Disparaître en Indochine – 2°

Disparaître en Indochine – Chapitre 2

Il s’engagea sur la rocade qui menait à Muret sous une pluie battante. Maître Viannet avait son étude dans le vieux quartier de la ville, près de la cathédrale. Thierry se rappelait très bien l’endroit. La plaque dorée surmontant le fronton du porche. Maison bourgeoise où il s’était déjà rendu une fois, avec sa mère et son grand-père, plusieurs années auparavant. Il trouva une place libre, juste en face, devant une banque concurrente. Il jeta un coup d’œil sur les employés qui s’affairaient, derrière la vitre, préparant l’ouverture, puis il courut sous la pluie, se réfugier sous le porche de l’étude notariale. Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 2°

Disparaître en Indochine – 1°

Disparaître en Indochine – Chapitre 1°

Le raclement âcre de la lame de rasoir sur la peau rêche, en levant le menton, sous le cou, avec plein de petits refus, comme le bruit des chaussures que l’on frotte sur un paillasson, et bien non, décidemment cela ne pouvait plus durer ! Thierry, comme chaque matin, se détestait. Le seul moment de la journée où il se regardait était désagréable. L’eau qui gicle et les regards en coin, quand on ne se reconnaît plus, et que l’on se trouve moche et triste. Déjà fatigué… Continuer la lecture de Disparaître en Indochine – 1°

Le soleil noir – 13° et fin.

Seul, rue de l’Université, Pierre met du jazz sur le pick-up. Il plonge dans les délices de l’apitoiement sur soi-même avec « Olé » de John Coltrane et son incessant battement de contrebasse. Il veut se faire à manger mais ne sait plus trop quoi faire. Va pour un œuf et des tomates, qu’il grille dans la poêle, et pour une bouteille de vin, qu’ils avaient mise de côté pour une bonne occasion… Dehors la nuit a fini par tomber. Seul, il ne sait ni quoi faire ni où aller, alors il rentre dans un bar voir s’il y a encore du monde… Puis il remonte dans leur chambre.
Demain il ira au Lycée, il reverra Andrée sans oser lui parler.
Puis les jours se suivent et les soirées où il tourne en rond le font sortir et fuir dans les rues.
Dans le quartier Latin, vers la rue de la Huchette… Il rencontre des anciens copains de première, des types inexistants et flous, qu’il méprisaient il y a quelques mois encore et qui ne pouvaient supporter sa morgue méprisante. Mais dans la fumée des bars, maintenant, quelle importance ?
Il noue des relations avec la sottise, sottise pas méchante mais écrasante, celles des clichés et des pensées communes d’un petit monde de la provocation, de la marge et des drogues. Il fume de plus en plus de l’herbe, aspire de l’éther. Il prend du LSD avec des types bizarres qui se réunissent sur les quais du fleuve, derrière la Gare d’Austerlitz.
Il perd son job vers la fin d’octobre. Et maintenant sans limites, il se perd complètement.
Le soleil l’éblouit car ses yeux ne sont plus habitués à la lumière du jour. Sur le quai où il échoue un jour, brillant de plus en plus, il n’y a que le soleil et la chaleur des pavés sous sa joue. Pierre se vide de lui-même. Indifférent et pessimiste il devient sans espoir, vivant au jour le jour.
Et puis, enfin, il disparaît au coin de la rue Véronèse et du boulevard des Gobelins.

Fin.

Caillou 1967

Le soleil noir – 12°

Septembre arrive enfin.
Pierre entre comme surveillant dans le lycée où Andrée travaille déjà. Il a, pendant l’été, perdu de vue Michel, Jacques et les copains anars. Seuls comptent Madeleine et son nouveau travail. Il rentre dans un moule…
Puis, après une quinzaine de jours, Pierre rencontre André à la sortie du bahut et elle lui propose de venir chez elle pour poser ses affaires, boire un coup, se changer, avant qu’elle ne vienne manger chez eux, rue de l’Université. « Juste un frichti, cela fera plaisir à Madeleine. »
Mais rue de la Condamine, rien ne se passe comme prévu. Il est assis sur l’unique chaise, elle est allongée sur la couverture rouge. Après avoir beaucoup parlé de Michel, ils ne savent plus trop quoi dire. Andrée le regarde avec des larmes dans les yeux. Il voudrait pouvoir lui dire les mots qui la consolent mais il n’en connaît pas. Il est gauche. Alors il se lève et vient s’asseoir près d’elle et lui caresse le visage. Elle ferme les yeux pour ne plus le voir, pour cacher son chagrin de Michel qui est parti et ne reviendra plus. Le visage de Pierre descend doucement vers les lèvres d’Andrée. Il ne sait plus lui même si c’est du désir ou de la consolation, mais il finit quand même par toucher ses lèvres et, après un instant d’hésitation, elle lui rend son baiser et ils s’embrassent. Très vite ils baisent comme s’il fallait faire vite. Elle pour se rendre à ses armes, et tant pis si ce n’est pas Michel, pour le renfoncer dans le silence dont il n’aurait pas du sortir. Baiser ! Cela lui fera plaisir à lui et elle en a envie ! Et lui sans réfléchir, ce corps laiteux maintenant lui fait dresser la queue. Elle halète d’un coup, il éjacule aussi, pas d’amour là-dedans c’est juste une méprise. Il se sent dégueulasse, elle se cache dans le lit. Il n’y a pas de mot échangés…
Après cette confusion, il s’en va et descend les escaliers puis se retrouve dans la rue, ensoleillée, de cette fin d’après-midi. Il part vers la Gare St-Lazare. Il fait beau, mais Pierre est mal comme un jour de pluie. Il va vers l’Opéra, les grands magasins désertés, tourne devant les « femmes nues – lampadaires ». Il pense qu’il pue maintenant, qu’il pue vraiment.
Les platanes du boulevard des Italiens sont poussiéreux et disent des « Merdes » retentissants aux quelques flics du carrefour qui jouent tous seuls dans le vide. Pierre marche, le dégoût aux lèvres et 50.000 virgules au cœur. Il va porter sa pourriture, maintenant, comme tous les autres. Les autres femmes nues, celles du Louvre, les bien grasses, offrent leurs corps en admiration à la guerre.
Pierre, la fourmi Pierre, la poussière Pierre, vu du haut de Notre-Dame, longe la Seine, puis tourne vers la Gare d’Orléans. La place vide est tranchée comme une tarte par le double rayon de ses pas et avalée sans coup férir par son ombre.
Pierre lentement, « Madeleine je t’ai trompé… »
Madeleine qui part sans réfléchir.
Pierre assis à la table qui se tait.
La nuit tombe, la page se tourne, il va pleurer.

À suivre…

Caillou 1967

Le soleil noir – 11°

Madeleine et Pierre ont emménagé dans une chambre qu’il a trouvée, toujours rue de l’Université, une chambre de bonne, claire et bien emménagée. Madeleine part tous les matins à son travail et Pierre, provisoirement, ne fait rien.
Un matin, vers dix heures, Pierre est avec un livre de poche sur le lit et Jacques sonne à la porte. Ils discutent longuement, du Parti, de la situation politique et des copains. Il fait beau sur Paris. L’odeur du café. Puis Jacques lui dit, en riant, qu’il a appris que son copain Yves était parti en mai, à l’étranger je crois… Pierre qui n’a plus remis les pieds au lycée depuis plusieurs mois en est très étonné. Yves est parti ! Et oui ! En beatnick, vers les Indes, et sans laisser d’adresse. Jacques en fait toute une théorie sur l’abandon de la lutte de classe par les anarchistes… puis il s’en va.
Mais Pierre en reste silencieux avec l’ombre de Yves qui s’étend maintenant sur la lumière du jour.
Le soleil au-dessus de la lucarne ouverte, la chaleur de la pièce, la tranquillité de sa vie malgré l’angoisse, et puis maintenant ce départ sans doute définitif, avoir l’impression d’être passé à côté de quelque chose et de ne le savoir que lorsqu’elle disparaît.
En fin d’après midi il va voir Sébastien, un ancien compagnon d’Yves, devenu vendeur de chaussures à l’Inno-Réaumur. Il y aura ce soit une réunion d’anars, dans un local du côté de l’Observatoire. Si Pierre veut venir, la porte est grande ouverte. Il y va, avec Madeleine, mais la réunion est une rencontre de hâbleurs. Ces gens s’écoutent parler.
Ils rentrent vers onze heures, Madeleine au creux de Pierre, car elle se lève tôt le matin. Ils dorment ensemble et c’est une grande joie. Puis, dans la nuit, Pierre est seul avec une insomnie et il se demande s’il n’a pas envie de pleurer, avec des semaines de retard, sur le départ de Yves, parti sans prévenir. Mais tout est donc trop tard !

Grundage est mort. Et dans son lit. Hélène ne le sait pas.

À suivre…

Caillou 1967

Le soleil noir – 10°

Le soleil noir – 10°

Boulevard Saint-Michel en pleine manif, presque calme. Des banderoles, des pancartes, des poings tendus, mais pas de casques, pas de mouchoirs, pas de lunettes de plongée ou de quarts de citrons… Mille, peut-être deux mille étudiants remontent le boul’Mich, à l’assaut des forteresses blanches de l’Immaculée Société.
Andrée, sur un trottoir, passe là par hasard et c’est Jacques qu’elle rencontre, un Jacques seul, assez gai, décontracté. Ils se serrent la main et elle fait quelques pas dans la manif, avec Jacques en regardant tout autour d’elle.
– Jacqueline va bien ?
– Que devient Michel ?
– Aucune idée. Il m’a quittée… Je ne sais pas où il habite maintenant. Et tu sais ce que devenu son copain, le lycéen…
– Pierre ?
– Oui, il était toujours avec un anarchiste, Yves je crois…
– Yves je ne sais pas ce qu’il est devenu. Mais avec Pierre on se voit de temps en temps.
– Comment va-t-il ?
– Il a l’air bien.
– Si tu le vois, tu peux lui demander de passer un soir, rue de la Condamine ?
– D’accord, je lui dirais…
Et ils s’embrassent et tandis qu’elle repart vers sa station de métro, Jacques oublie aussitôt… et d’ailleurs il s’en fout.

Jacqueline disparaît maintenant de ses pages. Elle aura beaucoup d’amants, restera membre du Parti Communiste puis se mariera à 26 ans avec un secrétaire de Fédération.

B. trompe quotidiennement Francine avec Hélène. Bientôt il la quittera pour emménager dans un petit appartement de la rue de la Harpe. Il reverra Hélène de moins en moins, puis se trouvera seul et sans espoir de sortir jamais des problèmes qui le rongent.

À suivre…

Caillou, 1967.

Le soleil noir – 9°

Le soleil noir – 9°

L’ovoloïde violet au point du jour

Madeleine écoute un morceau de Lew Winchester, qui se logea une balle dans la tête au cours d’un festival de jazz à Indianapolis, alors qu’il démontrait comment jouer à la roulette russe. Elle regarde par la fenêtre. Le soleil, et, dans la cour, la fille de la concierge jouant toute seule à papa/maman. La cour est minuscule, poussiéreuse et sombre. Au-dessus de sa tête, la petite fille regarde une corde à linge. Des relents de vomis à chaque étage, des tranches de pourriture entassées les unes sur les autres, dans tous les sens, des couleurs infectes, par taches, qui laissent, au milieu, un vide rectangulaire, minuscule, poussiéreux, sombre et chaud, pour une petite fille qui joue toute seule.
Tout se pourrit dans les mains de Pierre. Madeleine, qu’il a revue, aimée, n’est plus à ses côtés qu’un insuccès parmi tant d’autres.
Ce qu’il avait cherché dans Madeleine n’est plus en Madeleine. Peut-être que ce qu’il cherche c’est une certitude ? Lui qui était si jeune se croit maintenant si vieux. Une question : à quoi ça sert ? Pas de réponse ! Ou alors, simplement : Cela sert à aimer, à entendre la pluie, à rêver, et puis à mourir avant d’avoir compris… Pierre a perdu son assurance. Peut-être a-t-il vraiment vieilli ? Peut-être commence-t-il lui aussi à pourrir ? Mais ce sont des jeux d’adolescents, des problèmes d’adolescents, des questions d’adolescents.
Madeleine, elle, a bien compris, et depuis longtemps. Elle sait où cela mène. Madeleine aime un Pierre, un Pierre qui n’est d’ailleurs pas celui auquel je pense, un Pierre qu’elle seule connaît, car elle est la seule qui puisse le connaître vraiment, mieux que Pierre lui-même, qui, lui, ne s’observant pas beaucoup, ne se connaît que très peu.
Tous les deux sont beaux. Madeleine s’est épanouie au soleil de Pierre ; Pierre s’est virilisé à la présence de Madeleine. S’il ne l’aime pas vraiment, (enfin, c’est ce qu’il croit…) il est heureux près d’elle et se dit qu’après tout c’est le principal !

Il marche dans la rue de Rennes. Je ne sais pas du tout ce qu’il fait là. Il s’arrête dans un café et commande, debout, un express, qu’on lui sert sans empressement, avec deux sucres et une cuiller. Il boit un café, sans goût de café, paye et s’en va. Dans le fond de la salle, un jeune gars joue au flipper.
Quelques temps plus tard, Andrée dont je ne sais pas non plus ce qu’elle faisait là entre et demande un rhum/coca, qu’on lui sert sans sourire avec deux glaçons, une rondelle de citron et une paille. Elle pose la paille, trempe ses lèvres puis allume une gauloise. Elle a eu beaucoup d’ennuis. Ce petit salopard de Michel l’a quittée après lui avoir fait un môme. Elle s’est débrouillée comme elle a pu…

À suivre…

Caillou, 1967.

Le soleil noir – 8°

Le soleil noir – 8°

Madeleine et Pierre sont partis en vacances. Ils ont descendu la route du Sud en auto-stop et ne se sont arrêtés qu’aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Il fait chaud. La tente est bleue, la mer calme, la plage presque déserte. L’argent n’existe plus. Pierre en dépense plus que de raison. Ils sont heureux. Ils se baignent, et puis ils font l’amour.

Tout commence par un sourire, par un regard qu’elle donne et qu’il reçoit, par une main qui s’approche pour toucher avec prudence une autre main. La pureté absolue résonne lorsqu’ils se mettent à nu. Ils rient ou ils se taisent en se souriant, le jeu, mais jamais ne sont graves, entre eux il y a ce lit. Puis viennent les mains qui savent, qui connaissent les chemins et qui les suivent sans même le vouloir, sans se rendre des comptes. Et les mots minuscules chuchotés dans les creux et surtout les silences bruyants entre les mots. Puis vient l’union, le sacre, c’est grave, et c’est sérieux. Là, ils ne sourient plus, ils se donnent l’un à l’autre. Car on ne peut plus rire quand on est en ce lieu où trône le sacré. À mesure qu’elle s’ouvre, s’entrouvrent les milles portes d’un empire incertain. Quand il la pénètre c’est une chaleur de soleil qui l’acclame.
Elle voit des grands éclairs. Il monte dans les aigus. Puis tout se calme et tout s’apaise. Il s’abat sur le côté comme un arbre fendu, sa tête se creuse à son épaule. Tout est pur et c’est en s’endormant qu’ils deviennent gigantesques.

Ils mordent ensemble dans d’énormes pastèques et se taisent longuement devant le Rhône qui s’en va. Un soir ils vont voir les courses landaises. Pierre est devant le taurillon. Il a peur et il aime ça. Enfermé dans un cylindre d’osier, il se fait culbuter par la bête et la peur le mouille. C’est le jeu, la peur, le choc, la sueur et la petite mort.
Un jour ils se blessent l’un l’autre. Ils se guérissent lentement. Il fait chaud. Quinze jours de lumière. Ils repartent sans un rond. Alors c’est l’auto-stop, la route, le jeu, puis Paris et l’angoisse renouvelée.

À suivre…

Caillou, 1967.

Le soleil noir – 7°

Le mythe du soleil noir.

New York désert.
Pas de gens.
Pas de bruit.
Pas d’animaux, de cartons, d’enseignes, de pancartes, d’affiches, de poubelles.
Des gratte-ciels nus, sans rideaux, propres, étincelants.
Des lampadaires.
Pierre marche au centre de la ville, sans automobiles. Il marche sans fin, au milieu d’une avenue, dont on ne voit pas la fin. La troisième météorite venant du soleil, de Hendrix, résonne.
Pierre regarde le soleil. Il est noir. Son éclat est mille fois plus puissant qu’un soleil normal. Il est noir. Le noir éclate et éblouit Pierre, qui est soulevé du sol, et qui lentement s’élève vers le soleil. Et inconscient d’autre chose que de l’éclat du soleil noir, Pierre se fond dans ce soleil et… disparaît.

À suivre…

Caillou, 1967

Le soleil noir – 6°

Le soleil noir – 6°

Palais de la Mutalité.
Beaucoup de foule, de sons, d’engeulades, de discussions, de slogans, de vendeurs. Jacqueline est là. La vente est bonne. Madeleine est venue avec elle par curiosité, curiosité amusée car elle n’y croit pas ou du moins pas beaucoup. Les crieurs de journaux communistes, tout aussi puritains qu’ils soient en cette occasion, ne peuvent s’empêcher de lorgner vers une aussi jolie sympathisante. Jacques arrive avec un ami qu’elle n’a jamais vu. Il présente Pierre à Jacqueline et à Madeleine par la même occasion. Puis Jacques s’en va prendre sa pile de « Clarté » et crier comme tout le monde. Pierre attend l’ouverture des portes, Madeleine aussi.
– Il y a beaucoup de monde ce soir.
– Oui, Boof !
– Vous êtes communiste ?
Madeleine hésite un peu puis lui répond :
– Non ! Nihiliste.
Alors Pierre rigole et lui fait finalement un peu la cour tandis qu’elle regarde, avec un sourire un peu moqueur, un Pierre sûr de son fait.
Les portes s’ouvrent enfin et tout le monde s’engouffre dans la grande salle du rez-de-chaussée, sauf les militants du service d’ordre, en cas d’une arrivée des pro-chinois.
Au balcon, vers la droite, Jacques, Pierre, Madeleine et Jacqueline, ou Jacques, Jacqueline, Madeleine et Pierre, ou Madeleine, Jacques, Pierre et Jacqueline s’asseyent sur la première rangée de fauteuils.

Les orateurs changent, apportant chacun leur part de cris, d’émotion. La chaleur monte et des milliers de pieds frappent le sol. Le public scande « Liberté pour la Grèce ». Les Grecs hurlent encore plus fort, dans la salle, leur désespoir, la haine du fascisme qui, eux, les touchent directement. Pierre, profondément ému, n’accorde plus la moindre attention à Madeleine.

Dans la foule qui maintenant s’échappe de la Mutu, Jacques et Jacqueline, Madeleine et Pierre, s’en vont vers un café d’étudiant, rue Cornu.
Jacques se tait. Seul Pierre, exalté, discourt pour ne rien dire. Les trois autres l’écoutent. Puis il réalise ensuite qu’il parle seul alors il se tait. Il leur en veut un peu, il est ennuyé pour Madeleine, il se sent ridicule.
Madeleine, par contre, n’a pas perdu une seule de ses paroles, mais si mon bel imbécile le savait ce ne serait plus un imbécile. Ils ressortent du café enfumé, puis se séparent chacun dans sa direction. Pierre remonte la rue de l’Université, et il se perd, loin de Madeleine.

Du côté des Halles ; le jour commence. Le bruit et la fureur loin du fascisme des colonels grecs. Les livreurs de viande sont plein de sueur et la fatigue leur colle aux mains.
Plus loin, vers l’Ouest, Andrée et Michel dorment ensemble. Andrée se sent bête. Elle est clouée par Michel, elle est seule. Elle écrit bien, de temps en temps, quelque part dans la Manche, une ou deux fois par an. Cela fait deux vieux de plus qui vivent de lettres et d’espoir. Une taupe dans un tunnel de boue, même si, au-dessus, c’est un parterre de roses… Mais « tous les mots n’ont pas plus de sens que le bruit d’un train… * »

(* Antoine)

À suivre.

Caillou, 1967.