lecteurs, je vous cite : « turpitudes du ludion excité de la rue Sainte Madeleine». Vous ne me connaissez pas. (Bien que je soupçonne que vous habitiez au n°27 de la sus-dite) 

Si je sors toutes les nuits pour promener mon chien c’est parce qu’il souffre d’agrypnie. Et ce depuis plusieurs années. J’ai de nombreux certificats de vétérinaires qui peuvent le prouver. Je ne contreviens donc pas du tout par plaisir aux exigences du confinement exigé par les autorités.
J’ai parfaitement le droit de promener mon « cador hurleur » de 3 heures à 4 heures du matin toutes les nuits et, tant qu’à faire, je préfère que mon petit Wagner adoré aboie dans la rue, et particulièrement sous les fenêtres du 27, plutôt que dans l’appartement, au risque de réveiller mon épouse.
J’exige donc que vous vous excusiez sur le site internet de votre torchon municipal, faute de quoi je porterais l’affaire devant les tribunaux.

Fait à Ticismele 5 mai 2020

 

Ce texte est écrit avec une contrainte de 6 mots, donnés par Jenny:
Atticisme, folliculaire, affeterie, agrypnie, Ludion et Madeleine
Vous pouvez m’en envoyer 6 autres

Caillou le 5 mai 2020

Et le texte de Maryse

À chacun son trip

Capucine actionna la clouche (instrument de musique et de cuisine utilisé entre autre pour sonner l’heure du repas). Octavio la trouva déjà attablée, affichant comme à son habitude une afféterie enjôleuse, trempant une madeleine dans la soupe tel un ludion dans son café fumant. Sa goinfraction (violation caractérisée des règles alimentaires) particulièrement exacerbée lors de ses périodes d’agrypnie le fit sourire. Il la regarda en se demandant quelle expérience elle pouvait bien encore mener. Elle était songeuse, regardait le biscuit se désintégrer lentement et murmura “tout corps plongé dans un liquide ….). Il ne put qu’admirer encore une fois l’alticisme de son langage.
Il se dit “elle a encore dû abuser des graines folliculaires qu’elle a semées au printemps dernier”. Encore une de ces expérimentations dont elle raffolait, toujours à la recherche d’un nouveau trip. Depuis, d’ailleurs, les pivoines engendrées par ces semences avaient largement empiété sur son carré d’herbes folles qu’il entretenait compulsivement.
Il la laissa à ses investigations et partit au jardin cueillir quelques herbes pour la tisane du soir, tisane qui, il l’espérait leur procurerait, sous la couette, une nuit tel un feu d’artifice.